Tunisie : «Il faut croire aux talents des jeunes tunisiens», Samir Haouet, DG du Centre Technique du Textile

samir-haouet-cettex-1.jpgLa création et l’innovation sont devenu le litmotiv du secteur textile et habillement en Tunisie. Les responsables du secteur le reconnaissent et le crient haut et fort: stimuler la créativité et l’innovation chez les jeunes facilitera le développement du secteur et son essor. Un développement qui s’effectuera par le passage de la sous-traitance à la co-traitance et au produit fini, un véritable défi pour le textile et l’habillement tunisien. La dernière crise ayant prouvé la résistance du secteur, il est temps, nous indique Samir Haouet, directeur général du Centre technique du textile d’anticiper davantage le développement du secteur et son rayonnement à l’international.

Webmanagercenter: Après une baisse des échanges commerciaux en 2009, on remarque que la situation tend à se stabiliser en 2010 avec une reprise des exportations et des importations. Comment expliquez-vous cette reprise?

Samir Haouet: Tout d’abord, je tiens à rappeler que notre secteur a montré une bonne résistance à la crise par rapport à d’autres pays. Ceci grâce aux différentes mesures présidentielles, notamment celles du 23 décembre 2008, mises à la disposition des entreprises du secteur et qui se sont prolongées au  premier semestre 2010. Ces mesures ont contribué, largement, à la préservation des compétences en période de crise, ce qui a permis une reprise d’activité dans des conditions favorables.

Il est important de souligner, qu’en dépit d’une conjoncture défavorable, les industriels du secteur n’ont cessé de déployer d’énormes efforts pour maintenir leur activité et conserver un bon climat social  au sein des entreprises. Le comportement de solidarité développé entre les employeurs et les employés dans le secteur et leurs engagements mutuels quant à son avenir ont permis aux chefs d’entreprise de préserver les acquis et de réfléchir sur de nouveaux axes de développement. Ainsi, au cours des 8 premiers mois de l’année 2010, les investissements déclarés dans le secteur textile-habillement ont augmenté de 47,4% comparativement à la même période de 2009, passant, ainsi, de 129,4 MDT à 190,8 MDT. Il ne faut pas perdre de vue, également, que le plus grand nombre d’entreprises adhérentes au Programme National de Mise à Niveau (PMN) proviennent du secteur textile et habillement, de même pour les Investissements technologiques prioritaires (ITP).

Pour répondre à la nouvelle donne du marché international, les entreprises du secteur ont dû adapter leur système de production à la demande, notamment en matière de flexibilité, de réactivité, d’innovation et de fast-fashion et cela à travers l’introduction de nouvelles technologies de créativité et de mode.

D’énormes efforts ont été, aussi, faits dans la mise en place de nouvelles stratégies porteuses orientées vers une production à haute valeur ajoutée, une plus grande diversification des produits et des services ainsi que le développement du produit fini.

Les mesures de soutien et d’accompagnement déployés par les organismes d’appui au profit des entreprises exportatrices ont beaucoup contribué au renforcement des exportations et à la promotion du produit tunisien à l’étranger, particulièrement le Fonds d’Accès aux marchés extérieurs (FAMEX), le FOPRODEX et la campagne de sensibilisation sur la Stratégie Industrielle à l’horizon 2016 «THINK TUNISIA». Ces efforts de promotion ont, d’ores et déjà, porté leurs fruits puisqu’on note une croissance des exportations vers des marchés porteurs comme l’Espagne et les Pays Bas.

Par ailleurs, la reprise actuelle du secteur textile et habillement peut être attribuée à d’autres facteurs externes tels que les tensions sur le marché de la main-d’œuvre asiatique, avec de grands mouvements de protestation observés en Chine, au Bangladesh et au Cambodge, la réorientation des donneurs d’ordres européens vers les pays de proximité face à la montée des coûts de la main-d’œuvre en Asie, la prise de conscience de grands donneurs d’ordres mondiaux du risque de concentrer les approvisionnements dans une zone déterminée. Ils cherchent, désormais, à sécuriser leurs achats à travers une meilleure répartition sur les différentes sources d’approvisionnement, ce qui favorise le sourcing dans la zone Euromed.

