Questions aux candidats à la clandestinité !

 
 

clandestin215.jpgNe venez
pas ! Restez chez vous ! Vous y êtes bien installés et c’est mieux que chez
nous ! De toute façon, vous n’avez pas où crécher et nous n’avons pas
d’emplois à vous donner.

Longtemps
après avoir dit cela, les différents pays européens ont fini par
utiliser un autre moyen pour dissuader «nos» candidats à l’émigration à
traverser la Méditerranée. Par nos, j’entends Tunisiens, Maghrébins et
Africains.  L’autre moyen est celui du bâton : des lois répressives se sont
mises en place et les boat people sont désormais accueillis par des forces
frontalières de sécurité prêtes à les héberger quelques jours dans des
prisons (qu’ils appelleront des centres de transit, comme ils ont appelé les
femmes de ménage des techniciennes de surface) avant de les renvoyer illico
presto d’où ils sont venus. Cette méthode non plus n’a pas découragé «nos»
candidats et ce malgré les gros risques et périls qu’ils prennent, malgré
l’exorbitant coût du voyage, malgré les centaines voire milliers de morts
que la Méditerranée dévore, malgré l’accueil répressif qu’ils retrouvent,
malgré le racisme, malgré la législation qui s’est endurcie dans leurs pays
respectifs (dont le nôtre) concernant le passage clandestin des frontières
malgré, malgré, malgré.

La dernière
trouvaille des Européens a été d’aider les pays du Sud à lancer des projets
économiques afin de limiter l’émigration. C’est à ce titre qu’une ligne de
crédit a été octroyée dernièrement par l’Italie à la Tunisie et destinée au
financement de petits projets économiques dans les zones les plus touchées
par le chômage dans le pays, en vertu d’un accord conclu entre
l’Organisation mondiale de l’immigration (OMI) et la Banque tunisienne de
solidarité (BTS). La première tranche s’élève à 250.000 euros.

Premier
mécanisme du genre au Maghreb, il tend à consolider l’infrastructure
économique dans les zones d’intervention, particulièrement touchées par le
chômage et l’émigration, afin de limiter le départ des habitants et de fixer
la main-d’oeuvre dans sa région d’origine.

Voilà de
l’argent, mais restez chez vous s’il vous plaît !

Malgré tout
cela, les pages de faits divers de nos tabloïds continuent quasiment tous
les jours à nous parler de l’échec d’une tentative d’émigration clandestine,
de l’arrestation des candidats, de leurs punitions.

J’ai quelques questions à mes chers compatriotes et voisins candidats à
l’émigration. Avec ces questions, que j’ai posées il y a quelques années à
un jeune cousin qui voulait s’exiler en France, j’ai réussi à dissuader, au
moins un, à un triste sort. J’espère en faire de même aujourd’hui.

– 
Vous regardez la télé (notamment celles du
Golfe) et les batailles entre Israéliens et Palestiniens ou Irakiens et
Américains et vous prenez pour de l’argent comptant tout ce qu’on vous dit
quand les Arabes sont réprimés. Vous ressentez l’humiliation. Pourquoi ne
ressentez-vous pas la même chose quand vous voyez vos frères Tunisiens et
Maghrébins, renvoyés chez eux ou avalés par les vagues ?  Pourquoi
voulez-vous quand même et malgré tout partir à ce soi-disant eldorado
européen où on ne veut pas de nous ?
– Vous regardez la télé (notamment celle de l’Europe) et
vous voyez ces jours-ci ces milliers de SDF dormir à la belle étoile (et je
doute qu’il y ait des nuits étoilées en cette saison) sous le froid, sur
la chaussée.
Pensez-vous que vous n’allez pas subir le même sort
peut-être ?

– Vous regardez la télé (vous n’êtes certainement pas au
courant des taux de chômage en Europe). Pensez-vous que vous allez trouver un
travail que des Européens «pure souche» n’avaient pas trouvé ?

– Pensez-vous qu’avec votre langue maternelle arabe (ou
autre langue africaine) et votre français cassé (ou avec accent) vous pouvez
concurrencer un candidat européen à l’emploi ?


Pensez-vous que vous
pouvez réussir en Europe, dans une culture qui n’est pas la vôtre, dans un
milieu qui n’est pas le vôtre, dans une langue qui n’est pas la vôtre, alors
que vous avez échoué dans votre pays, dans votre milieu, votre culture,
votre langue avec votre famille ?


Quand vous êtes en panne d’une cigarette, d’un
repas ou d’un médicament, il y a toujours chez vous quelqu’un pour vous
dépanner, vous secourir, vous guérir. Et là-bas ?

– Vous
me diriez, oui, mais regardez ceux qui ont réussi et qui sont revenus avec
leurs belles bagnoles et belles fringues en deux-trois ans. Je vous dirais,
on ne gagne nulle part son argent facilement à moins de sombrer dans
l’illégalité et les trafics illicites. Etes-vous prêts à risquer de passer
le reste de vos jours dans une prison, soit-elle européenne ?

– Vous me diriez, oui
mais il y a ceux qui réussissent en gagnant légalement leur vie. Je vous
dirais oui, mais ceux-là auraient réussi également chez eux, car ils ont
toujours choisi la légalité et le travail et n’ont pas choisi d’aller contre
les lois comme vous le projetez actuellement et n’ont pas passé leurs heures
de chômage au café à jouer aux cartes. Ils ont accepté de faire des choses
là-bas qu’ils refusaient de faire ici (garçon de café, plongeur, etc.). Ils
ont travaillé là-bas tous les jours de 6 heures à 22 heures alors qu’ils
voulaient chômer ici les après-midi de l’été et du ramadan et ne
travaillaient le reste des mois que quelques heures par jour.

– Vous
me diriez, oui mais là-bas il y a plus d’opportunités. Je vous dirais oui,
mais là-bas il y a également plus de candidats pour ces opportunités. Tentez
d’abord sérieusement les quelques opportunités d’ici alors que vous avez
plus d’atouts !

– Vous me diriez, oui, mais les perspectives là-bas sont
meilleures. Je vous dirais, oui, mais les risques que vous prenez sont aussi
supérieurs.

– Vous me diriez oui, mais le cadre de vie est meilleur. Je
vous dirais, il n’y a aucun cadre de vie qui vaut mieux que votre quartier et
votre famille. Faites de telle sorte d’améliorer ce cadre de vie plutôt que
d’aller trouver un cadre de vie tout prêt !

Les exceptions à tout cela existent certes et ce sont ces exceptions qui
confirment tout ce que je viens d’avancer. L’émigration est belle, j’en
conviens, et on peut réussir. Faut-il que l’on soit d’abord bien armé. Et ce
n’est nullement le cas de ces candidats à l’émigration clandestine vers qui
mon discours était destiné.


R.B.H.