Démographie et développement marchent de pair

Par : Tallel
 

La transition démographique tarde à se réaliser en Afrique subsaharienne.
Les politiques de contrôle des naissances connaissent des résultats limités,
car elles négligent souvent les déterminants culturels et sociaux de la
fécondité.

 

Des démographes viennent de souligner dans un livre (1) que
l’Afrique subsaharienne, région la plus en retard pour le développement, se
trouve être également la moins avancée dans le processus de transition
démographique.

 

«En Asie, en Amérique latine, la baisse de la natalité est en moyenne d’un
enfant de moins par femme tous les dix ans. En Afrique subsaharienne, la
baisse n’est même pas d’un enfant de moins tous les 20 ans», explique
Jean-Pierre Guengant, directeur de recherches à l’IRD (Institut de recherche
pour le développement) et responsable du centre de l’IRD à Ouagadougou. Il
estime que, vers 2050, seule une douzaine de pays d’Afrique pourrait avoir
une natalité de deux enfants par femme et une espérance de vie supérieure à
70 ans.

 

Actuellement, la moyenne du nombre d’enfants nés d’une femme africaine est
de 5,5. Le démographe Patrice Vimard et l’économiste Raïmi Fassassi ont
regroupé les enquêtes disponibles sur leur désir d’enfants (1).
Si le nombre idéal d’enfants souhaités est de 9 chez les Tchadiennes et de 8
chez les Nigériennes, le désir d’enfants se situe le plus souvent autour de
5, et parfois autour de 4 (Ghana, Kenya, Malawi, Zimbabwe), voire 3 en
Afrique du Sud et Namibie.

 

Les femmes africaines ont donc en général plus d’enfants qu’elles ne disent
en souhaiter, à l’inverse des Européennes. En Afrique subsaharienne «la
contraception est peu accessible», explique Jean-Marc Châtaigner, directeur
de cabinet du secrétaire d’État à la coopération et à la francophonie
Jean-Marie Bockel. Moins de 20% des femmes ont accès à une méthode efficace
de contraception, contre 50% en Asie.

 

Des politiques démographiques peu efficaces

 

La population de l’Afrique subsaharienne augmente donc à des rythmes devenus
exceptionnels par rapport au reste du monde. Multipliée par sept au XXe
siècle, elle devrait passer de 750 millions actuellement à 1,5 milliard vers
2040. L’Afrique, qui ne comptait qu’une ville de plus d’un million
d’habitants en 1960, pourrait en avoir 300 en 2050.

 

« Les démographes nous invitent à influencer l’histoire et à permettre aux
femmes et aux hommes de choisir leur destin, de le prendre en main, en ayant
accès à l’éducation, à la santé, et à la contraception», estime Jean-Marc
Châtaigner. «L’accès à la santé, à la sécurité lors de l’accouchement
doivent être des objectifs, dans un souci de valorisation du capital
humain», rappelle Jean-Pierre Guengant.

 

Mais en Afrique, les politiques démographiques n’ont pas fait preuve de leur
efficacité. Trop souvent, elles se sont bornées à la distribution de
contraceptifs aux femmes mariées ou à l’aide à l’avortement. Une approche
partielle qui ne prépare pas assez l’avenir. La scolarisation des fillettes,
l’éducation des jeunes filles, la prévention, par l’éducation sexuelle, des
grossesses non désirées, prépareraient sans doute mieux une transition
démographique.

 

Mieux maîtriser leur fécondité

 

L’éducation des filles retarde la plupart du temps l’âge du mariage, ce qui
décale d’autant la naissance du premier enfant. Elle aide ensuite ces femmes
à mieux maîtriser leur fécondité, ce qui fait reculer la mortalité
maternelle et infantile. «Le meilleur indicateur prédictif de fécondité est
le niveau d’alphabétisation, qui reste en Afrique subsaharienne plus bas
qu’ailleurs malgré une progression rapide. Le rattrapage se produit à une
vitesse tout à fait normale, mais le retard en termes d’alphabétisation
n’est pas encore comblé», écrivent Youssef Courbage et Emmanuel Todd
(2).

