Crise financière : s’arrêtera, s’arrêtera pas ?

En état d’alerte maximum, les Etats ont fini par conclure, à
l’unisson, un pacte ‘’salutaire’’ de mobilisation générale, durant le week-end
le plus laborieux de l’histoire contemporaine. Devant autant de résolutions des
gouvernements, les marchés vont-ils retrouver la confiance ? Et, se reprendre
enfin ! Recouvrant leurs esprits, ils épargneront la sphère réelle préservant le
monde d’une issue qui pourrait tourner au tragique.

La manne providentielle

Mettant à profit le week-end (10-11-12 octobre), parenthèse de répit -de
dernière chance ?- tous les blocs, du G7 à l’Eurogroupe en passant par au le
G20, ont fait corps, dans une tentative conjointe de stopper la crise. Alors que
les bourses sont momentanément en retrait mais certainement aux aguets donc à
les observer, tous ont pris l’engagement d’apporter la manne providentielle qui
a manqué ces derniers jours dans l’espoir de terrasser définitivement la crise
financière systémique la plus sévère de l’histoire actuelle. Ils procureront les
liquidités mais aussi leur caution pour garantir les avoirs des déposants qu’ils
cherchent à monnayer au prix de la confiance des marchés. En empêchant la
machine du crédit de s’arrêter pourront-ils reconstituer ce «firewall», lequel,
une fois de retour, est seul capable de circonscrire la crise financière à la
seule enceinte boursière ? En coupant les ponts avec l’économie réelle, ils
pensent mettre le fléau en quarantaine et éviter une crise économique aux
conséquences incalculables.

Empêcher la faillite des banques «systémiques»

Les banques sont dans l’œil du cyclone qui menace de les emporter. Aussi, les
ministres des Finances et les banquiers centraux ont-ils fait chorus pour
empêcher la faillite des banques. Tant pis si le libéralisme en prendra un coup
et au prix de cette «hérésie» doctrinaire, on recapitalisera les banques, quitte
à les nationaliser momentanément. Cette «libéralité» sauvera le système d’une
banqueroute générale. C’est le point focal du plan de sauvetage unanimement
adopté. Initié dans l’urgence par les Etats-Unis, puis minutieusement élaboré
par la Grande Bretagne dès le jeudi 9 octobre, il sera rallié au cours du
marathon du vendredi 10 et du samedi 11 respectivement par le G7 et le G 20 pour
être ensuite adopté par l’Eurogroupe dimanche 12. Empêcher coûte que coûte les
banques de s’affaler. Cette croyance est partagée par tous. Elle a même nourri
une mini polémique entre Christine Lagarde, ministre française des Finances et
son homologue américain Henri Paulson, «coupable» à ses yeux d’avoir laissé
couler la banque Lehman Brothers alors que quelques mois plus tôt le
gouvernement américain avait sauvé de la faillite Bear Stearnes. C’est cette
négligence fatale qui a déclenché la crise de confiance mettant le feu aux
poudres. Là-dessus le marché s’est mis à tanguer et a perdu la raison. La
consigne en pareille circonstance c’est sauve qui peut et alors on éjecte à tout
va. On connaît la suite.

Marché interbancaire : injecter les liquidités, à fond la caisse

Seconde résolution, mais tout aussi vitale pour la reprise, l’injection de
liquidités «publiques» sur le marché interbancaire ce lieu où les banques se
prêtent entre elles. En se crispant, les banques ont grippé le système de
distribution du crédit qui joue le rôle de respirateur pour l’économie. On
comprend donc que les Etats se soient engagés à y injecter ce qu’il faut de
liquidités pour faire redémarrer la pompe du crédit évitant d’impacter la sphère
de l’économie réelle.

La caution des Etats pour les emprunts bancaires

Autre mesure et non des moindres, dans cette logique de réenclencher la
confiance est la décision des Etats à apporter leur caution aux émissions des
banques. Ce gage de solvabilité doit- a priori- faire revenir dans le circuit
l’épargne qui l’a déserté. Et là on verrait la boucle se refermer. Tout
rentrerait dans l’ordre ? wait and see.

Et ensuite, what else ?

Tout est paré –encore une fois en théorie- pour juguler la crise. L’étape
ultime sera d’en conjurer définitivement les racines et de s’attaquer aux causes
profondes en réformant le système. Davantage de réglementation et plus de
régulation sont les maître mots pour la refondation du capitalisme tel que
déclarés par Nicolas Sarkozy lequel s’exprimant en qualité de président du
Conseil de l’Europe annonce que la prochaine étape consistera à «convaincre les
amis américains de s’atteler avec eux à une refondation de la finance mondiale».
Vaste programme. Dans l’intervalle, et même sans attendre, aujourd’hui, les
marchés prendront position sur le plan de sauvetage. Nous y reviendrons.

