Tunisie, Justice : Néjib Maâoui, « Ce n’était pas à moi d’arrêter Saida Aghrebi »

Néjib Maâoui, procureur général de la République, récemment muté à la Cour de
Cassation, est estimé par ses subalternes, confrères et consœurs qui disent que
c’est un homme intègre, droit, travailleur et très sérieux: «Naturellement en
tant que commis de l’Etat et représentant du ministère de la Justice, il
subissait autant de pressions que nous tous dans l’exercice de nos fonctions
mais il n’a jamais approché de près ou de loin les familles présidentielles et
n’a pas été mouillé dans leurs magouilles»…

Néjib Maâoui aurait été, d’après un communiqué publié par le ministère de la
Justice, affecté à un nouveau poste suite au «départ, fuite» de Saïda Agrebi,
ancienne présidente de l’Association tunisienne des mères, très proche de
l’ancien président et réputée pour ses pratiques malsaines dont celles de monter
des dossiers touchant la moralité de nombre de hauts responsables de l’ancien
régime qu’elle soumettait à des chantages…

Sur un autre communiqué publié sur l’AFP, Néjib Maâoui aurait été limogé pour
«incompétence»… Le ministère de la Justice n’y est pas allé de main morte pour
mettre à plat un haut fonctionnaire qui, jusque-là, aurait assuré. «J’aurais
compris qu’on procède à ma mutation juste après la Révolution et ce qui en est
suivi comme événements, ayant été nommé à ce poste depuis des années. Je me
considère comme un Haut magistrat honnête et droit, j’aurais accepté pareille
décision en son temps, mais je ne peux me résoudre à tolérer que l’on s’attaque
à mon intégrité morale ou à ma compétence sous prétexte qu’une dame appelée
Saïda Agrebi a quitté le pays», a déclaré M. Maâoui, lors d’une conférence de
presse organisée mardi 9 août 2011 au Palais de Justice.

Tout d’abord parce que sur le plan légal, rien n’empêchait Saida Agrebi de
partir. Il est vrai qu’une plainte a été déposée et une instruction ouverte:
«Mais l’article 15bis de 1975 n’autorise pas le procureur de la République à
interdire le droit de se déplacer à n’importe quelle personne sauf dans le cas
du flagrant délit. Ce qui ne se confirme pas concernant la dame en question.
L’instruction prend du temps car il s’agit de juger les faits, rien que les
faits. Ceci étant, qu’est-ce qui explique que cette personne ait été empêchée de
partir, il y a des mois, alors qu’elle était déguisée et autorisée à voyager, au
mois d’août, découverte? Lors de sa première tentative, c’est la police de
l’aéroport qui a pris la décision de l’arrêter et a prévenu les autorités
compétentes».

De par la loi, «hors le cas de crime ou délit flagrant, le Procureur de la
République ne peut faire d’actes d’instruction. Toutefois, il peut recueillir, à
titre de renseignements, les preuves par enquête préliminaire, interroger
sommairement l’inculpé, recevoir des déclarations et en dresser procès-verbal».

Ce n’était donc pas au Procureur de la République d’empêcher Saïda Agrebi de
partir. Le procureur aurait par contre approuvé une demande de la police pour
interdiction de voyage en tant que mesure préventive. Encore faut-il qu’on l’ait
informé de son départ.

«Lorsque nous devons intervenir, dans le respect des procédures légales, et
placer quelqu’un en garde à vue, nous le faisons sans hésitation. Ca a été le
cas de Abderrahim Zouari, il a été relâché dans le cadre d’une affaire et devait
être instruit dans trois autres affaires dans lesquelles il n’avait pas encore
été inculpé, nous l’avons gardé pour instruction. Nous avons fourni un effort de
réflexion dans l’interprétation et l’application de la loi dans le but de
parvenir en compagnie des juges d’instruction à un cadre légal autorisant son
maintien en détention»…

Ce que l’opinion publique doit saisir, a indiqué Néjib Maâoui, c’est que le
travail du Procureur de la République, de ses substituts ou celui des juges
d’instruction n’est pas facile, il demande de la concentration, du temps et une
grande disponibilité d’esprit, ce qui n’est pas facile au vue de toutes les
pressions subies de la part des plaignants, des avocats sans parler de la
gestion des rapports avec l’autorité de tutelle même si «le ministre nous a bien
dit que nous sommes maîtres de nos décisions et qu’il n’y aurait pas
d’interventionnisme de la part du ministère. En attendant et en raison du volume
de travail supporté par le procureur et ses substituts ainsi que par les juges
d’instruction, les équipes des juges d’instruction ont été consolidées, et il
aurait fallu qu’il y ait consolidation du corps des substituts au même degré.
Tout en sachant que l’autorité du procureur de la République, aussi forte
soit-elle, n’est pas aussi importante que celle du juge d’instruction, avec un
système francophone plutôt que celui anglo-saxon, plus autonome et détenant plus
de pouvoirs».

Lorsque, suite à la révolution, des revendications ont émané de la part de
magistrats, d’avocats et de fonctionnaires pour démettre et sanctionner les
magistrats corrompus ou alliés à l’ancien régime, Néjib Maâoui n’a pas été
concerné par ces demandes d’assainissement. Il a continué à assurer
tranquillement et péniblement son travail. Il a continué à recevoir plaintes et
dénonciations. Que subitement l’on découvre en haut lieu qu’il est «incompétent»
ou «irresponsable» puisque Saïda Agrebi s’est enfuie du pays est plus que
surprenant. L’on se rend ainsi compte que les anciennes pratiques qui
constituaient à faire porter à quelqu’un le chapeau et monter contre lui une
cabale médiatique n’ont pas encore disparu. Le système est là avec toutes ses
composantes, ses mécanismes et ses réflexes. Il réagit également de manière
identique à son prédécesseur, si l’on peut dire qu’il y a réellement
prédécesseur… Les décisions sont-elles politiques ou d’ordre organisationnel et
administratif seulement?

Du coup, nous avons la sensation d’un goût amère car nous avons bien peur que
c’est avec les mêmes œufs que sera préparé notre prochaine omelette, parce qu’à
ce jour, personne ne s’est attaqué au véritable problème de ce pays: le Système,
un système puissant, combattif qui existe dans tous les rouages de notre
société, allant de la justice aux médias, l’économie, l’administration et jusque
dans nos propres foyers…

Si Ben Ali et Co ont pu tenir le coup pendant 23 ans, c’est bien parce qu’ils
étaient soutenus partout et de partout… Qui sont ceux qui les ont soutenus et où
sont-ils et que comptent-ils faire aujourd’hui pour préserver leurs privilèges
et leurs intérêts?

Des questions qui mériteraient avoir des réponses…