 

Sur le terrain, les acteurs essaient de faire avancer la scolarisationdes
fillettes et la sensibilisation des familles, en se gardant d’exclure les
hommes. « Nous disons à nos paroissiens qu’il ne faut pas faire des enfants
uniquement parce qu’on a la possibilité d’en faire », raconte un prêtre
tchadien. «Avoir des enfants sans être à même de les aider à devenir des
hommes, cela n’a pas de sens. Nous essayons d’être lucides là-dessus et
cette question est abordée dans notre pastorale familiale, notamment lors de
la préparation au mariage».

 

Odile Bonte est secrétaire générale de l’Association pour la formation en
développement humain (Asfodevh), qui travaille avec Justice et Paix pour la
promotion féminine en Afrique, en donnant la priorité à l’insertion
économique des femmes. «Il faut qu’elles fassent vivre leur famille, il faut
donc travailler avant tout sur des activités génératrices de revenus. La
priorité est d’aider les femmes à s’en sortir, à se regrouper, à prendre
confiance en elles-mêmes et à prendre conscience qu’elles sont une personne
au devenir libre», explique Odile Bonte.

 

“La femme qui a des enfants est vraiment valorisée”

 

La responsable associative œuvrant pour Asfodevh depuis sa création en 1992
estime que les questions de natalité ne «doivent pas être prises en charge
par des Blancs. L’intimité se dit dans sa propre langue, pas en français ou
dans une autre langue apprise», dit-elle. «Les femmes n’osent pas dire leur
propre vie. Mais, si on les aide à avoir un meilleur revenu, elles pourront
payer la scolarité de leurs filles».

 

D’autant que selon elle, «elles ne se plaignent jamais d’avoir trop
d’enfants, car en Afrique l’enfant est une richesse. Si elles se plaignent,
c’est de leur santé, de la fatigue, de la douleur de l’excision qui crée un
choc lors des maternités».

 

Honoria Akogbeto, coordinatrice de la cellule Asfodevh au Bénin et jeune
retraitée, travaille pour le diocèse de Cotonou auprès des jeunes en
difficulté et des groupements de femmes en zone rurale, une mission qu’elle
voit dans la logique de ses années passées à diriger l’école des infirmières
de Cotonou. «Le diocèse, l’hôpital sont des structures différentes, mais je
suis la même personne. Et ça me renforce, ça me donne du plaisir de
concilier les deux au service de l’humain», confie-t-elle.

 

Honoria, qui a passé sa vie avec les infirmières et les femmes venues
consulter, rappelle : « Ici, la femme qui a des enfants est vraiment
valorisée, et leur dire qu’elles doivent avoir moins d’enfants est ressenti
comme une atteinte à la culture et à la vie. Le socle de la difficulté pour
parler avec une femme est que, même si elle voulait avoir moins d’enfants et
espacer les naissances, même si elle voulait demander une contraception, le
mari est toujours là, auprès d’elle pendant les consultations, pour des
raisons de fidélité». Les infirmières, les sages-femmes qui veulent proposer
une contraception doivent donc toujours demander que la décision soit
consentie par le couple.

 

La natalité en Afrique n’est cependant pas seulement une question privée
mais d’intérêt général. L’Afrique souffre-t-elle d’avoir trop d’enfants ou
d’une mauvaise gestion de ses ressources, d’une confiscation de ses
richesses, du pillage de ses matières premières ? Les politiques de
développement doivent bien sûr comporter une dimension démographique, mais
cette donnée démographique dépend aussi d’une meilleure justice sociale,
d’un meilleur partage des ressources qui font reculer les inégalités et
améliorent le sort des femmes.

 

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(1) L’Afrique face à ses défis démographiques, sous la direction de Benoît
Ferry, Agence française du développement (AFD), Centre population et
développement (CEPED), Karthala, 382 p., 19 €.

(2) Le rendez-vous des civilisations, de Youssef Courbage et Emmanuel Todd,
Le Seuil, 160 p., 12,50 €.

 

Nathalie LACUBE


(Source :

http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2326613&rubId=5547
)