Tunisie : Rached Ghannouchi, Moncef Marzouki et Hechmi Hamdi… Ou le retour du refoulé !

cpr-ennahdha-1.jpgHabib Bourguiba, un président attentif aux temps, aux hommes, et aux signes des temps, doit se retourner dans sa tombe. Le père fondateur de l’Etat de l’indépendance, apôtre de la rationalité, d’Auguste Comte, meurt une seconde fois. Pousse la dernière complainte du disgracié. Après le verdict des urnes de la première échéance électorale, liée à la révolution de la liberté et de la dignité. C’est sûr…

Face aux nouvelles forces sociales montantes du pays, longtemps recluses et périphérisées, symboles de l’antéchrist au temps du PSD, les héritiers du combattant suprême, toutes tendances confondues, de la gauche marxiste aux libéraux, ont perdu la face. Rendu l’âme. Mangé leur pain blanc. Passé de l’autre côté du cheval. A la première confrontation démocratique. Digne de ce nom.

L’histoire sait être injuste, me dit un confrère, sonné après la proclamation des résultats partiels, lors de la conférence de presse de Kamel Jendoubi, président de l’Instance Supérieure Indépendante pour les élections(ISIE). Eh oui…! La ficelle est tout de même un peu grosse pour la famille destourienne. Car la victoire d’Ennahdha, du Congrès pour la République (CPR) et de la Pétition Populaire de Hechmi Hamdi, affirme mon interlocuteur, est un véritable outrage à l’héritage spirituel du Combattant suprême. Dont l’exercice du pouvoir, durant des décennies, était dédié à la lutte contre le carcan de la tradition, la mainmise du sacré sur les affaires de la cité, le démon de la division tribale et les idéologies panarabes, qui ont irrigué la contestation yousséfiste à ses débuts.

Apparemment, le corps social tunisien, un archipel de conscience et de résistances, devant les coups de boutoir de l’Etat moderne et séculier, qui a de tout de même régné par la hache, le feu et le sang, après le départ du colon français, a plié mais n’a pas rompu. Ce qui lui a permis, tout au long des bouleversements et des traumatismes politiques, dont la scène tunisienne était le théâtre depuis la signature des accords d’autonomie avec l’ancienne puissance tutélaire, de faire un virage bord sur bord. De se barricader. De se préserver. De se replier. D’anticiper. D’esquiver. De concéder. De se moquer. D’être vent debout. De se donner des leviers et des repères. De garder le cap au milieu des bourrasques. D’exploiter la veine de la colère et du défi et de reprendre le dessus, un certain 14 janvier 2011, sur un Etat prédateur, arrogant, omniprésent, qui voulait encaserner le public et le privé. Domestiquer les élites frondeuses. Se substituer au notable. Au père. A l’imam. A la famille…

Au fait, le refoulé attendait son heure. Dans la patience et la dissimulation. Voici un bel exemple de la résistance têtue de la sociologie aux débordements de l’idéologie. Si le parti de Rached Ghannouchi incarne, nous dit-on, la revanche des tenants de l’ancien ordre religieux zeitounien, méprisé et bafoué au temps de Bourguiba, l’étoile montante de Moncef Marzouki, patron du Congrès pour la République (CPR), renvoie au fantôme du yousséfisme, qui a hanté les jours et les nuits du Palais de Carthage, depuis la scission du néo-Destour au lendemain de l’indépendance.

De son côté, Hechmi Hamdi, parrain de la Pétition Populaire, qui vient de désarçonner l’ensemble de la classe politique tunisienne, issue de la révolution de la liberté et de la dignité, est le modèle même de l’outsider. Son émergence subite traduit la fragilité des visions politiques et sociales en gestation, les craquelures du pacte identitaire tunisien et la force des agents d’influence tribaux, adossés à l’ampleur de la société du «flash», du «zoom» et du «zapping».

Nous assistons à de nouvelles indépendances. L’histoire n’est pas finie. Les élites modernistes, d’obédience libérale, nationaliste ou socialiste, doivent revoir leur copie. On ne peut pas réglementer les cerveaux. Car les identités sont des matériaux très résistants. Tout indique qu’on a dansé à contre- tempo.

Les peuples, disait Ortega, après la défaite électorale sandiniste, au Nicaragua, ont le droit de se tromper. Mais ils n’obéissent finalement qu’à ceux qui savent les subjuguer. A bon entendeur… Salut !