Quand j’étais plus jeune, j’aimais lire St Exupéry et me prenais quelques fois pour «Le Petit Prince», m’imaginant bien entendu plus princesse que prince. Je demandais innocemment «Dessine-moi un mouton…». Souvent, après quelques lignes, je m’endormais aussi vite par insouciance due à mon jeune âge.

Des années plus tard, avec la perte de mes illusions, j’ai non seulement envie, mais besoin aussi –et d’urgence– de revoir mon atlas du monde. Il me faut non seulement relire mes manuels d’histoire, mais demander à mon géopoliticien: «s’il te plaît, redessine-moi le monde».

Dans la pratique, il est de tradition de contempler ce qui se passe chez les autres. Loucher sur l’assiette du voisin au restaurant est une pratique courante. Zyeuter la femme du prochain, envier le dernier 4×4 du copain, avoir les yeux plus gros que le ventre… sont des pratiques que vous et moi pratiquons au quotidien.

En politique, quand on commence à pousser, sinon tenter, de pousser ses limites chez le voisin, il fut un temps où l’on appelait cela de la colonisation. Des guerres, quelques crises économiques, quelques crises ou spectres de crises alimentaires plus tard, cela s’appelle d’une manière chic et élégante la location de concessions agricoles. Je ne sais pas si le fait que quand j’étais plus jeune, je faisais partie de ceux qui jouaient plus à «Richesses du monde» qu’à «Monopoly» y est pour quelque chose. En tout cas, le dernier jeu à la mode est celui de repousser les «frontières transcontinentales».

Dans la vraie vie, la recherche effrénée de terres arables pousse l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) à mettre en garde contre les risques de “néocolonialisme”. Le quotidien britannique The Guardian affirme que la flambée des prix alimentaires à l’échelle mondiale a d’ores et déjà déclenché une deuxième “ruée” vers l’Afrique, certains pays riches dépendant ou pas des importations veulent «externaliser» leur production alimentaire nationale en prenant le contrôle d’exploitations agricoles à l’étranger. L’ONG Grain dresse une liste de pays «accapareurs» de terres qui chercheraient à garantir à leurs populations leurs nourritures, mais pas seulement. L’ONG cite, entre autres : l’Arabie Saoudite, le Japon, la Chine, l’Inde, la Corée, la Libye et l’Égypte….

A titre d’exemple, Daewoo Logistics, un groupe sud-coréen, a conclu avec le gouvernement malgache un accord portant sur la location de 1,3 million d’hectares de terres pour 99 ans. La superficie représente la moitié des terres arables de la grande île et la firme prévoit de produire 500.000 tonnes par an d’huile de palme dans la partie est de Madagascar, et 4 millions de tonnes par an de maïs dans la zone ouest où la location porte sur un million d’hectares.

Ce pays asiatique est 4ème producteur mondiale de maïs et désormais il faudra compter avec son maïs cultivé en Afrique.

Quand j’étais lycéenne, on présentait les fiches pays par superficie, proportion des terres arables, production… Je me demande, du coup, comment les manuels vont comptabiliser cette production. Comment vont-ils comptabiliser ces extensions géographiques ?

Comment vont être comptabilisées ces productions ? Les terres arables de la Corée plafonnent à 24%, celles de la Chine à 16%, du Japon à 12%, du Bahreïn à 2,8%…

Mais qu’est-ce à dire ? L’exploitation des terres agricoles en Afrique par d’autres pays et par les multinationales étrangères pose aussi le droit à la propriété foncière. L’Afrique souffre. Elle souffre depuis longtemps et devient la scène où tout se joue, sur fond de crise, de panique, de recherche de survie, sinon de profits. Non pas que l’accaparement des terres n’existe pas depuis des siècles. Cela, je m’en souviens encore.

D’ailleurs, durant mon adolescence, il me plaisait de rêver un monde sans frontières, où régnerait une sorte de «Peace and Love» généreux et balayant toutes les inégalités. J’ai vite désenchanté et compris que mon petit prince se devait de dessiner le monde «de brutes» tel qu’il était. Je ne peux oublier que la découverte de l’Amérique a conduit à l’exclusion des communautés indigènes que l’on connaît, alors que d’autres se sont aussi emparés des territoires occupés par les Maoris en Nouvelle Zélande ou les Zoulous en Afrique du Sud.

L’Egypte, selon la presse du pays des pharaons, s’apprêtait à cultiver du blé pour sa propre consommation sur des terres ougandaises. La Jordanie a annoncé que son pays allait produire des aliments pour ses concitoyens sur des terres que lui avait attribuées Khartoum. L’Arabie saoudite «qui a renoncé, pour des raisons de coûts, à produire sur son territoire des céréales dont elle était devenue exportatrice sur le marché mondial», est aussi fortement intéressée. La pratique commence à s’étendre et la liste des pays qui ont ses visées s’allonge tous les jours.

Selon différentes sources, depuis mars 2008, la recherche de terres agricoles fertiles dans des pays comme l’Ouganda, le Brésil, le Cambodge, le Soudan et le Pakistan vont bon train. Cela s’appelle un échange de bons, mais lointains voisinages.