Tunisie : Arithmétique budgétaire… Portée et limite

budget-160312.jpgAu bout du compte, la loi des finances complémentaire aura été le fait saillant qui viendra clôturer la période des cent jours, délai de grâce du gouvernement actuel. L’ancien budget est le fait du gouvernement de BCE, et l’ANC l’a voté, on va dire dans l’urgence. Mais le budget complémentaire portera l’empreinte exclusive du gouvernement Hamadi Jebali qui va devoir confronter les constituants qui voudront le discuter en profondeur, cette fois. Dure épreuve! Un budget complémentaire n’est jamais, en réalité, qu’une rallonge. Or, l’opinion attend de lui d’accomplir des miracles. Et c’est bien ce qui complique la donne.

L’examen du budget sera donc un test de vérité. Le ministre des Finances devra débattre par-delà le seul problème des équilibres généraux, ce qu’il sait faire, de l’inflexion réelle qu’il entend imprimer au retour de la croissance. Ministre des Finances, en langage anglo-saxon, se dit chancelier de l’échiquier. Plus qu’à l’adossement des ressources et dépenses, les constituants ne vont-ils pas le questionner sur sa vision du jeu?

Des chiffres et des acrobaties

L’enveloppe supplémentaire est de 2,5 milliards de dinars. Toutes les nouvelles dépenses n’entraîneront pas de dettes supplémentaires par rapport au budget initial voté en décembre 2011. Les ressources supplémentaires seront allouées fifty-fifty entre le Titre 1 -celui destiné aux dépenses de fonctionnement- et le Titre 2 -qui finance l’investissement public.

Les régions auront la part du lion dans les dépenses d’infrastructure. Et c’est une exigence du moment. L’infrastructure sera privilégiée, ce qui semble aller de soi. L’Etat embauchera des fonctionnaires. Cela soulagera, en partie. Le gouvernement a provisionné les nouvelles augmentations de salaires. Est-ce bien le moment? La Pologne a donné une leçon au monde, en la matière et c’est Lech Walesa qui nous l’a rappelé l’an dernier, lors de sa visite parmi nous. Le syndicaliste, porté au pouvoir par une révolution populaire, n’a pas hésité à réduire les salaires de 20%!

Le déficit sera de 4,5 milliards. Il sera passé de 6 à 6,6%. C’était prévisible. La cession du patrimoine, entreprises et biens du clan des B-A-T rapporterait 1,2 milliard. Mais là encore, c’est hypothétique. On promet de doper le rendement fiscal via les opérations de transaction avec la liste des 400 hommes d’affaires. Et des opérations de redressement fiscal. Est-ce assez? C’est vrai que la pression fiscale ne sera pas modifiée, et c’est rassurant, mais les taxations d’office, est-ce un signal apaisant, à l’adresse des investisseurs?

Pour combler les recettes, les dons suivront-ils? L’UE a avancé 200 millions de dinars. L’Amérique y viendra-t-elle, pour l’avoir promis du bout des lèvres? Les amis du Golfe, qui font la sourde oreille pour le moment, y viendront-ils à leur tour?

Pour faire l’appoint, près de 900 millions de dinars seront prélevés sur notre matelas de réserves. Des obligations sont cédées contre devises. Cela nous dispense de recourir à la privatisation d’entreprises publiques. Si donc on ne vend pas les bijoux de famille, on n’en puise pas moins dans le «bas de laine» national.

Forts de la garantie du gouvernement US et de la caution de la Banque mondiale, on va émettre un souverain de 400 millions de dollars sur le «Yankee». Cela fera-t-il revenir la confiance des agences de notation. L’endettement local ne va-t-il pas exercer un effet d’éviction sur les opérateurs privés? Et dans tout cela, seulement 3,5% de taux de croissance!

La solidarité gouvernementale

Le budget complémentaire n’est pas un budget «Business as usual». C’est le premier budget d’après la révolution. Il doit s’inscrire en rupture par rapport à ce qui se faisait jusque-là. En supposant qu’un point de croissance représente 12 à 15.000 emplois, on est loin de l’objectif des 100.000 emplois annoncés par le ministre de l’Emploi et de la formation professionnelle, pour l’année 2012. Cette contradiction ne manquera pas d’être relevée.

Et puis, on ne voit pas émerger les régions. C’est vrai que l’on va bien doter l’infrastructure dans les régions mais on est loin du concept des bassins régionaux de l’emploi. Ironie du sort, Hassine Dimassi, professeur d’économie de son état, a eu, de profession, dirons-nous, à noter les autres. Et il a toujours enseigné à des apprenants. Cette fois c’est lui qui remet sa copie. C’est vrai qu’il ne doit pas cauchemarder. La majorité des constituants de la Troïka sera là pour le soutenir. Après tout, il a bouclé le budget. Ne manquant pas de pédagogie, il saura se débrouiller pour faire passer son arithmétique fiscale et financière. Mais les constituants voudront le juger sur ses thèses économiques. Saura-t-il leur faire la leçon? Mais que sera sa vision du nouveau modèle économique?