Ambassadeur William Hudson : «Un des plus difficiles dossiers que nous aurons à examiner est celui des services»

Par : Autres

Ambassadeur William Hudson

«Un des plus difficiles dossiers que nous aurons à examiner est celui des
services»

 


interview07072005.jpgLa Tunisie et les
Etats-Unis ont récemment entamé des discussions exploratoires en vue d’un
éventuel traité de libre échange. En marge de la conférence
organisée par la Chambre tuniso-américaine de commerce et d’industrie,
l’ambassadeur américain explique la position de
son pays à ce sujet ainsi que les raisons ayant amené Washington à faire
cette proposition à la Tunisie.

Webmanagercenter : En ouverture de la conférence sur le
libre-échange, organisée par la Chambre tuniso-américaine de commerce, vous
avez demandé à la Tunisie de prendre des «engagements difficiles» dans
certains domaines, dont en particulier la protection de la propriété
intellectuelle et la libéralisation des services. Qu’en attendez-vous
précisément ?

Ambassadeur William Hudson : Laissez-moi d’abord rappeler où nous en
sommes dans notre engagement économique avec la Tunisie. Je suis heureux de
dire qu’au cours des dernières années, notre coopération avec la Tunisie
dans le domaine économique s’est développé, aussi bien entre gouvernements
que dans le secteur privé.

Sur le plan gouvernemental, la conférence organisée par la Tunisian American
Chamber of Commerce (TACC) est un grand exemple de notre collaboration avec
des organismes locaux en Tunisie. Nous avons financé cette conférence à
travers le MEPI (Middle East Partnership Initiative), notre initiative pour
le partenariat avec le Moyen-Orient qui est un programme visant à encourager
les réformes dans les domaines politique, économique, de la femme et de
l’éducation.

Nous avons également, je suis heureux de le dire, augmenté nos
investissements. Une cinquantaine d’entreprises américaines investissent en
Tunisie et emploient près de 13.000 Tunisiens. De même, les Tunisiens ont
fait un grand travail pour augmenter les exportations de presque 100% en
2004.

Donc, nous avons de très étroites et croissantes relations économiques.
Les négociations sur un cadre pour le commerce et l’investissement, qui
viennent d’avoir lieu entre M. Nouri Jouini (ministre de la Coopération
internationale et du Développement), et Mme Catherine Novelli
(représentant-adjoint pour le Commerce américain) relève de cette
coopération croissante.

Quand ils commencent à discuter de libre-échange, ou de développement du
commerce avec un pays, les Etats-Unis se soucient de certaines questions
parmi lesquelles la transparence et, en particulier, la protection de la
propriété intellectuelle. Nous évoquons ces questions avec chaque pays avec
lequel nous développons notre commerce et voudrions signer un accord de
libre échange.

La Tunisie a fait de grands pas dans plusieurs de ces domaines. Dans la
protection de la propriété intellectuelle, je vous dirais franchement que la
Tunisie a d’excellentes lois et est très favorable à ce que nous voudrions
voir faire dans ce domaine sur le marché international.

En même temps, l’application de ces lois est souvent très difficile. Changer
la culture peut l’être aussi. Aussi, nous sommes prêts à aider les
Tunisiens, autant que nous pouvons, à régler ces problèmes et à mieux
appliquer leurs très bonnes lois.

La transparence est également très importante pour nous. L’un des objectifs
des accords de libre-échange est d’encourager les investissements. Nous
croyons comprendre les investisseurs américains. Nous savons qu’ils veulent
investir dans des pays où les choses sont très transparentes, où il y a un
Etat de droit, où la justice est indépendante. Aussi, nous essayons d’aider
les pays à développer ces caractéristiques afin d’encourager
l’investissement américain.

Si la Tunisie prend les «engagements
difficiles» que vous lui demandez de prendre, que gagnera-t-elle en échange
?

