La machine Rotana

rotana-1.jpgCheveux au vent, décolleté, Botox, glamour, villas avec piscines, voitures de luxe, strass et paillettes. Un homme torse nu «sur bronzé» qui crie en plein désert. Des filles qui se trémoussent, sur une plage, dans un grand lit, ou dans une chambre sombre. Des scènes à en faire pâlir les plus libertins d’entre nous.

Bonjour: c’est la machine Rotana et cies. Tu as dit liberté des médias et globalisation? Oui, tiens, avale donc! Voilà le modèle de la femme, du corps de la femme, de l’amour, de la relation de couple que nous présente la télé par satellite aujourd’hui. L’industrie de la musique, un vecteur majeur de diffusion d’un modèle de société chez les 15-25 ans.

Attention, modèle de l’amour, version troisième millénaire. Pas celui de Chédia et Abdelhalim à bicyclette. C’est la nouvelle version. Il faut épouser un homme riche, qui roule en cabriolet, qui est jeune, beau, riche et musclé. Pas grave s’il te trompe avec la première qui passe. C’est peut-être la mode, l’ère du temps, le retour de Haroun Errachid.

Tu ne t’y reconnais pas? Tu crois à l’amour et à la fidélité à vie? Tu es ronde? Tu es mère de deux enfants? Tu n’as plus les seins aussi hauts? Il faut t’y mettre alors. Il faut aller se poser des rallonges aux cheveux, des ongles américains…pas pratiques pour cuisiner? C’est pas grave, tu apprendras!

Attention, tu ne vas pas nous sortir le code de la morale encore?! Nous sommes en 2011. Nous sommes des gens modernes. La modernité c’est un Homme qui se trémousse dans un bain moussant avec une dizaine de femmes, la modernité c’est des clips vidéos aussi suggestifs, limite pornographiques.

J’ai -à plusieurs reprises- vérifié la chaîne, en zappant, car je croyais tomber sur une chaine X. Pas important que les chaines X soient cryptées. Rotana fait beaucoup mieux. Une fois je suis estomaquée, une fois j’éclate de rire, devant le ridicule, la bassesse et la médiocrité.

Il se trouve que je fais partie d’une génération, dont les parents étaient plutôt conservateurs, et qui croyaient alors, que les clips vidéos occidentaux, de Madonna et cies, étaient de la débauche pure. Je suis forcée de constater que Madonna, Michael, Shakira et cies sont d’un air artistique, d’une créativité, d’une authenticité, et même… d’une déontologie d’une autre mesure, comparés à nos pseudos chanteurs et chanteuses.

Dans les clips «occidentaux», il y a toujours une thématique, une identité, une histoire, un univers, en lien quelconque avec la chanson. La musique occidentale est d’une telle diversité et d’une telle richesse, même avec un large pan commercial. Il n’y a pas de nu pour le nu, il n’y a pas de scènes de «trémoussage» de filles qui s’agitent pour nous montrer leurs fesses et leurs seins gratuitement.

Sauf l’exception de la musique R&B, et encore, il ne faut pas généraliser. Cette musique est elle-même la voix d’une communauté qui a subi la marginalisation pendant si longtemps, et qui n’a pu accéder à la visibilité sociale, qu’à travers la musique et le foot. On dirait alors qu’elle fait une overdose, de tout ce dont elle a été privée… on dirait.

La musique arabe est peut-être aussi fruit des dictatures de dizaines d’années. A quelques exceptions près, l’individu, l’Art, l’identité, sont en berne. Et même si un talent se manifeste ici ou là, il n’a aucune chance devant les machines de type Rotana.

Bref, ils se sont manifestement trompés chez Rotana, il ne s’agit pas de musique, il s’agit de mannequinat, de pornographie, de mode, et autres métiers, cumulés sous la bannière de la musique. Peut-être que c’est voulu à la fin, on touche plus de gens comme ça, on vend une gamme plus large, et on remplit le vide béant de créativité et de contenu.

Alors papa, je crois que tu t’es trompé. Le vrai danger, ce n’est pas la musique occidentale, c’est l’industrie de la musique arabe. Pire que la débauche, elle risque d’entraîner toute une génération vers le vide, le culte de la beauté fabriquée par les moules de l’industrie esthétique, le culte de l’argent facile, le machisme, et j’en passe. Derrière une liberté et un féminisme de surface, un vrai recul des droits et de la dignité de la femme.