L’initiative PPTE, un véritable somnifère pour les pays en développement

Par : Tallel
 
 

ppte240.jpgIls sont
tous sous-développés et courent depuis des années pour être éligibles à la
nouvelle trouvaille de l’Occident pour aider les Nations pauvres à se
débarrasser du lourd fardeau de leur dette. Il s’agit bel et bien de
l’Initiative d’annulation de la dette en faveur des pays pauvres très
endettés, communément désignée l’initiative PPTE. La plupart de ces pays
sous-développés et pauvres en même temps sont bien avant passés par le
Programme d’ajustement structurel et bien d’autres sortis de laboratoires
des Institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale). Aujourd’hui, le
discours a changé et l’on parle de plus en plus de l’Initiative PPTE, comme
remède miracle pour adoucir le poids de la dette du tiers-monde. Ne
serait-elle pas alors un simple somnifère tendu aux pauvres pour mieux les
assujettir ?

La crise d’insolvabilité du Mexique dans les années 1980 a
marqué un grand tournant dans le traitement de la dette extérieure des pays
du tiers-monde au niveau de grandes instances financières internationales.
Par la même occasion, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque
mondiale -deux Institutions de Bretton Woods- ont vu leur rôle sensiblement
amélioré dans le traitement de grandes questions financières
internationales. Avec le problème soulevé par le Mexique, relayé plus tard
par l’Argentine, puis une bonne partie des pays du tiers-monde, incapables
de faire face au service trop alourdissant de la dette extérieure, le FMI
mis en place une potion magique pour les aider à sortir du bourbier de la
dette.

De commun accord avec des créanciers bilatéraux et
multilatéraux qui lui ont donné d’agir en leur nom, le FMI inaugura au début
des années 1980 le Programme d’ajustement structurel. Il s’agissait, pour
les macroéconomistes du FMI et experts des laboratoires financiers bien
climatisés, de contraindre les pays du tiers monde en proie à la dette à une
série de réformes pour accroître leur capacité à rembourser.

Des coupes budgétaires seront alors opérées dans plusieurs
pays, car pour les techniciens du FMI, c’est dans la demande que l’on
devrait agir pour augmenter la capacité de l’Etat à faire des économies
susceptibles de l’aider à faire face au service de la dette. La République
démocratique du Congo est également passée par là, avec la très controversée
«politique de la rigueur», menée savamment, mais avec des conséquences
dramatiques sur l’économie, par l’ex-premier ministre Kengo wa Dondo.

Après une expérimentation en grandeur nature sur un
échantillon représentatif des pays du tiers-monde, les prédictions des
experts de Washington ont vite été balayées. Car, les résultats sur terrain
ont été plus que catastrophiques.

Aucun pays soumis aux dures contraintes des Programmes
d’ajustement structurel n’a après dix années de programme relevé
sensiblement sa situation économique et financière pour rendre «soutenable»
-c’est le terme consacré- la dette extérieure. Le tiers-monde avait donc
besoin d’un autre remède. Le temps d’en trouver un autre. Les pays, dits les
plus riches du monde, réunis au sein du cartel, appelé G7 au départ puis G8,
avec l’arrivée de la Russie, devanceront les experts du FMI et de la Banque
mondiale en invitant un terme pour le mois prosaïque.

C’est la naissance de l’Initiative Pays pauvres très
endettés. Dans ses principes, l’initiative PPTE est destinée, à soumettant
les pays en développement trillés sur la liste à un programme aux
contraintes multiples et complexes.

LES
PAYS RICHES ENTRENT DANS LA DANSE

Pour y arriver, les pauvres – bien que démunis – doivent se
soumettre à un examen à trois niveaux. Le premier, c’est pour son
inscription sur la liste des inscrits à l’initiative. Le deuxième pour son
admission après avoir atteint le point de décision. Le troisième enfin,
c’est le test final ou le point d’achèvement qui est censé déclencher
définitivement la machine d’annulation de la dette.

