EnergieUne nouvelle géopolitique de l’énergie est déjà là. Une géopolitique qui a démarré avec la pandémie Covid+ et a été confortée par la guerre russo-ukrainienne engendrant des transformations rapides, rarement vécues dans l’histoire de l’humanité d’où l’importance aussi bien de la sécurité alimentaire qu’énergétique. Où en est la Tunisie de tout cela ? Pourrait-elle être le carrefour énergétique de la région ? Pourrait-elle être un fournisseur fiable d’énergie propre à l’heure de l’électrification de l’ensemble des activités économiques dans le monde ?

C’est à ces questions et à d’autres qu’ont répondu les participants à la journée consacrée par le Conseil Tunisien des Relations Internationales (TCIR) à la thématique des énergies renouvelables et au rôle que pourrait jouer la Tunisie en la matière.

Kamel Ben Naceur, président de la Société des ingénieurs du pétrole et président de la société DAMORPHE, rappelle à l’occasion la déclaration de Steve Hill, « Shell’s Executive Vice President for Energy Marketing » qui parle des impacts importants sur la sécurité énergétique dans le monde ayant provoqué des changements structurels sur le marché et qui sont susceptibles d’avoir un impact à long terme sur l’industrie mondiale du GNL.

A l’agence de l’Energie, on prévoit 3 scénarios, explique M. Ben Naceur :

  • Le Stated Policies Scenario, ou STEPS : considère seulement les politiques énergétiques déjà annoncées. En clair : ses projections pour l’avenir sont prudentes car il ne tient pas pour acquis les engagements des gouvernements pour réaliser les objectifs liés à l’énergie. Il prend en considération uniquement les politiques et mesures existantes et celles en cours d’élaboration.
  • L’Announced Pledges, Scenario (APS) : scénario des engagements annoncés – prend en compte les promesses des pays incluant les NDC qui vise l’atténuation des émissions dans les secteurs de l’énergie et des procédés industriels tout en conciliant l’efficience économique et en respectant l’intégrité environnementale et l’équité sociale.
  • Le Net Zero Emissions by 2050 (NZE) : neutralité des émissions en ligne avec les recommandations du GIEC (SR1.5) et la COP21 ce qui signifie simplement que les émissions de gaz à effet de serre sont réduites à un niveau aussi proche que possible de zéro, les émissions restantes présentes dans l’atmosphère étant réabsorbées, par les océans et les forêts.

Et la Tunisie dans tout cela ?

Afif Chelbi, ancien ministre de l’Industrie, décrit les quatre composantes principales qui concernent directement la Tunisie corridor énergétique central à savoir le gazoduc Transmed reliant l’Algérie à l’Italie via la Tunisie. Opérationnel depuis 1983, ce gazoduc a doublé sa capacité en 2008. Il est le plus grand gazoduc de la région.

Un autre projet, s’il se réalise, est celui du Trans Sahara Gas pipeline de plus de 4000 km qui relierait le Nigeria à l’Algérie puis à l’Europe notamment par connexion à Transmed.

Kamel Ben Naceur a exprimé des doutes quant à la possible concrétisation de ce gazoduc. Appelé également « Nigal » (des initiales du Nigeria et de l’Algérie), ce gazoduc devrait relier les gisements du delta du Niger aux installations gazières de Hassi R’Mel en Algérie. Soit 1 037 km à travers le Nigeria, puis 841 km sur le Niger pour traverser l’Algérie sur 2 310 km afin d’acheminer par pipelines le Gaz vers l’Espagne et l’Italie.

Un projet difficile à réaliser car le Nigeria investit dans la construction d’usines de liquéfaction de gaz et ne peut assurer la conduite de projets aussi lourds en même temps.

Reste le projet Elmed d’Interconnexion Tunisie-Italie mais qui reste très modeste par rapport au potentiel de la Tunisie en énergies renouvelables et aux besoins du pays lui-même et de l’Europe en énergies propres.

Afif Chelbi a aussi cité le Corridor South H2 projet de gazoduc à hydrogène qui relirait l’Afrique à l’Europe via la Tunisie si elle investit dans la production de l’hydrogène. « La connectivité énergétique devrait booster une connectivité globale Tunisie-Europe avec ses composantes humaines, industrielles, climatiques, culturelles, sécuritaires. C’est la seule réponse pérenne aux flux migratoires. Elle permettrait, en outre, de construire une compétitivité globale face aux autres ensembles régionaux américains et asiatiques ».

