Présenté dans la soirée du mercredi 6 août dans le cadre de la 59ème édition du Festival international de Hammamet (FIH2025), le spectacle chorégraphique de danse-théâtre “Acompte” (titre arabe Arboune), unique création chorégraphique de cette édition, s’est imposé comme une expérience artistique dépassant le simple cadre esthétique pour sonder les douleurs enfouies d’un artiste tunisien, à l’image de toute une société. Une oeuvre prenant la forme d’un cri silencieux, dont le poids est porté par le langage corporel.

Le titre, emprunté au lexique populaire tunisien, désigne une avance financière versée en gage d’un engagement. Mais dans cette création, “Arboune” devient une métaphore poignante : le tribut que paie l’artiste, et au-delà toute une société, pour continuer de survivre et de tenir debout dans un environnement instable où les repères se brouillent, voire se perdent.

Durant près d’une heure, la pièce se déploie dans l’espace d’une chambre modeste aux meubles usés, évoquant une société épuisée. A travers cette scénographie, Imed Jemaa interroge la condition de l’artiste tunisien, dépossédé de ses droits fondamentaux, en proie au doute, contraint de défendre coûte que coûte un rôle social devenu presque illusoire, dans une création où le langage du corps, minutieusement travaillé, révèle une gestuelle resserrée, souvent repliée, traduisant enfermement, impuissance et épuisement.

Mais “Arboune” est aussi une reconnaissance de fidélité à la mémoire d’un art marginalisé, et à toute une génération d’artistes qui croient encore à la portée du geste, à la noblesse d’un art résistant, un clin d’œil de protestation contre une réalité qui broie les vocations et étouffe les espérances.

Sur un plan plus personnel, ce spectacle constitue également un hommage symbolique au père d’Imed Jemaa qui était musicien tout en évoquant l’atmosphère de la pandémie de Covid-19, une étape charnière qui a profondément remodelé la conscience de l’artiste, sa mémoire et ses liens avec son environnement créatif et social.

Entouré de huit danseurs et danseuses -Rania Jdidi, Ameni Chatti, Chokri Jemaa, Ahmed Grindi, Abdelkader Drihli, Omar Abbes, Kais Boulares, Souhaiel Ben Saad et Imed Jemaa-, fort de plus de quarante ans d’expérience, signe une œuvre intense et profondément humaine, malgré les contraintes matérielles, portée par un groupe à l’énergie partagée et renforcée par la présence scénique du chorégraphe lui-même, dont l’engagement physique et émotionnel confère à l’ensemble une densité singulière.

Après la représentation, l’artiste s’est livré à cœur ouvert lors de la conférence de presse, évoquant les difficultés rencontrées pour mener à bien ce projet, fruit d’un travail de plus d’un an et demi. Il a souligné que ce spectacle est né dans un contexte personnel et professionnel difficile, exprimant sa déception face à la réalité artistique en Tunisie, notant que la danse professionnelle est quasiment inexistante et que le nombre de danseurs professionnels diminue jour après jour. Il a également critiqué l’absence de formation sérieuse et la dévalorisation du travail chorégraphique au profit de shows de divertissement.