En juin 1999 au G7 de Cologne, les argentiers du monde
s’étaient engagés à répondre positivement à la pétition de 17 millions de
signatures (la plus grande de toute l’histoire de l’Humanité) déposée par la
coalition jubilé 2000: 90% de la dette des pays pauvres devaient être
annulés au cours de l’année 2000, grâce à l’application de l’initiative PPTE.
L’effort annoncé s’élevait à 100 milliards de dollars. Plusieurs pays
annonçaient jusqu’à 100% d’annulation. Pourtant derrière ces effets
d’annonce, se cache une initiative complexe n’aboutissant pas à une
réduction significative de la dette des pays pauvres. Afin que la pertinence
des dérapages de cette initiative soit plus claire, voyons plus clairement
ses principes avant de passer à ses paradoxes, contradictions et la duperie
qui la caractérisent.

Le principe de l’initiative est le suivant : un pays de la
liste PPTE peut se lancer dans une double phase de trois ans de reformes
d’ajustement structurel. Au bout de la première phase de trois ans, les
experts du FMI jugent de la «soutenabilité» de la dette du pays en question
(à partir des projections à moyen terme de la balance des paiements du pays
et de la comparaison entre la valeur de sa dette et la valeur de ses revenus
d’exportation). Si la dette du pays est jugée «insoutenable», il est élu
pour une seconde phase de reformes. Au terme de celle-ci, il reçoit si
nécessaire un allègement destiné à rétablir la «soutenabilité» de son
endettement (c’est-à-dire la capacité de rembourser les éché ;ances).

Face à la faiblesse de ces résultats et à la campagne
Jubilé 2000, le G7 et les institutions financières internationales ont lancé
une initiative renforcée : les critères de «soutenabilité» sont désormais
assouplis (la dette ne doit plus valoir que 150% des revenus d’exportation
et non 200-250% auparavant), la deuxième phase devient «flottante» (un bon
élève peut accélérer les reformes et accéder à un allègement plus
rapidement) et une «aide intermédiaire» peut être octroyée au pays après la
première phase triennale de réformes.

CHANGEMENT DE VOCABLE

Parallèlement, le FMI et le Banque mondiale modifient leur
vocable, devenu trop impopulaire : les prêts du FMI, appelés jusque là
«Facilité d’ajustement structurel renforcée», sont rebaptisés «facilités
pour la croissance et la réduction de la pauvreté» tandis que les «plans
d’ajustement structurels» se nomment désormais « cadre stratégique de lutte
contre la pauvreté».

Tout d’abord la première liste des PPTE se limitait à 41
pays dont la dette cumulée ne représentait que 10% de la dette du
Tiers-monde. Ensuite, seuls les pays jugés « politiquement corrects » ont eu
droit à un allègement. Il en résulte que le nombre de pays élus et la part
de dette prise en compte pour un allègement sont très faibles. Vu la liste
des pays éligibles, pour un allègement, la majorité des pays pauvres ne sont
pas concernés par cette initiative. En effet, 80% de pauvres vivent dans 12
pays (Inde, Brésil, Chine, Nigeria, Indonésie, philippines, Ethiopie,
Pakistan, Mexique, Kenya, Pérou, Népal). Or seuls le Kenya et l’Ethiopie
font partie de la liste des PPTE.

Un pays tel que le Soudan n’a pas eu accès à l’initiative,
car il n’a pas été jugé d’ « un pays ami ». La dette est donc utilisée comme
un levier géopolitique, ce qui explique que l’Ouganda, allié des Etats-Unis
en Afrique, est le premier recevant les meilleures conditions d’allègement
(c’est d’ailleurs le seul pays à être arrivé au terme de l’initiative début
2001). L’accès à l’allègement est conditionné à l’application de deux phases
de reformes d’ajustement allant de trois à six ans. Bien que rebaptisées
«cadre stratégique de lutte contre la pauvreté», les reformes économiques
restent les mêmes que celles jusqu’ici appliquées au sein des programmes
d’ajustement structurel.

LE
TEMPS DE L’ASSUJETTISSEMENT

Lancée en 1996 et « renforcée » par après en 1999,
l’initiative PPTE est un véritable somnifère pour les pays en développement,
affirment unanimement plusieurs observateurs. Le Cameroun, par exemple qui
vient d’atteindre en mai 2006 le point d’achèvement, six ans après son
admission à ce programme, est plus que désemparé.

