«Je n’ai vu
		aucune aide dans le monde qui a ce record d’efficacité.  C’est la
		première fois que je vois un argent public aussi bien utilisé», a
		déclaré Maurice Ribonnet, expert français dans un film documentaire
		réalisé à la fin du PDE I et au démarrage du PDE II. Le succès du Famex,
		c’est 1 dinar de subventions et 10 dinars d’exportations additionnelles.
			
			Chaker, le premier tunisien à la tête du Famex, ce  programme leader
			dans le soutien des exportateurs tunisiens pour l’accès aux nouveaux
			marchés, est parti  diriger un programme similaire en Jordanie.
Dans la grande interview qui suit, l’expert en exportation qu’il est
			et qui,  pendant plus de 9 ans, a présidé aux destinées du Famex et
			a accompagné des dizaines d’entreprises tunisiennes dans leurs
			missions de conquêtes des marchés internationaux, s’exprime.
Webmanagercenter : Au bout de votre parcours au Famex, pensez-vous que
		ce programme a réussi à développer de nouveaux marchés à l’export pour
		les entrepreneurs tunisiens ?
Slim Chaker : Le programme du Famex a été mis en place pour pousser les
		chefs  d’entreprise à s’attaquer à des marchés étrangers; il ne les a
		pas orientés vers un marché plutôt qu’un autre. Le principe est que le
		chef d’entreprise connaît mieux que quiconque où se trouvent les
		meilleures opportunités pour son business. En plus du Famex, il y a le
		Cepex et d’autres outils complémentaires de soutien comme les chambres
		de commerce et les fédérations de l’UTICA. Toutes ces structures
		s’accordent à dire qu’il faut s’attaquer aux marchés où la Tunisie n’est
		 pas assez connue et qui renferment des potentialités importantes.  Pour
		ce, il faut mettre un plan d’action concerté entre tous les acteurs de
		l’économie tunisienne, l’Etat y compris.
Peut-on
		considérer le marché asiatique comme porteur pour les exportateurs
		tunisiens ?
Est-ce que le marché
		asiatique est porteur ? D’une manière générale, dans chaque marché, il y
		a moyen de s’introduire, parce qu’il y existe des débouchés. Les
		Tunisiens peuvent toujours trouver des créneaux parce que leurs produits
		sont relativement différents des autres, je pense principalement à
		l’agroalimentaire, les dattes, l’huile d’olive et le couscous. Tous les
		pays asiatiques où il y a de grandes communautés musulmanes constituent
		pour nous des niches intéressantes. Ils apprécient tous les labels
		halals. Plus encore, le Japon qui ne l’est pas est en train d’acheter
		chez nous des quantités phénoménales de poissons et de thon.
	
Et là se pose la
		question de la valeur ajoutée, de la labellisation. Tout Japonais qui,
		chaque jour, prend du thon à son petit déjeuner, sait-il qu’il est en
		train de consommer du thon tunisien ? Cela m’étonnerait. A mon avis le
		problème n’est pas de savoir si nous pouvons nous y imposer ou pas mais
		savoir si nous y sommes bien préparés.  
Il s’agit aussi de
		changer de mentalités en essayant de travailler en pool et d’abandonner
		l’esprit individualiste tout comme il faut savoir que nous ne pouvons
		pas conquérir tous les marchés mais choisir quelques-uns et chercher à
		les développer. Le travail en amont et en aval est très important. Ce
		qui implique que, pour aller sur un marché, il faille se poser la
		question : qu’avons-nous préparé pour le conquérir, et que pour nous y
		implanter et de quoi avons-nous besoin ? 
Réponse : le minimum
		vital est de maîtriser l’anglais, ce qui n’est pas le cas en Tunisie, or
		quand vous voulez vendre quelque chose, surtout dans une phase de
		découverte mutuelle, il faut bien communiquer et comment communiquer
		sans la maîtrise de la langue et comment convaincre si on ne communique
		pas. Résultat, il est difficile de vendre. 
Que faire pour
		remédier à pareilles situations ?
		Le commerce des biens
		et surtout des services s’établit sur une relation de confiance d’homme
		à homme qui passe par la maîtrise d’un même langage. Lorsque je parle
		avec un Français, je peux savoir, uniquement à travers l’intonation de
		la voix, où je dois m’orienter et comment riposter. Parfois en
		rebondissant sur une réflexion ou une hésitation et en sortant une
		anecdote, je peux instaurer un courant de sympathie qui crée un argument
		supplémentaire qui incite à l’établissement de relations
		professionnelles. Donc, tant que le Tunisien n’aura pas commencé à
		apprendre à la maternelle la langue anglaise, la Tunisie sera coupée du
		marché mondial des affaires. C’est ce que doivent
		comprendre définitivement la plupart des Tunisiens.
