TUNIS, 4 oct. (TAP)- A l’ère de l’Intelligence Artificielle, la théorie du présentisme, selon laquelle seul le présent existe réellement, et celle de l’Anthropocène, un courant de pensée sur l’impact de l’humain sur la Terre, sont plus que jamais d’actualité et trouvent toute leur importance dans l’approche des philosophes et des historiens soucieux d’approfondir notre compréhension du monde.
Ces théories constituent le champ de recherche privilégié chez l’historien français François Hartog qui a évoqué certaines de ses manifestations dans une conférence, samedi, à Tunis, sur le thème «Un temps désorienté : du présentisme à l’Anthropocène». Le Prof. Hartog était l’invité de l’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts, Beït al-Hikma, à Carthage, pour donner la conférence inaugurale de l’année académique 2025-2026.
Depuis sa dernière visite en Tunisie en 1993, l’historien a fait son retour pour une conférence-débat assez importante en présence d’une pléiade de chercheurs et d’historiens et acteurs culturels intéressé par le thème du présentisme et de l’Anthropocène qu’il a longuement abordé durant plus de deux heures.
Un « pic d’incertitudes » à travers le monde
Le prof Hartog a entamé sa conférence par souligner ce qu’il qualifie de « pic d’incertitudes » à travers le monde depuis l’avènement du Covid suivi d’une multitude facteurs dont les guerres dans les quarte coins du monde sur fond d’un dérèglement climatique accéléré citant les vagues de chaleur, les incendies, les cyclones, les inondations, les pénuries d’eau.
“Nous sommes confrontés à une accumulation de plus en plus rapide de facteurs d’incertitude, dont les médias et les réseaux sociaux se font, à tout instant, les échos et les propagateurs.”, a déclaré l’historien selon lequel « Face à l’entrée dans un régime d’incertitude généralisée, les inquiétudes grandissent, tandis que prospèrent les prophètes de malheur, les marchands de peurs et autres exploiteurs d’anxiété ».
Spécialiste de l’Antiquité et historien du temps moderne, François Hartog s’intéresse aux questions de son époque en jetant un regard critique, à portée à la fois anthropologique et philosophique basé sur des recherches et des enquêtes et centré sur notre humanité et notre rapport au temps à l’ère du progrès technologique fulgurant et la dominance accrue de l’Intelligence Artificielle sur des compétences qui étaient jusque là le propre de l’Homme.
Partant de sa vocation d’historien, il analyse « les transformations des rapports au temps dans la longue durée » dans l’espoir d’apporter sa contribution dans le diagnostic de cette incertitude couplée d’une désorientation, temporelle qui maque notre époque et notre relation avec « le temps passé, présent et futur ».
L’historien s’attarde sur la question de l’individualisation croissante du temps générée par l’usage des smartphones ce qui a conduit à une forme de discordance généralisée avec tous les effets de déliaison, notamment sociale, qui l’accompagne. « La toile est une Babel temporelle », a fait constater l’historien tout en faisant référence à cette instantanéité de l’information qui marque notre quotidien au rythme de choix les plus souvent imposés par les algorithmes.
François Hartog l’historien et l’auteur
François Hartog est un éminent historien directeur d’études émérite. Après des études à l’Ecole Normale supérieure de Paris, il a enseigné à l’Université de Strasbourg et à l’Université de Metz avant de rejoindre, en 1986, l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) comme directeur d’études où il est titulaire de la chaire historiographie ancienne et moderne. Il a également enseigné dans de nombreuses universités à l’étranger, exercé diverses fonctions d’ordre administratif et siégé dans divers comités notamment à l’école normale supérieure de Paris en tant que président du conseil d’administration pour une période de huit ans.
Parmi ses principaux ouvrages : “Mémoire d’Ulysse. Récits sur la frontière en Grèce ancienne” (1996),”Le Miroir d’Hérodote” (1980), “Evidence de l’histoire. Ce que voient les historiens” (2007), “Où est passé le temps” (essai collectif- 2012), “La nation, la religion, l’avenir. Sur les traces d’Ernest Renan (2017), Chronos. L’Occident aux prises avec le Temps (2020), Confrontations avec l’histoire (2021) et “Départager l’humanité. Humains, humanismes, inhumains” (2024). Ce dernier livre élargit encore son interrogations en s’arrêtant sur les figures historiques successives de l’humain en Europe, depuis sa formation en Grèce ancienne jusqu’à sa possible dissolution contemporaine”, selon l’expression du président de l’Académie le Pr. Mahmoud Ben Romdhane.
Dans sa présentation du parcours scientifique du Pro. Hartog, le président de l’Académie s’est attardé sur son premier livre “Le Miroir d’Hérodote”, un essai sur la représentation de l’autre dans lequel il a déployé « une triple interrogation sur les grecs et les autres, sur les rapports entre l’anthropologie et l’histoire et cette triple interrogation sur le rôle et la place de l’historien, une question qui était récurrente chez le père de l’histoire Hérodote, depuis l’antiquité ».
« Plusieurs livres ont suivis sur l’historiographie des anciens mais aussi sur celle des modernes et au delà sur l’histoire intellectuelle des uns et autres », a encore indiqué le président de l’Académie présentant le parcours d’un historien dont le travail s’est ensuite centré sur une interrogation sur les formes historiques du rapport au temps qui était le centre de sa conférence à Beit Al Hikma, tout en étant attentif aux transformations des expériences du temps aussi bien aujourd’hui.
Cet éminent historien français « a posé le diagnostic du présentisme pour cerner la forme contemporaine du rapport au temps et il a proposé comme outil d’investigation ce qu’il a appelle ‘les régimes d’historicité’, a-t-il conclu avant de céder la parole au Pr.Hartog
L’intégralité de la conférence est accessible en ligne sur le réseau social de l’Académie.
Par Fatma Chroudi (Faty)