Les interrogations qui intriguent

En cours de crise, on a observé bien des sujets qui prêtent à interrogation.
Le FMI est monté au créneau avec une relative discrétion et en différé, alors
qu’il est le principal garant du système financier mondial. C’est la présidence
du Conseil de l’UE qui a, tambour battant, fait valider le retour en force des
pouvoirs publics et toutes les prescriptions qui en découlent. Par ailleurs, les
Banques centrales, pour avoir bravé les dispositions du «pacte de stabilité» qui
prescrit un plafond de déficit public de 3% du PIB, n’ont consenti que des
baisses minimes de leur taux directeur, un maigre demi point 0,50% en moyenne
(50 points de base), c’est une dose homéopathique alors que la situation
nécessite un traitement de choc. Elles ont été timorées dans les faits et
téméraires en principe. On s’explique difficilement cette attitude. La FED (la
Réserve fédérale américaine), en 2003, a bien comprimé son taux pour l’amener
progressivement de 6,5% (en 2000) à 1% en juin 2003. D’autre part, les Banques
Centrales ont accepté d’agir de concert mais ont communiqué différemment et même
à contresens. Alors qu’il était attendu pour annoncer une baisse du taux, Ben
Bernanke, le président de la FED, vient confirmer la puissance du mal. Harry
Paulson, SE au Trésor, ajoute que des faillites sont encore à redouter et DSK
(Dominique Strauss Kahn, le Directeur du FMI) confirme avec l’autorité qui lui
revient que la croissance en 2009 sera dérisoire (0,1 %) aux Etats-Unis et
presque autant en UE. Seul J.-C Trichet, gouverneur de la BCE, a attiré leur
attention sur le fait que ‘‘le pessimisme’’ ne doit pas être de rigueur.

La crise de trop

Au vu de la panique qui s’empare des esprits, est-ce la fin du capitalisme ?
Même si la détermination et la mobilisation en vue de la refondation du système
financier est à l’ordre du jour et que le FMI est décidé à la mener à chaud à
même l’instant, cela ne précipite en rien la fin du capitalisme. Cette crise a,
par contre, sonné le glas du libéralisme ultra. De quel nouvel ordre mondial
accouchera la présente crise ? Mystère ! Toujours est-il que dans son sillage,
on a enrichi la sémantique de deux expressions nouvelles. Après les créances
carbonisées, voilà les créances toxiques. Et, après le network international, on
découvre la banque systémique, celle-là même qui, de par sa taille, peut faire
du tort, quand elle est en difficulté, à l’économie d’un pays. On remarquera au
passage qu’en ces temps de mondialisation avancée, le nationalisme financier est
encore vivace. Les banques en difficulté ont pour la plupart été absorbées par
des concurrentes nationales, ainsi en est-il de Bearn Stearnes qui a été
engloutie par JP Morgan, de Merrill Lynch qui a atterri chez Bank of America, ou
en Europe de Dexia qui a fini dans l’escarcelle de BNP laquelle devient premier
réseau d’Europe. Les dépôts clientèle de la BNP atteignent, selon une dépêche de
l’AFP, du lundi 6 octobre, 600 milliards d’euros, soit environ 1.000 milliards
de dinars, Brrr !

La cellule de veille à la Banque Centrale de Tunisie

A Tunis, la cellule de veille est déjà sur pied. Elle opère un distinguo
entre l’impact direct de la crise, c’est-à-dire ses effets immédiats, et
l’impact qui pourrait se manifester à plus longue échéance. L’impact immédiat
est dans le renchérissement des taux. Le Gouverneur de la BCT, dans un
communiqué, a déclaré que les marchés ont relevé leur taux pour les «souverains»
des pays émergents. Alors que la marge sur les émissions d’Etats de maturité de
5 et 10 ans, étaient de 0,5 % environ, elles sont brusquement passées à 2%. De
ce fait, la Tunisie ne procédera pas d’emprunt, au moins à horizon d’une année.
Par ailleurs, une indication stratégique devra être indiquée aux banques pour
mieux contenir leurs engagements en crédits logement et s’orienter
progressivement vers les autres secteurs d’activités. Une fois encore, le pays
est conforté dans son choix de libéralisation du dinar. L’option de
convertibilité courante du dinar, à l’usage des opérations économiques et de la
gestion administrée des opérations en compte capital de sorte à prévenir
l’afflux de la «hot money» qui est prompte à se replier en cas de crise et dont
le reflux peut impacter gravement le cours de la devise du pays d’accueil.

Quid de la Bourse de Tunis

La réglementation actuelle des changes préserve la bourse de Tunis de l’effet
de contagion. La part des investisseurs internationaux dans la capitalisation
nationale est de l’ordre de 25 %. Le Gouverneur de la BCT, de l’affirmer avec
pédagogie : il s’agit d’investisseurs de référence et non d’investisseurs
financiers. Donc, il n’y a pas à redouter un quelconque reflux comme le laissait
présager la rumeur qui a circulé pendant un certain temps et que la stabilité de
l’indice a fini par démentir. On a pu constater en effet un petit mouvement de
panique avec des débouclages précipités pendant lesquels il semblerait que les
Intermédiaires en Bourse aient servi en priorité les «gros portefeuilles», ce
qui a nécessité un rappel à l’ordre de la part de l’autorité du marché, le CMF,
pour traiter équitablement les épargnants sans discrimination.