L’Asie est un marché
		anglophone. Pour le conquérir, il faut un investissement de vingt-cinq
		ans. Cela ne relève pas uniquement des responsabilités du Famex, du
		Cepex ou du Programme de mise à niveau. Il s’agit là d’un choix
		stratégique pour l’économie du pays. Tous les programmes de promotions
		ne seront pas efficaces si on n’arrive pas à parler couramment
		l’anglais : la langue internationale des affaires. L’anglais doit
		devenir une deuxième langue maternelle. Il ne s’agit pas d’une simple
		maîtrise, c’est comme lorsque nous parlons de foot, oui nous avons des
		équipes qui jouent au foot et nous héritons de longues traditions en la
		matière. Nous participons à la Coupe du Monde, à la Coupe d’Afrique des
		Nations, mais avons-nous des Tunisiens qui jouent dans des grandes
		équipes européennes comme le Real Madrid, Ajax Amsterdam ou Manchester
		United ? Non. Parce que nous n’avons pas de champions. C’est pareil pour
		l’anglais à quelques exceptions près.
Mais ce ne sont pas ces
		exceptions qui feront la promotion de la Tunisie, c’est le rôle de toute
		la masse. C’est un virage radical que le pays doit prendre, ce n’est pas
		en introduisant quelques heures d’anglais à gauche et à droite que nous
		ferons bouger les choses. L’environnement dans lequel nous vivons doit
		changer, car si vous ne maîtrisez pas la langue, vous ne pouvez pas
		vendre, même si vous mettez en place des Rolls Royce en matière de
		promotion des exportations. En Tunisie, il n’y a même pas de salle de
		cinéma qui passent des films en anglais.
Pour résumer le tout,
		nous n’avons pas de culture anglophone. Il faut que ça change.
Donc d’après
		vous, nous ne devons pas attendre grand-chose de ces marchés ?
		Nous ne pouvons pas en
		espérer grand-chose. Il s’agira toujours de petites quantités, de petits
		volumes, de petits montants. Pour passer à une vitesse supérieure, il
		faut que nous changions de procédés. En Indonésie, nous pouvons
		commercialiser pas mal de produits. En Chine, pour vendre, il faut aller
		voir ce qui se passe sur place et plonger dans la culture chinoise.
		Combien de personnes sont-elles en train de le faire ?
Peut-être parce
		qu’elles n’y croient pas ? Ou que c’est un marché qui bloque ?
On n’a pas à avoir des
		blocages. En France, un programme similaire au Famex s’est fixé pour
		objectif d’emmener près de 10.000 hommes d’affaires en Chine entre 2008
		et 2009. Si parmi eux 500 réussissent à y décrocher des projets, le
		succès est garanti. Les multinationales françaises s’y sont déjà
		installées. Ceci sans oublier ce que les Anglais sont en train de faire
		et Dieu seul sait à quel point ils sont forts.
Je rebondis sur le
		premier point pour vous dire que malgré le fait que je sois au courant
		de ce qui se passe en France, je ne sais pas ce qui se passe dans les
		pays anglophones. C’est ce problème de culture, nous restons orientés
		France et nous n’arrivons pas à décrocher. Nous n’avons pas assez de
		curiosité intellectuelle pour aller voir ce qui se passe du côté des
		pays anglophones.
Si nous voulons
		conquérir le marché chinois, à mon avis, il faut  que les entrepreneurs
		prennent leurs valises et y passent un mois, revenir y passer deux
		semaines et ainsi de suite jusqu’à y trouver des niches. C’est un marché
		tellement vaste que nous pouvons certainement y dénicher des créneaux.
		Le problème n’est pas de vendre, c’est aussi celui de produire; mais
		quelle est notre capacité d’offre aujourd’hui ? La capacité d’offre de
		la Tunisie est faible par rapport à la demande du marché mondial. C’est
		un problème non négligeable.
Nous avons un autre
		problème et de taille, celui du positionnement marketing, c’est qui se
		passe pour l’huile d’olive. A ce jour, nous n’avons pas réussi à
		labelliser nos produits et c’est pour cette raison que nous perdons des
		marchés. Donc, de la capacité d’offre limitée, nous passons au problème
		du positionnement marketing. Un même produit, nous pouvons le
		commercialiser sous différentes formes : bas de gamme, moyenne gamme ou
		haut de gamme, tout dépend de la manière de le présenter : l’emballage,
		le label, le prix de vente, la qualité de la campagne publicitaire, etc.
