Le parc Ichkeul est-il vraiment sauvé ?


Par Abou SARRA

L’Agence nationale de
protection de l’environnement (ANPE) a mis à profit la célébration du 20ème
anniversaire de sa création pour revenir sur une sucess story de
l’écosystème en Tunisie : le retrait du parc Ichkeul de la liste du
patrimoine mondial en péril (10 juin 2008).

 

Le site, qui recense
environ 230 espèces animales et plus de 500 espèces végétales, est en effet
reconnu comme une des quatre principales zones humides du bassin occidental
de la Méditerranée (avec Donana en Espagne, la Camargue en France et El Kala
en Algérie).

 

Cette réserve, localisée
à 75 km au nord de Tunis, est composée de trois entités paysagères (le lac,
les marais, et la montagne), s’étalant sur 12.600 hectares, présente une
richesse exceptionnelle en faune et en flore sauvage. Elle est l’un des
rares sites au monde inscrit sur trois conventions internationales.

 

Il s’agit de la liste des
sites naturels du patrimoine mondial de l’UNESCO (1979), la liste des
réserves de la biosphère de l’UNESCO (1977) et la convention RAMSAR (1980)
qui reconnaît le lac et les marais d’Ichkeul comme zone humide d’importance
internationale en tant que lieu d’hivernage de milliers d’oiseaux d’eau
migrateurs, parmi lesquels certaines espèces sont menacées.

 

Depuis 1996, date à
laquelle le parc a été inscrit sur cette liste du patrimoine en péril, il a
été constaté que les effectifs des hôtes du lac, canards et foulques
hivernants ont baissé d’une moyenne de 200.000 individus à un niveau situé
aux alentours de 50.000 individus. Les oies hivernantes, consommatrices de
bulbes de scirpe, et dont les effectifs ont parfois dépassé 20.000 individus
pendant les années 1980, n’atteignent pas actuellement un millier d’oiseaux.

 

Idem pour les espèces
nidificatrices des roseaux. Hérons et aigrettes, mais également la sarcelle
marbrée menacée au niveau mondial, et la poule sultane ont disparu comme
nicheurs, et il n’y a pas depuis très longtemps d’observations d’érismature
à tête blanche (également menacée au niveau mondial), pourtant présentée
dans l’Ecomusée d’Ichkeul comme espèce caractéristique du site.

 

A l’origine de cette
dégradation de l’écosystème dans le site, les difficultés qu’a connues le
parc d’Ichkeul, durant les dernières années, difficultés liées
essentiellement à la baisse du niveau d’eau douce et l’augmentation de la
salinité du lac qui a provoqué une réduction du couvert végétal et le départ
de plusieurs espèces d’oiseaux.

 

En fait, le parc a été
victime d’une sous-évaluation par une étude menée au cours des années 1980.
Un programme de recherches a été exécuté sous l’égide du ministère de
l’Agriculture, avec la collaboration de University College London, du CNRS
français et de la Société Sogreah de Grenoble. Le financement de ce
programme a été assuré par la Direction Générale XII de la Commission
européenne, dans le but d’évaluer l’impact des barrages sur les écosystèmes
de l’Ichkeul.

 

Le Plan Directeur
envisageait, dans sa version originale, la construction de six barrages sur
les affluents d’Ichkeul dont les plus grands étaient les Barrages Joumine et
Sejnane. Le Barrage Joumine (avec un bassin versant de 418 km2 et une
capacité de 100 millions de m3 d’eau) est entré en fonctions en 1983, le
Barrage Ghezala (de superficie de bassin versant de 48 km2 et de capacité de
15 millions de m3) en 1984, et enfin, le Barrage Sejnane (de superficie de
bassin versant de 307 km2 et de capacité de 140 millions de m3) en 1994.

 

Conscientes des impacts
de ces barrages sur le milieu naturel de l’Ichkeul, les autorités
tunisiennes ont organisé en 1990 un séminaire international sur l’Ichkeul.
Le principal résultat de ce séminaire fut la décision d’entreprendre une
étude pluridisciplinaire, plus complète que les études précédentes, de tous
les aspects biotiques et abiotiques du Parc National.

 

Entreprise entre 1993 et
1995 sous l’égide de l’Agence nationale de protection de l’environnement,
cette étude, intitulée “Etude pour la Sauvegarde du Parc National de l’Ichkeul”
(financée par un don allemand de la Kreditanstalt für Wiederaufbau – KfW), a
été exécutée par un groupe d’experts multidisciplinaire et multinationale.

 

Vu le risque de
changement de ses caractéristiques écologiques, l’Ichkeul a été inscrit en
1990 sur le Registre de Montreux de la Convention de Ramsar (“Registre des
sites Ramsar dont les caractéristiques écologiques ont connu, connaissent ou
sont susceptibles de connaître des modifications”), et en 1996, il a été
inclus dans la Liste du Patrimoine Mondial en Péril. Le Comité du Patrimoine
Mondial passe en revue à ses réunions annuelles la situation des sites en
péril et a chargé une mission de présenter un rapport sur la situation de l’Ichkeul
en février 1999.

La réhabilitation du parc
Ichkeul est en fait à l’origine d’un ensemble de décisions correctives
prises par les autorités tunisiennes. Parmi celles-ci figurent celle
d’annuler la construction des trois barrages initialement prévus sur les
affluents de l’Ichkeul (le Douimis, le Mellah et le Tine); la construction
et la mise en fonctionnement de l’écluse sur l’oued Tinja; le classement d’Ichkeul
par la Direction des Grands Travaux Hydrauliques du ministère de
l’Agriculture parmi les consommateurs d’eau dans le cadre de la
planification des ressources en eau, et la décision de garantir à l’Ichkeul
un débit annuel d’eau; la fermeture des carrières d’exploitation de marbre
sur la montagne d’Ichkeul; la décision de faire passer le tracé de la future
autoroute Tunis-Bizerte loin de l’Ichkeul.

 

Pour M. Nadhir Hamada,
ministre de l’Environnement et du Développement «la réhabilitation du parc
national d’Ichkeul constitue un exemple concret de la capacité de l’homme
d’être en parfaite harmonie avec la nature».

 

Ces mêmes réalisations
n’ont pas empêché Mme Mounira Baccar, représentante du Patrimoine mondial, à
cet 20ème anniversaire de l’ANPE de demander des éclairages et poser un
ensemble de questions : «Qu’en est-il de la veille du bon usage de l’eau
déversée depuis le barrage Sejnane ? Qu’en est-il de l’évaluation des effets
de la construction envisagée de trois barrages supplémentaires sur l’Ichkeul
? Qu’en est-il enfin de la collecte des données scientifiques en un centre
unique pour permettre l’analyse et plus particulièrement le recensement des
populations d’oiseaux d’eau hivernant et aussi des oiseaux de montagne ?».

 

Alors, interrogeons-nous
pour notre part : le parc Ichkeul est-il vraiment sauvé ?