Il s’agit d’un processus mutuel. Les négociations avec la Tunisie sont
entre égaux. Nous avons nos intérêts, dont j’ai mentionné quelques uns
–parmi lesquels la propriété intellectuelle. La Tunisie a également
d’importants intérêts. Un des plus difficiles dossiers que nous aurons à
examiner est celui des services. La Tunisie a un secteur des services très
dynamique et nous de même. C’est là un domaine où les deux pays vont avoir à
considérer leurs intérêts et arriver à un accord à un point donné sur la
manière de gérer ces intérêts.

Il ne s’agit pas de donner quelque chose à la Tunisie ou que la Tunisie nous
donne quelque chose. C’est un accord entre deux partenaires pour parler de
l’économie, voir comment on peut encourager les investisseurs américains à
venir ici et encourager les exportations tunisiennes vers les États-unis.

Le président Bush s’est engagé politiquement à établir une zone de
libre-échange au Moyen-Orient à l’horizon 2013. Donc, nous nous tenons prêts
pour travailler avec les pays du Moyen-Orient, dont la Tunisie qui, a
évidemment, une économie très raffinée et bien développée, pour essayer
d’améliorer le climat afin que nous puissions conclure des accords de
libre-échange. Ce dont je veux vous parler c’est d’un pari.

Un accord de libre-échange avec les États-unis est très différent d’un
accord de libre-échange avec l’Union européenne. Nos accords tendent à être
plus complexes et tout doit être mis en place au début de l’accord. Dans ce
cadre, nous aurons à traiter de propriété intellectuelle, de commerce
électronique, de télécommunications, du secteur des services. Il s’agit de
questions très compliquées et il faudra du temps à nos deux pays pour
commencer à comprendre la position de l’autre, et pour voir où nous pouvons
converger.

Quels engagements difficiles les États-unis seraient-ils prêts à prendre à
l’égard de la Tunisie ?

Nous avons la volonté d’ouvrir notre marché à la Tunisie. Nous n’avons pas
une grande expérience en matière de libre-échange avec le Moyen-Orient. L’un
des traités dont Mme Novelli avait parlé quand elle était ici est celui que
nous avons avec la Jordanie. Je ne suis pas l’ambassadeur américain dans ce
pays, mais j’ai compris que les exportations jordaniennes aux États-unis
sont passées de quelques millions de dollars à un peu plus d’un milliard de
dollars durant le processus du traité de libre-échange.

Donc, notre idée est d’offrir à la Tunisie un accès à notre marché. Je crois
que la signature d’un accord de libre-échange dira au monde que la Tunisie
est ouverte aux affaires et est prête pour l’investissement étranger. Et de
nos jours, ces deux choses sont très importantes.

L’Union européenne a accordé à la Tunisie
une assistance financière pour l’aider à faire la mise à niveau de son
industrie, alors que votre devise est «trade, not aid» (le commerce, pas
l’assistance). Cela peut constituer un problème lors des négociations avec
la partie tunisienne …

Vous avez raison, notre approche est différente de celle de l’Europe mais
elle n’exclut pas l’assistance. M. Jouini et Mme Novelli sont tombés
d’accord pour créer des groupes de travail pour étudier certaines des
questions les plus difficiles parmi lesquelles la protection de la propriété
intellectuelle. Nous entendons financer, à travers le programme du MEPI, la
venue d’experts pour parler avec les Tunisiens et le déplacement de
Tunisiens aux Etats-Unis pour des consultations. Nous n’allons pas accorder
des montants énormes, mais nous sommes certainement prêts à fournir une
assistance technique pour encourager cet accord. Notre philosophie de base
est que le libre-échange libère l’énergie des gens et encourage
l’innovation.

Mais au Mexique, l’accord de libre-échange avec les États-unis a aussi
approfondi le fossé en matière de revenu entre Mexicains….

Je ne suis pas qualifié pour parler de ce qui s’est passé au Mexique parce
que je n’en sais pas suffisamment à ce sujet. Mais je peux vous dire que les
Canadiens et les Mexicains sont très satisfaits de la zone de libre-échange
nord-américaine. Et nous sommes très encouragés par le fait que le Congrès
soit en train d’approuver un accord de libre-échange pour l’Amérique
centrale.