		Le contenu est pourtant le même, c’est le contenant qui change. Vendre
		de l’huile d’olive grâce aux Italiens et aux Espagnols veut dire que
		nous ne nous sommes jamais cassés la tête pour aller au-delà du stade de
		simples producteurs. Pourquoi ne pouvons-nous pas faire plus ? Regardez
		la confection, nous avons été des sous-traitants, c’est très bien,
		pourquoi n’avons-nous pas évolué ? Après trente-cinq ans de traditions
		dans le secteur des textiles, nous ne sommes pas passés à la vitesse
		supérieure. Qu’est-ce qui nous empêche de le faire ? Quelques groupes
		ont pourtant évolué vers l’intégration d’une marque dans le marché
		international en créant leurs propres circuits de distribution.
Alors où est-ce
		que le bas blesse ?
Il faut comprendre que
		l’exportation n’est pas un travail de court terme et qu’il nécessite de
		grands moyens et de grands investissements. Tant qu’on continuera à
		penser que l’exportation est un acte de gestion courante et que les
		résultats doivent être immédiats, il y a un problème. L’exportation a
		besoin de moyens et de temps. Il faut travailler sur dix ans. Ce n’est
		pas par hasard aujourd’hui qu’au Famex nous commençons à récolter les
		fruits de notre travail sur l’Afrique. Le Famex a encadré des petites
		PME pendant dix ans, nous avions formé des entrepreneurs qui n’étaient
		pas des exportateurs, aujourd’hui, ils ont des franchises à
		l’international et vendent leurs franchises. C’est extraordinaire de
		voir des sociétés qui n’étaient pas exportatrices, il y a dix ans,
		évoluer grâce au Famex, à la mise à niveau, au Cepex, grâce à une bonne
		gestion et une bonne stratégie marketing et qui, pour pouvoir se
		développer, ont mis en place une logistique qui leur a permis d’être
		performantes à l’international. 
Vendre une franchise
		veut dire deux choses : tout d’abord que nous vendons du brainstorming
		tunisien donc du 100% valeur ajoutée sans parler de l’image sur la
		Tunisie et de l’impact des retombées sur la Tunisie. L’entreprise qui
		vend une franchise a réussi à écouler ses produits avec un minimum
		d’investissement puisqu’en la vendant, elle donne le produit et
		pérennise ses activités d’exportations. Grâce au système de franchise,
		les exportations se font de manière automatique, la réputation est
		faite.
Il faut que nous
		disposions de la logistique qu’il faut pour exporter nos produits pour
		que le chef d’entreprise ne perde pas son temps à tâtonner dans les
		marchés étrangers, il faut œuvrer à le doter du soutien qu’il faut pour
		qu’il réussisse à se créer une place de choix sur les marchés étrangers.
Que faut-il
		faire pour développer l’exportation de la manière la plus efficiente ?
Les choses évoluent
		rapidement, il faut être à jour, bien communiquer avec les chefs
		d’entreprise, voir où ça coince et pourquoi et essayer d’éliminer les
		entraves de nature à ralentir leurs efforts pour s’imposer à
		l’international. Il faut aussi que les entrepreneurs sachent où vendre
		et à qui vendre.  Nos hommes d’affaires sont bien outillés par rapport à
		nos concurrents, pas par rapport  aux pays développés.
		
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D’un autre côté, il
		faut repenser nos stratégies commerciales. Commercialiser des produits
		tunisiens de qualité dans des hypermarchés alors que nous avons une
		capacité de production très faible me choquerait toujours. La Tunisie
		devrait vendre ses produits alimentaires de qualité supérieure dans des
		boutiques gourmets. Il faudrait investir ce qu’il faut dans l’emballage
		et le marketing et ne pas vendre à des prix dérisoires, vendons du rêve,
		vendons un label. Nos produits,  contrairement à d’autres, ont un goût
		grâce à la qualité de notre climat, notre soleil, nos terres qui ne sont
		pas saturés de fertilisants et de produits chimiques.
Quels sont les
		pays desquels nous pouvons nous inspirer pour développer nos échanges
		commerciaux ?
En matière de
		procédures, Hong Kong, là-bas vous pouvez sortir un container en deux
		heures. Même chose à  Abu Dhabi, à Djebel Ali, dans tout ce qui touche
		au commerce extérieur, ils sont de loin plus évolués. Ce qu’il faut
		saisir, c’est apprendre à profiter de leurs expertises et les intégrer
		dans notre pays pour que ça fonctionne rapidement dans le but de
		faciliter la tâche au chef d’entreprise afin qu’il concentre tous ses
		efforts sur le marché international.
Libéraliser le
		commerce ne menacerait-il pas les produits tunisiens ?
La globalisation de
		l’économie fait que de nos jours, le fait d’importer des produits même
		de manière substantielle n’est pas un handicap; si j’importe bien et
		vite même pour le marché local, je suis plus performant à l’export.