La Tunisie otage des discours souverainistes entretenant la confusion entre investissements et corruption !

Reste que la Tunisie est aujourd’hui incapable de s’imposer sur l’échiquier énergétique international et même régional. Lorsqu’on voit qu’un pays comme l’Egypte, outre les projets colossaux qu’il a lancé dans les énergies renouvelables, projette le forage de 300 puits en 3 ans et investit 8 milliards de $ dans le développement des champs gaziers et pétroliers, on se demande si notre pays n’est pas sorti de la géographie et de l’histoire en la matière.

Les quelques investisseurs internationaux ont quitté le pays à la suite des campagnes menées par une bande de députés ignares de l’ère « révolutionniste » qui ont pondu un article de loi (l’article 13 de la Constitution de 2014) aussi limité que leurs cerveaux et des discours populistes souverainistes entretenant la confusion entre investissements et corruption !

Entre temps la Tunisie souffre de grands déficits énergétiques et de l’image d’un pays peu accueillant pour les investisseurs alors qu’elle devrait avoir l’ambition de devenir un grand producteur d’énergies fossiles, d’énergies renouvelables, de produits et de services.

Aujourd’hui c’est tout juste une terre de transit « sujette aux humeurs régionales ».

Pour une Tunisie terre de production, la première condition est de mettre fin au véritable tsunami qui a frappé le secteur énergétique tunisien, sinistré depuis 2011 estime les experts présents à la rencontre organisée par le Conseil tunisien des Relations internationales.

Aujourd’hui, l’administration du secteur a été tétanisé et la production des énergies paralysée. Le taux d’indépendance énergétique s’est particulièrement dégradé passant de 95 % en 2010 à 47 % en 2023. « Le déficit énergétique a été multiplié par plus de 10 en Dinars et en TEP (5538 Millions de Dinars et 4,6 MTEP en 2021 contre 483 MD 0,4 MTEP en 2010), et par plus de cinq en Euros (1678 Millions d’Euros en 2021 contre 300 M. Euros en 2010). Sans parler du déficit de 2022 qui a atteint 10.135 MD du fait de l’envolée du prix du baril ».

S’en sortir oui mais comment ?

La raison principale de la débâcle énergétique tunisienne est la chute du nombre de permis et de puits avec une production qui a chuté de 3 Millions de TEP en 12 ans. Le nombre de permis valides est tombé de 52 en 2010 à 17 en 2023. Le nombre de puits forés de 38 puits en 2010 (Exploration et Développement) est tombé à 1 à 3 puits par an depuis. Au 1er trimestre 2023, la production de pétrole et de gaz était de 1,1 Millions de TEP (- 13 % / 2022 et la moitié de 2010 ou elle était de 2,1 Millions de TEP) !

Si la Tunisie veut récupérer du terrain dans le secteur énergétique, le rétablissement de la confiance est primordial, estiment les experts. Le climat d’affaires ne peut être amélioré sans la reprise de la confiance.

Face au blocage des projets du Plan Solaire Tunisien, il est urgent de mettre en œuvre les recommandations de la conférence nationale d’accélération du PST de 2017 et de promulguer le Pacte pour le développement des énergies renouvelables de 2019 (qui comprend une série de mesures pour un consensus Secteur public, Secteur privé, Syndicat).

Il faut aussi, estime M. Chelbi réaliser rapidement Elmed 1 et préparer un Elmed 2 plus ambitieux. « Les 600 MW prévus devraient être suivis, en 2éme phase, de capacités plus importantes dans le cadre d’une relance du projet DESERTEC nouvelle formule, tout en révisant le cadre juridique régissant les exportations d’électricité »

Et pour terminer, il est nécessaire après 2029 de relancer la production nationale de gaz et la connexion du pipe du Sud à Transmed dont une partie de la capacité devrait servir à l’exportation de gaz tunisien. Il est aussi vital pour la Tunisie de lancer un grand projet de production d’hydrogène en Tunisie.

Le diagnostic est fait, des recommandations pour des solutions concrètes et réalisable sont faites, maintenant, y-a-t-il un œil pour voir, une oreille pour entendre, un cerveau pour réfléchir et une volonté pour agir ?

C’est la grande question ?