Tunisie-services administratifs : entre maux réels et caricatures

«Votre enthousiasme, votre confiance et votre détermination
nous impressionnent, nous aimerions que vous puissiez mener votre mission à
terme et dans les meilleures conditions qui soient». C’est ainsi que les jeunes
dirigeants se sont adressés à Tarek Bahri, chargé de mission auprès du Premier
ministre et directeur général de l’Unité de Qualité des services administratifs
lors du petit déjeuner débat consacré au «Top 10 administration tunisienne
2009».

La mission ne paraît pas aisée, pour certains, elle relèverait même de
l’impossible. Qu’à cela ne tienne, elle en vaut largement la peine, affirme
M. Bahri. Le cas de l’administration tunisienne, à l’instar des autres
administrations dans le monde, n’est pas aussi désespéré qu’on le pense. Il
suffit d’ailleurs de voir que grâce aux efforts fournis par certaines
d’entre elles, elles avancent en classement. A voir le sondage réalisé par
les jeunes dirigeants auprès d’un échantillon de 103 jeunes promoteurs
répartis sur tout le territoire national, on réalise qu’il y en a qui ont
amélioré leurs scores contrairement à d’autres.

Ainsi, et suivant les critères établis, à savoir la facilité d’accès, la
rapidité, l’efficacité et la grande capacité d’écoute auprès des usagers, la
poste a gardé sa place de leader depuis 2006 en tant que meilleure
administration, en seconde place et au niveau de la facilité d’accès, l’API
a été supplantée par Tunisie Télécom, la direction générale des douanes,
classée 10ème en 2006, gagne deux places en 2009.

Pour améliorer les performances de l’administration, l’Etat a mis en place
tout un programme. Un programme qui s’inscrit dans le sens de la création
d’un nouveau cadre référentiel pour l’administration tunisienne. But
recherché ? Etre au service des citoyens et participer de manière efficiente
au développement de l’économie du pays, à son rayonnement à l’international
et à l’amélioration de son positionnement dans une démarche qualité
généralisée à l’ensemble des structures de l’appareil exécutif. Une démarche
à laquelle sera associé le leadership, ministres compris, sans lesquels rien
ne peut être entrepris et ce au niveau de tous les départements. «Les
ministres sont déjà imprégnés du programme», a précisé Tarek Bahri.

Le référentiel pour sa mise en application tient compte des critères
appliqués dans les pays développés. En 1996, la Tunisie a lancé la démarche
qualité par la mise à niveau. En 2000, c’était l’iso 9001 mais on a alors
réalisé que le procédé s’adaptait plus au tissu industriel qu’à
l’administration au vu des résultats non concluants. «Ce que nous
envisageons aujourd’hui, c’est identifier les services administratifs les
plus à même de répondre aux attentes des citoyens et de mettre en place les
outils destinés à s’approprier les techniques de management de qualité. Sauf
que, même si l’initiative de créer une unité Qualité des services
administratifs est louable en elle-même, il reste que c’est l’administration
qui s’auto-évalue. Il faudrait espérer faire participer des éléments
indépendants tels des experts ou des représentants du secteur privé…

«Une panthère qui ne court pas aussi rapidement qu’on le pense…»

C’est ainsi que s’est exprimé un jeune dirigeant venu spécialement de Gabès
à l’occasion du petit déjeuner CJD. Il désignait par ce descriptif, l’ADSL
qui n’est pas des plus performants dans sa région sans parler des lignes
télécom qui peuvent être coupées à tout moment empêchant ainsi les fax
d’arriver à destinations dans les temps. «Nous sommes obligés d’avoir une,
deux ou même trois lignes de fax pour parer à l’éventualité d’une panne qui
toucherait l’une d’elles», a-t-il précisé.

Pour les JD, l’Administration tunisienne souffre de fléaux tels les
procédures étouffantes, les délais d’attente et de réponses trop longs, le
manque de réactivité, sans parler des mesures inefficaces par rapport au
marché parallèle. Du sentiment de beaucoup de personnes, même au sein de
l’Administration, ce ne sont pas les plus compétents et les plus méritants
qui occupent les meilleurs postes. Et contrairement au secteur privé, un
employé non productif, non performant et inefficace a un sentiment de totale
impunité quoiqu’il fasse, ce qui ne l’incite pas à faire des efforts en
direction de son administration ou des usagers.

En fait, l’un des plus grands maux de l’Administration réside dans la
qualité de ses ressources humaines.

Sans parler de la dimension culturelle, comment le Tunisien, qu’il soit
fonctionnaire ou non, se sent concerné par les affaires de son pays et
partie prenante dans son développement ? A-t-on envisagé de mettre en place
une stratégie communicationnelle, des campagnes de sensibilisation afin
qu’il prenne conscience de son rôle en tant que citoyen dans la
participation à l’essor de son pays à tous les niveaux ?

«Qu’à cela ne tienne, assure M. Bahri, nous sommes décidés à nous attaquer à
tous les fléaux cités plus haut. Bien que j’aie la nette impression que
certaines critiques relèvent parfois de la caricature, notre administration
a pu quand même gérer les effets de la crise financière et économique de
mains de maître. Nous savons que la tâche ne sera pas aisée mais cela nous
rendra d’autant plus déterminés» ; et d’ajouter : «Imaginez ce que
représente une administration plus performante, plus efficace moins
dépensière pour un pays comme le nôtre, c’est 1 point de plus au PIB».

Le Monsieur qualité de l’Administration tunisienne compte suivre une
démarche stratifiée, à l’instar de ce qui a été entrepris en Europe. Le
front office mais aussi le back office sont concernés par la démarche
qualité. Il se positionne en tant que réformateur et il assure croire en sa
mission. Tarek Bahri affirme également tenir à être redevable des résultats
de son entreprise. Ce qu’il ambitionne, c’est arriver à mettre au point un
organe d’intelligence économique et de gouvernance publique. Objectif :
soutenir la compétitivité entrepreneuriale, sécuriser l’économie, mettre en
place un dispositif de gouvernance de bonnes pratiques, établir des chartes
droits et devoirs qui doivent être appliquées tant par le fonctionnaire que
par l’usager.

Mais il œuvrerait également à réduire le gaspillage, à rationaliser les
ressources et, très important, à mettre en place un programme spécialement
dirigé vers les régions car, comme le disent les jeunes promoteurs, si la
capitale et les grandes villes souffrent de la machine administrative, les
régions en souffrent plus.

Toutefois et malgré toutes les mesures et tous les programmes que pourrait
mettre en place l’Etat pour réformer l’Administration, la moraliser et
améliorer ses performances, on ne pourrait espérer réaliser les résultats
escomptés dans l’ombre de situations matérielles et financières peu solides
et donc très fragilisantes. Situations qui rendraient certaines catégories
de commis de l’Etat plus vulnérables par rapport à la corruption comme ces
pratiques dont on parle très souvent tels les pots de vin perçus par
certains d’entre eux.

Jalel Belkhoudja, jeune dirigeant, avait remarqué à ce propos : «La
reconnaissance de la performance au sein de l’Administration doit passer
obligatoirement par l’augmentation des salaires et ceci tout d’abord en la
rajeunissant par des départs anticipés en retraite, en réduisant les
effectifs au sein de certaines d’entre elles et en essayant de garder les
élites pour ne pas vider les administrations de leur consistance. Tout ceci
pour réduire la corruption car c’est devenu un fléau qui gangrène le pays».