		D’autant plus que si nous voulons faire de la Tunisie un carrefour pour
		le commerce international, il faut limiter notre politique
		protectionniste par rapport aux produits locaux. S’il y a des produits
		étrangers qui arrivent dans notre pays, il faut apprendre à obéir aux
		lois du marché sans oublier que ceux qui vont commercialiser leurs
		produits sur place vont faire travailler une main-d’œuvre locale.
Quels sont les
		autres handicaps à l’exportation en Tunisie ?
	C’est le transport dans
		tous ses paramètres : la disponibilité, la fréquence et le coût.
	
Et au niveau de
		la législation,  le nouveau code de Douanes, les formalités douanières ?
Le nouveau code des
		Douanes ne peut être, selon moi, qu’avantageux et efficace parce qu’il a
		été conçu par des personnes compétentes. Là où ça bloque, c’est le
		passage de cette capacité extraordinaire de réflexion à un travail de
		terrain de tous les jours. Le problème de notre pays, c’est cette
		capacité à faire la jonction entre le théorique et le pratique, entre le
		stratégique et le terrain.
Comment réussir
		cette équation ?
Nous avons besoins d’un
		temps considérable pour que les rouages se mettent en place. Comment
		faire en sorte que la procédure qui doit durer un mois prenne dans un
		premier temps uniquement 15 jours et dans un deuxième temps 5 jours et
		dans un troisième 1 jour seulement; c’est le défi qui nous attend. Tout
		le travail doit se faire au niveau de la rapidité de l’exécution de
		toutes les tâches. La ressource rare est aujourd’hui le temps et c’est
		cette mutation stratégique que nous devons réussir à opérer au niveau de
		notre pays. Aujourd’hui, je suis plus fort parce que je suis plus
		rapide, je maîtrise plus de temps et  je suis plus réactif. Il ne s’agit
		pas d’un problème d’argent, ou d’idées. Le Tunisien est très bien formé
		par rapport à d’autres pays. Ce qu’il faut, c’est une rapidité au niveau
		de l’exécution et la capacité de passer rapidement des concepts
		théoriques très brillants adaptés à nos besoins, parce que notre talent
		nous permet de créer nos propres concepts et non pas de les copier, à la
		mise en application rapide sur terrain.
La Tunisie a inventé
		des concepts qu’elle a exportés ailleurs comme la BTS, le Fonds 26/26,
		le Fonds 21, et la banque de l’habitat.  
	Il faut également que
		nous changions de vision par rapport à la perception des ressources
		rares, la seule ressource rare aujourd’hui est le temps et la vitesse
		avec laquelle on évolue par rapport à nos concurrents et au reste du
		monde. Ce sont ceux-là les véritables enjeux pour la Tunisie.
Les Tunisiens
		doivent-ils se former aux Etats-Unis pour devenir plus efficaces dans
		leurs conquêtes des autres marchés ?
	Oui, j’en suis
		convaincu. Faisons un petit calcul très simple. Prenons les mille
		premiers bacheliers tunisiens, envoyons-les aux States pour y passer
		cinq ans. Un Tunisien qu’on enverrait aux Etats-Unis pour seulement une
		année, reviendrait à peu près à 30.000 $. Multiplions ce chiffre par
		1000 sur cinq ans, cela reviendra à 150 millions de $. Parions sur les
		30 ou 20% qui rentreront au pays. Ceux qui choisiront de rester sur
		place exerceraient un effet d’entraînement sur la Tunisie qu’on le
		veuille ou pas. De quelle manière ? En faisant connaître la Tunisie,
		politique d’image, tous ceux qui étudieront avec eux seront curieux de
		découvrir le pays d’où viennent leurs camarades d’études, ces Américains
		viendraient en vacances juste pour voir à quoi ressemble la Tunisie, et
		enfin les Tunisiens qui s’installeront là-bas seraient bien positionnés
		sur les marchés les plus côtés au monde. 
		Grâce à eux, nous
		aurons un pont avec les Etats-Unis. Quant à ceux qui reviennent, ils
		arriveront avec les meilleures pratiques, les meilleures technologies et
		les meilleures idées, investiront et développeront l’économie du pays.
		Si on lance ce programme sur 10 ans, nous verrons qu’il nous rapportera
		avec un taux de retour de 20%, le double de la capacité d’exportation
		que le pays a mis trente ans à créer. Il faut que la Tunisie le
		comprenne et mette ces  300 millions de$ sur la table. Les résultats
		seraient garantis. N’oublions pas que nous avons uniquement quatre mille
		entreprises exportatrices aujourd’hui en Tunisie dont 50% sont des
		entreprises étrangères
 Que représente la
		somme de trois cents millions de dollars  dans la vie d’un pays ?
			
		
Rien
		du tout. Les Américains disent «Think out of the box», ce qui signifie :
		sortir des sentiers battus et aller vers autre chose.
		