Il s’agit également du retour des investisseurs étrangers en Tunisie, spécialement, dans les activités de la maille, du tissage et du finissage, la sensibilité accrue du consommateur européen à l’éthique sociale et environnementale qui ouvre de grandes opportunités de développement pour la Tunisie.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, je peux affirmer que le secteur est, effectivement, en phase de reprise. La dernière crise n’a fait que confirmer sa résistance aux aléas du commerce international. Ce qui exige une plus grande mobilisation des professionnels et des responsables du secteur pour le faire évoluer et migrer vers de nouvelles perspectives d’évolution. Il faudrait profiter de la conjoncture défavorable pour se positionner sur d’autres créneaux. Il faudra améliorer et diversifier l’offre. Les mots d’ordres sont la création et l’innovation. La Tunisie présente beaucoup d’atouts à ce niveau. La filière de la maille, par exemple, se développe très bien. Plusieurs entreprises tunisiennes ont fait preuve d’intelligibilité et de savoir-faire dans ce domaine et ont développé leurs propres marques.

Quelle est la démarche à poursuivre pour effectuer ce saut qualitatif?

Les industriels ont une grande marge de manœuvre à développer pour le secteur. Par exemple, les activités de tissage et de finissage ne se sont pas développées mais il y a de grandes possibilités d’évolution. Le textile technique en est une. Mais faudrait-il encore insister sur la créativité et l’innovation dans l’introduction de nouvelles technologies pour développer ce créneau porteur. Les entreprises sont appelées à introduire un système de management de l’innovation. De bonnes idées sont parfois perdues parce qu’on n’a pas su les sauvegarder et gérer. Il s’agit, également, d’instaurer un système de veille marketing au sein de nos entreprises.

Une panoplie de moyens est, aujourd’hui, mise à disposition  de nos industriels au sein du CETTEX. A travers son réseau de partenariat et le développement de la Plateforme de Formation et d’Innovation Technologique, le centre ne cesse d’améliorer son offre de services pour répondre au mieux aux demandes des industriels. L’adhésion récente du CETTEX au réseau Europe Entreprise Network “EEN”, réseau européen d’information et d’appui à l’innovation ainsi que les conventions de partenariat établies avec plusieurs organismes internationaux (au total 15 partenaires) tel que l’IFTH (Institut Français Textile-Habillement), l’ONUDI (Organisation  des Nations Unies pour le Développement Industriel), CITEVE (Centre Technologique des Industries Textiles et de l’Habillement du Portugal), GTZ (Coopération Technique Allemande), TVTEC (Centre Treviso Technologia d’Italie), etc témoignent des efforts fournis par le centre pour un accès facilité au savoir et au savoir-faire étrangers.

Le CETTEX œuvre, activement, à développer au profit des entreprises un système de veille marketing en vue de leur fournir des informations pointues d’ordre économique, technologique ou réglementaire sur des thèmes d’actualités. Des séminaires d’information sont, aussi, programmés  pour l’année 2011, je peux annoncer la tenue prochaine du séminaire sur «l’e-Commerce Textile» prévu au début du mois de décembre 2010.

Afin de pouvoir accompagner les entreprises dans leurs démarches d’innovation et leur passage de la sous-traitance à la co-traitance et au produit fini,  le CETTEX est, actuellement, en cours de création de deux centres de ressources technologiques dans le domaine du finissage et de la santé et de la sécurité  du consommateur. La création de ces deux centres, à El Fejja et à Monastir, donnera un avantage qualitatif certain pour le secteur. En effet, il est important pour les entreprises de migrer vers d’autres activités novatrices et de faire évoluer les techniques et les conceptions mais aussi de croire aux jeunes qui sont formés et d’adapter la formation aux nouvelles exigences du marché.