Le secteur du textile, très important en
Tunisie, ne pourra pas profiter pleinement de la possibilité d’accès au
marché américain en raison des très strictes règles d’origine aux États-unis
qui interdisent l’intégration de matières premières d’un pays tiers. La
Tunisie peut-elle obtenir le changement de ces règles, là où le Maroc en a
obtenu la suspension pour seulement cinq années ?

Le traité de libre-échange avec le Maroc prévoit plusieurs exceptions et
périodes de transitions pour certains secteurs dont l’agriculture et le
textile. Mais je ne voudrais pas préjuger des négociations entre les
gouvernements américain et tunisien.

Les États-unis ont déjà conclu des
accords de libre-échange avec Bahreïn, la Jordanie et le Maroc, sont en
négociation avec Oman et les Émirats Arabes Unis et viennent d’entamer des
discussions avec la Tunisie. Le choix de ces pays obéit-il à des critères ?

Je sais que nous avons considéré la Tunisie comme un candidat parce que
votre économie est bien développée, vous n’êtes pas un pays pétrolier mais
vous avez un taux de croissance assez important de près de 5%. Nous pensons
que la Tunisie est prête pour entamer le processus de négociations en vue de
parvenir à un accord de libre-échange.

Concernant les autres pays, nous avons signé des traités de libre-échange
avec certains d’entre eux parce qu’ils frappaient à notre porte et ils
étaient prêts à prendre de très difficiles décisions pour signer cet accord.
Donc, c’est un processus à double sens. Nous cherchons des partenaires et
certains pays du Moyen-Orient veulent devenir nos partenaires.

D’autres pays de la région vous
semblent-ils pouvoir signer des accords de libre-échange avec les États-unis?

L’engagement politique du président Bush à créer une zone de libre-échange
au Moyen-Orient veut dire que tous les pays sont concernés. Notre objectif
n’est pas seulement d’encourager le libre-échange par exemple entre la
Tunisie et les États-unis mais nous espérons également à travers ces accords
augmenter le commerce interrégional. Si vous jetez un coup d’œil aux
statistiques, vous verrez qu’il n’y en a pas beaucoup.

Un des objectifs de la conférence sur le
libre-échange organisée par la Chambre tuniso-américaine est de favoriser
l’implication d’entreprises tunisiennes dans des projets américains en
Libye. Ce schéma pourrait-il intéresser des entreprises américaines ?

Nous avons quelques exemples d’entreprises américaines qui utilisent la
Tunisie comme base pour opérer en Algérie et en Libye. Je peux citer
l’exemple de Nationwide, d’équipements de travaux publics, qui en
commercialise en Libye à partir de la Tunisie. Le facteur déterminant sera
bien sûr la facilité d’importer/d’exporter à travers le système douanier.
Car les entreprises basées ici et qui voudraient pouvoir vendre dans
d’autres pays doivent disposer d’un système douanier qui soit rapide et
facile à utiliser. Donc, jusqu’à présent, notre expérience avec cette
entreprise est plutôt bonne. Il y a d’autres possibilités. Ceci reste bien
sûr en dehors du cadre du FTA (Accord de Libre-Echange). Elles relèvent de
décisions inhérentes aux entreprises privées. Je dis aux entreprises quand
elles viennent ici que cet endroit est très propice à l’investissement, et
je pense que la Tunisie peut endosser le rôle de base d’opérations pour la
région. Mais tout ceci reste tributaire de la facilité du système douanier.

Du point de vue américain, les accords de libre-échange, sont complémentaires ou concurrents de ceux que l’Europe a
conclus avec des pays de la région ?


Mon pays croit dans le libre-échange. Donc, tout ce qui développe le
libre-échange et le commerce entre les nations est une bonne chose.

 

Propos
recueillis par


Moncef MAHROUG

 

 

 07
– 07 – 2005 :: 06:00  –  ©webmanagercenter