Tunisie : L’avenir incertain du projet de loi sur la réconciliation économique

Les réactions des représentants de partis politiques au Parlement ont mis en lumière le clivage entre opposants et favorables au projet de loi sur la réconciliation économique au lendemain d’un coup de filet anticorruption qui a visé plusieurs personnalités du monde des affaires.

Alors que des partis politiques comme Nidaa Tounes, Afek Tounes et le Front de salut (coalition de partis) appellent à interagir “positivement” avec cette initiative présidentielle, d’autres comme le Courant démocrate, Al-Irada et le Front populaire contestent un texte pareil qui aboutirait à “blanchir la corruption”.

Abdelwahad Yahyaoui, dirigeant à Al-Irada, a qualifié “d’extrêmement positif” le pas franchi par le chef du gouvernement sur la voie de la lutte contre la corruption. Il a toutefois ajouté que cette initiative ne doit aucunement servir de prétexte pour faire passer le projet de loi sur la réconciliation économique qui vise à “blanchir la corruption”, selon ses dires.
“Ce projet de loi est en contradiction avec les dispositions de la nouvelle Constitution”, a-t-il soutenu.

Yahyaoui appelle la rue à la mobilisation contre ce projet de loi et à ne plus faire confiance au gouvernement, estimant que la liste des personnes arrêtées doit s’allonger pour toucher de nombreux individus actuellement au pouvoir.

L’universitaire Montassar Kammoun (Faculté de Droit et de Sciences Politiques) n’est pas du même avis. Il estime que la campagne d’arrestations qui a visé récemment des personnes suspectées de corruption, de contrebande et d’implication dans des réseaux de l’économie parallèle n’a aucun lien avec le projet de loi sur la réconciliation économique, dans la mesure où le processus de réconciliation se veut un mécanisme issu de la justice transitionnelle.

“Les récentes arrestations interviennent en réponse à des crimes commis par des individus contre l’Etat”, a-t-il souligné, ajoutant que le “sérieux du gouvernement dans la lutte contre la corruption dépend du respect du processus de la justice transitionnelle.

D’après cet universitaire, le seul moyen de rétablir la confiance entre le gouvernement et les Tunisiens, toutes sensibilités politiques confondues, est de renoncer définitivement à ce projet de loi qui, selon lui, est “en totale contradiction avec la lutte contre la corruption”.
Il a, par ailleurs, appelé à la mobilisation de moyens financiers et logistiques nécessaires au profit de l’Instance Vérité et Dignité (IVD) pour qu’elle puisse exercer ses fonctions et accomplir pleinement sa mission.

Montassar Kammoun a, toutefois, souligné qu’en raison de la lenteur constatée dans le traitement des dossiers liés aux crimes financiers, le gouvernement est, aujourd’hui, en droit de recourir à des mesures exceptionnelles en vertu de l’état d’urgence, en vigueur depuis 2015.

Il a rappelé la confiscation la semaine dernière des biens de plusieurs hommes d’affaires et contrebandiers, arrêtés ou assignés à résidence pour implication présumée dans des affaires de “corruption” et “atteinte à la sûreté de l’Etat”.

Dans ce contexte, le député du Front populaire Aymen Alouini s’est interrogé sur l’intérêt de la réconciliation économique par le biais du Parlement, alors que la commission de confiscation des biens des figures de l’ancien régime poursuit encore son travail.

Alouini a appelé les partis de l’opposition à soutenir l’effort du gouvernement ” sous conditions “. La première condition, a-t-il expliqué, concerne la transparence dans le traitement des dossiers alors que la deuxième consiste à retirer le projet de la loi sur la réconciliation économique dans sa version actuelle.

De son côté, le juge Ahmed Souab a qualifié de “complexe” la lutte anticorruption en raison de la lenteur constatée dans le processus de la justice transitionnelle, ce qui commande de prendre des mesures exceptionnelles. “Au cours de six dernières années, le processus de la justice transitionnelle a été entravé à maintes reprises”, a-t-il poursuivi.