«Il y a un effort urgent à faire pour restructurer l’industrie bancaire tunisienne»


bancaire-16042012-320.jpgFinance & Gouvernance*, un cabinet de conseil spécialisé dans la gestion du
risque dans les institutions financières, vient d’ouvrir une filiale en Tunisie.
Sa fondatrice et présidente, Miriam Garnier, analyse la situation du secteur
bancaire tunisien auquel elle envisage de proposer ses prestations.

WMC: Finance & gouvernance vient d’ouvrier une filiale en Tunisie. Qu’est-ce qui
a motivé cette initiative?

Miriam Garnier Chakroun: Nous nous sommes implantés en Tunisie, d’une part,
parce que nous sommes originaires de Tunisie, mais surtout parce que nous
pouvons lui apporter beaucoup et l’aider à améliorer le système financier
tunisien. Le dernier classement BICRA (notation du système bancaire par l’agence
de notation Standard & Poor’s) accorde un 7 à l’économie tunisienne dans son
ensemble, et 8 à son industrie bancaire. Il faut savoir que la meilleure note
est de 1 et la pire de 10. Ce qui veut dire que cette industrie est en retard
par rapport au reste de l’économie. Autrement dit, si le secteur bancaire
n’était pas en retard, il pourrait, comme on l’a vu ailleurs, tirer vers le haut
la totalité de l’économie. Notée 9 au début des années 2000 au niveau de son
système bancaire, la Turquie est passée à 5 après avoir entrepris une réforme de
son système financier.

En Tunisie, il y a un effort urgent à faire pour restructurer l’industrie
bancaire tunisienne
. Et c’est là notre spécialité. C’est pour cette raison que
nous venons en Tunisie.

Comment allez-vous procéder pour vendre votre savoir-faire?

Nous avons eu un contact avec la Banque centrale de Tunisie. Selon nous, il va
falloir former les superviseurs de la BCT et procéder à la réforme des processus
internes de gestion dans les banques ainsi qu’à une restructuration
capitalistique. Nous saurons participer à l’ensemble de ce projet. Nous avons
une longue expérience bancaire et sommes bien positionnés dans le conseil en
stratégie. Nous avons une équipe de franco-tunisiens, composée de profils
pointus et d’autres plus jeunes extrêmement motivés par la participation au
rehaussement de leur pays et, en particulier, du système bancaire.

Dans ce dossier, il y a deux démarches: macro et microéconomiques. Pour
l’instant, nous nous en tenons à la première, parce que nous croyons qu’il faut
convaincre la Banque centrale d’envoyer des signaux sur cette nécessaire
réforme. Mais nous allons aborder bientôt le volet microéconomique en allant
interroger les principaux acteurs de la place sur leur vision de leur
positionnement dans l’univers de l’industrie bancaire et la dynamique
stratégique et concurrentielle qu’ils souhaitent mettre en œuvre.

Quels signaux la BCT devrait-elle envoyer aux banques?

Ce serait d’abord de faire un diagnostic de la situation et de rédiger assez
rapidement un rapport qui mette en exergue la vision et l’ambition de mettre en
place des actions correctrices, notamment à destination des agences de notation.
Il est important que celles-ci sentent qu’il y a une prise de conscience au
niveau de la
BCT de la nécessité de changer le système, de l’améliorer. C’est là
le premier signal: faire le diagnostic de manière officielle; il va y avoir des
choses qui sont dites de manière officieuse, mais il faut accepter de dire:
«nous ne sommes pas satisfaits de la situation actuelle, nous pensons que notre
industrie peut faire mieux».

Ensuite…

Ensuite, il faudra avoir des niveaux d’exigence sur l’amélioration de la qualité
des créances et le processus d’octroi de crédits dans le refinancement des
banques par la Banque centrale. Il va falloir conditionner le refinancement à
l’amélioration de leur fonctionnement. Corollairement, les banques vont être
amenées à améliorer leur gouvernance financière.

Vous avez dit que vous avez entamé une réflexion avec la Banque centrale.
Avez-vous déjà été chargés d’une mission?

C’est quelque chose que nous sommes en train de structurer pour eux. Ce n’est
pas encore conclu, mais c’est en cours. Nous allons également approcher les
banques qui sont soucieuses de se préparer au mieux à la rénovation du système
bancaire tunisien. Il faut réfléchir à ce sujet en termes stratégiques.

Il peut y avoir des changements de contexte liés à la réglementation, à
l’irruption de nouveaux acteurs, etc., et c’est dans ces moments clef où il faut
savoir si on est parmi les leaders -qui se restructurent avant les autres; qui
créent un avantage compétitif et vont absorber ces autres- ou dans le groupe des
suiveurs avec le risque d’être parmi les perdants.

Nous espérons donc trouver un certain nombre de leaders qui ont pris conscience
de cette nécessaire réforme du système et souhaitent être parmi les gagnants.
Vous avez fait une révolution politique, il reste à faire celle du système
financier.

En vous implantant en Tunisie est-ce vous pensez au reste du Maghreb?

Naturellement. Nous sommes en contact avec la Libye –où nous mènerons bientôt
une mission-, avec le Maroc –où nous allons lancer un séminaire interbancaire
sur la gouvernance financière.

Vous allez attaquer le marché tunisien seuls ou avec des partenaires locaux?

Le marché local est très différent de celui du conseil en stratégie en France.
Il est essentiellement occupé par les auditeurs comptables, qui font des études
de conformité. Qui dit études de conformité dit référentiel complet sur les
risques qui n’existe pas encore. Nous, nous travaillons plus sur les bonnes
pratiques et les risques. Les risques c’est quasiment l’opposé de la
comptabilité. La comptabilité c’est le passé et les risques c’est la vision
d’avenir. On est donc dans l’incertitude et l’ambiguïté.

Nous souhaiterions coopérer avec des cabinets locaux, mais il n’existe
apparemment pas de cabinets similaires au nôtre. Nous ne sommes pas encore
associés à un cabinet, parce que nous n’en avons pas encore trouvé un répondant
à notre niveau d’exigence. Pour l’instant, nous y avons renoncé et nous
cherchons des personnes qui pourraient avoir ce profil là.