Dans le pays de Paul Biya, le débat est houleux autour de
la nécessité du Cameroun de demeurer encore sous le joug du FMI et de la
Banque mondiale qui ont pratiquement pris en otage toute l’économie d’un
pays. D’abord, c’est au niveau de la gestion même des fonds PPTE destinés
prioritairement à financer les projets et programmes dans les secteurs
sociaux tels que l’éducation, la santé, etc.

C’est que les experts de ces institutions appellent «
dépenses pro pauvres ». Mais, pour y avoir droit, le FMI et la Banque
mondiale ont pris en place un mécanisme aux contours parfois mystérieux
parce que complexes et compliqués à la fois, dépouillant la possibilité
d’utiliser les fonds PPTE sans obtenir préalablement l’autorisation de
l’expert mandaté du FMI. Où est alors la souveraineté du pays ? Etait-ce là
le prix à payer pour rendre la dette «soutenable».

Pour les camerounais, le fait pour le pays d’avoir atteint
le point d’achèvement signifie également l’achèvement de tout projet de
développement. Ils justifient leur position par une anecdote. En effet, à
Kribi, où nous avons assisté du 19 au 213 à la première Académie d’automne
de l’Afrique centrale, il existe une terrasse, genre débit de boissons,
appelée «Point d’achèvement».

La terrasse a existé bien avant que le Cameroun n’accède en
mai dernier au point d’achèvement à l’initiative PPTE. Pour les camerounais,
cette terrasse est le point de rencontre de toute personne en état d’ébriété
fort avancée, donc incapable à se hasarder à une autre prise de la bière.
C’est pour eux, donc, un lieu où l’on ne peut plus se risquer à consommer
encore davantage de la bière. Ce lieu consacre la fin d’une aventure,
mettant fin à toute tentative d’aller plus loin.

Comme avec le point d’achèvement -pris dans le contexte de
la terrasse camerounaise- le point d’achèvement de l’initiative PPTE est un
arrêt à toute tentative d’aller plus loin. Il est pour les tiers-monde le
point d’abdication ou de renoncement à tout projet de développement sans
assistance extérieure. Car, toute personne ivre, fatiguée après avoir tout
pris et tout tenté, comme c’est le cas des pays pauvres très endettés, est
supposée recourir à un tiers pour se relever, marcher et pouvoir se tenir.
C’est cela aussi le point d’achèvement, selon les Institutions de Bretton
Woods ; un point qui met fin à toute liberté d’action, un point qui vous
soumet désormais à l’assistance extérieure pour tenir, un point qui ne vous
laisse plus les mains libres pour agir. Bref, un véritable somnifère pour
les pays pauvres très endettés.

RESULTATS MITIGES

Malgré la répétition des effets d’annonces, les résultats
concrets sont tellement maigres que les institutions de Bretton Woods et les
gouvernements des pays les plus industrialisés éprouvent du mal à «cacher
l’ampleur de la supercherie». L’initiative PPTE n’a pas amélioré les
conditions politiques et sociales du développement. Au contraire, l’Afrique
après son application est sortie encore plus endettée et plus appauvrie. Et
d’après les considérations du Rapport 2004, cette initiative n’a pas non
plus réussi à rendre le fardeau de la dette «soutenable».

Pour preuve, tout récemment, les pays les plus riches ont
décidé enfin, sous l’impulsion de la Grande Bretagne, d’annuler la dette
d’une partie des pays les plus pauvres, tout ceci assortis de
conditionnalités pour le reste qui doit attendre de voir si la providence
permettra que leurs dettes soit aussi annulées.

Attendons voir la suite, car en fait cela ne résout pas le
déséquilibre des rapports Nord-Sud et la seule annulation de la dette
restera une goûte d’eau dans la mer tant que les pays riches continueront à
piller les pauvres du Sud et continueront à déréglementer les termes de
l’échanges, en maintenant en otage l’Organisation mondiale du commerce.

Source :


Le Potentiel

(Kinshasa),
publié sur le web le
2 Octobre 2006