Sur ce plan, quel rôle de la formation dans le développement du secteur?

La formation dans les métiers de la conception est une étape indispensable pour atteindre l’objectif ultime de la créativité et de l’innovation dans le textile et habillement tunisien. Ce qui aura pour avantage de booster le développement du secteur et d’améliorer le positionnement de la Tunisie sur le marché international. La création de l’école des métiers de la mode au sein du Centre technique du textile est un nouveau pas en avant pour assurer une meilleure intégration des compétences tunisiennes sur le marché.

Créé, dans le cadre de la coopération bilatérale tuniso-française en partenariat avec l’Ecole française de la Mode Mod’Spé Paris, ce projet a démarré, depuis début 2010, avec trois Parcours Modulaires Qualifiants (PMQ), à savoir le chef de produit, le modéliste industriel et le styliste industriel. Chacune de ces formations dure huit mois et se déroule en alternance avec des entreprises parraines à raison de trois semaines au CETTEX et deux semaines en entreprises. Les candidats à ces formations sont des salariés déjà opérant dans des entreprises du secteur et des jeunes diplômés parrainés par ces dernières. Ils sont encadrés par des formateurs français qualifiés de l’Ecole Mod’Spé Paris et de l’Académie Internationale de la Coupe (AICP).

Les nouveaux profils dispensés par l’Ecole des Métiers de la Mode permettront aux entreprises orientées vers la co-traitance d’améliorer les compétences du personnel sur les techniques de modélisme, de perfectionner la qualité du bien-aller du produit et de diminuer le temps de réalisation des articles. Pour les entreprises engagées dans la réalisation du produit fini, ces Parcours Modulaires Qualifiants formeront les stagiaires sur les principaux stades de développement du produit depuis l’étude jusqu’à la conception, notamment la sélection des fournisseurs, la démarche de conception d’une ligne de produits et la création d’une collection.

Mais cela veut-il dire qu’il faut se désengager de la sous-traitance?

La sous-traitance a également évolué. Elle est devenue une activité de services. Nous avons une longue expérience dans le domaine mais il faudrait être plus offensif dans l’approche du marché. Il ne s’agit plus maintenant d’attendre que le client vienne nous chercher. Il faudrait prendre l’initiative d’aller vers lui. Pour réussir dans cette activité, il faudrait être très performant à produire, à comprendre les attentes des clients et à développer une démarche qualité. A titre d’exemple, pour faire face à une baisse importante de ses commandes en période de crise, une entreprise confirmée opérant en Tunisie dans le domaine de la confection du sportswear s’est orientée vers la confection des rideaux. Cette stratégie de développement s’insère dans le cadre d’une diversification des produits et des services où  la réactivité, la flexibilité, la qualité, les délais mais aussi le prix, sont désormais des critères de choix pour réussir en tant que sous-traitant. Ce qui confère à l’entreprise une valeur ajoutée par rapport à ses concurrents.

La concurrence devient de plus en plus rude dans un marché globalisé. Il faudrait, donc, mettre les moyens pour se distinguer et innover en termes de services. Il s’agit de faire appel à des gens qualifiés, mettre en place un programme d’accompagnement pour les jeunes talents afin de faciliter leur intégration dans l’entreprise et profiter de leurs compétences. La sous-traitance requiert de plus en plus une mobilisation en termes d’investissement matériel et immatériel mais aussi en ressources humaines. Il ne s’agit en aucun cas de se désengager de la sous-traitance qui est devenue une activité très pointue.

Concernant le passage de la sous-traitance à la co-traitance et au produit fini, il s’effectuera en fonction des moyens de l’entreprise. Ceci requiert une autre organisation et d’autres compétences, des moyens matériels aussi. Il s’agit ici de développer le volet création, ce qui nécessite des compétences en amont. Mais également de consolider les acquis du secteur et de développer d’autres perspectives prometteuses faisant intervenir des compétences transversales.