Balade en ville

Je suis allée faire un tour avec une amie, pour acheter des chaussures, pour
l’amie.

– «C’est bizarre, tu sais, il y a plein de belles choses, et c’est pas cher!»

– «Et pourquoi bizarre?! Vas-y, achète alors, pour qu’on puisse rentrer…»

– «Ah non, je ne peux pas acheter des chaussures à 30d! C’est de l’argent jeté
par la fenêtre!… Tu sais, quand c’est cher, c’est que c’est de la qualité, et en
général c’est une marque, mais quand c’est pas cher, c’est joli, mais tu
souffres dans tes chaussures, tu es sûre que ça va sentir au bout d’une semaine,
et que ça va se déchirer au bout de la saison au maximum… Les marques, c’est
cher oui, mais on est quasi sûr de trouver son compte».

On est donc rentrées bredouilles, mon amie n’a rien acheté, parce que ce n’était
pas suffisamment cher.

En marketing, il y a une théorie célèbre qui va dans ce sens, la «Rolls Royce»:
plus c’est cher, plus le client accorde sa confiance et achète, une certaine
catégorie de clients bien sûr, le segment ciblé par la marque.

Mon amie est une fana des marques, elle les achète sans regarder le prix, ou
alors elle achète pour rien, quand elle a de la chance de tomber dessus à la
fripe. Mais aussi, elle n’achète pas beaucoup. Car à ce rythme, les affaires
tiennent beaucoup plus longtemps et elles ont toujours l’air du neuf. Le pull,
lavé des certaines de fois parfois, est toujours nickel.

Mon amie n’est donc pas tout à fait un “bon client“ pour une bonne partie de
l’économie du secteur, qui offre de nouvelles collections chaque saison,
collections littéralement jetables -comme les plats jetables en carton oui-, car
elles ne tiennent pas plus d’une saison.

Remarque, on peut dire que c’est une bonne chose, que c’est même nécessaire pour
que la machine économique tourne à fond, que l’on vende toujours quelque chose
de nouveau, avec des produits aux cycles de vie très courts, comme ça on
ré-achète vite, et voilà, il y a création de richesses, et croissance.

Mais n’a-t-on pas le droit de réfléchir… étant donné qu’il y a croissance et
croissance? Et le modèle dans lequel on est n’est pas très viable, il faut le
reconnaître, on pollue la planète tellement et si vite que l’on va finir par
s’exterminer nous-mêmes. On n’est quand même pas très intelligents nous les
humains, ou une certaine frange d’entre nous plutôt, ceux qui décident, ceux qui
ne regardent pas plus loin que le bout de leur nez, ou de leur compte bancaire.

Mon amie est peut-être une visionnaire, dans cette perspective. Car le modèle
qu’elle propose est différent: moins de produits, moins de consommation, et donc
moins de pub –ce qui n’est pas une mauvaise chose-, plus de valeur (les produits
sont de meilleure qualité), moins de déchets et de pollution, et peut-être même
une meilleure configuration de l’emploi. Car pour fabriquer de la qualité, il
faut du métier, des gens du métier, des gens qualifiés, qui seront donc bien
payés, et des gens heureux dans leur travail aussi.

Plus de «bien-être social» donc, ce que la théorie appelle de façon réductrice
“satisfaction ou motivation au travail“. Car les gens seront épanouis,
puisqu’ils font leurs métiers (un peu comme les artisans d’avant l’économie
industrielle), et que ca suppose un savoir-faire… on ne risque pas d’être
licencié du jour au lendemain, pour cause de délocalisation.

Elle n’est pas bête mon amie…!?