La Chambre franco-tunisienne de commerce et d’Industrie a récemment pris l’initiative d’organiser une rencontre sur le retournement d’entreprise, afin d’accompagner les entreprises en difficulté dans leur processus de transformation en vue d’un redéploiement vertueux de leurs activités.

Quelles sont les entreprises concernées par le processus de retournement ? Ce sont celles qui traversent de grandes difficultés endogènes et exogènes. Qu’il s’agisse d’un management non performant, de manque de moyens financiers ou encore en subissant un climat d’affaire tendu, tel celui en Tunisie, et un contexte national ou international difficile et décourageant. Le retournement d’entreprise, ou restructuring, renvoie à un ensemble de pratiques dont l’objectif est de « retourner » la situation à l’avantage de l’entreprise même si l’on doit transformer ses activités de bout en bout.

Amel Ben Dali, entrepreneure et membre de la CFTCI intervenante au séminaire, s’est dit surprise par le volume des créances classées dans notre pays : « Le chiffre exact du nombre d’entreprises en difficultés et l’amplitude exacte de ces difficultés sont difficiles à établir. Mais un paramètre nous permet d’avoir une idée sur l’ampleur du phénomène : c’est le volume des dettes classées, qui est la résultante directe de ces difficultés et une mesure objective de leur ampleur. Il s’agit de 13,1 milliards de dinars selon la BCT ».

La moyenne en Grèce est de 3 milliards d’euros. Les dettes classées, explique Mme Ben Dali, doivent être au-dessous de 10 milliards. Ce chiffre astronomique cité par la BCT, montre l’ampleur des dégâts vécus par l’entrepreneuriat tunisien depuis 2011.

La Tunisie a dû souffrir, outre la gestion catastrophique, par les différents gouvernements de la chose économique, de la pandémie Covid+ et de la guerre russo-ukrainienne.

 Il n’y a pas que l’argent, il y a aussi les gens !

Dans les entreprises en grandes difficultés, le retournement offre une transformation durable qui doit toucher toute la chaîne de valeur dans un objectif de revitalisation. Il faut déployer les actions nécessaires pour rétablir la situation en mettant en place un dispositif de suivi après avoir établi le diagnostic qui permettra de comprendre la genèse des difficultés.

Il faut ensuite, prendre rapidement des mesures opérationnelles pour réduire le coût et adopter une nouvelle stratégie validée par les actionnaires et les bailleurs de fond.
Le plan de restructuration même peut imposer le changement des managers ou les faire accompagner des managers de la transition. « Si le diagnostic est bien fait on peut faire un bon retournement et sauver l’entreprise ».

Ce qui est important dans ce genre de situation est de réagir à temps pour changer de direction avant que cela devienne trop tard parce que pour les entreprises en crise, il n’y a pas que les finances qui comptent, il y a aussi les dirigeants et la qualité du management.

Nejia Gharbi, présidente du CDC (Caisse des dépôts et Consignations) a rappelé que la moyenne des créances classées est de 13% mais que pour certaines banques, elles sont de 20% ce qui est inacceptable. L’absence d’un pôle judiciaire spécialisé dans les conflits bancaires et financiers ne facilite pas la situation des entreprises et encore moins celle des banques. Toujours est-il qu’outre la mission d’appuyer les PMEs innovantes porteuses de valeur ajoutée et créatrices d’emplois, la CDC dispose d’un fonds de retournement inspiré par l’expérience française.

Pour précision, la CDC a, en 2022, levé des fonds de l’ordre de 571,7 MDT pour le capital Investissement dont 213 MDT ont été consacrés au capital retournement contre 68,6 MDT en 2021, ce qui élève la part du capital retournement à 41,8% du montant des investissement contre 20% en 2021.

L’un des premiers fonds de retournement est le fonds Inkadh, précise Mme Gharbi lancé en réponse à la crise COVID-19 en Tunisie en partenariat avec l’USAID et géré par la société de gestion Mac Private Management pour un montant global de 50 MDT, co-souscrit principalement avec Amen Bank.

La CDC a également lancé l’Initiative ASPIRE, un fonds pour promouvoir la résilience des PME tunisiennes, dans le cadre de son Fonds d’urgence de 700 millions de dinars.  Et en ce moment même, la CDC œuvre pour la mobilisation d’une ligne de financement de 200 MDT. Hormis, son rôle de gestionnaire de la ligne, la CDC y sera, aussi, souscripteur à hauteur de 40%. D’où un effet de levier de 300 MDT en plus des 200 MDT mobilisés.

Des fonds qui permettront de soutenir les entreprises en difficultés qui peuvent changer leur situation et reprendre le chemin de la croissance.

Pour Khalil Laabidi, consultant « United Advisers », les difficultés financières sont souvent à l’origine des retournements d’entreprises. La gestion de la crise financière nécessite une analyse minutieuse de la situation financière, la mise en place de mesures d’urgence pour préserver la trésorerie, la négociation avec les créanciers et l’élaboration d’un plan de restructuration financière solide.

Pour y arriver il faut d’abord identifier des sources de financement alternatives dont les fonds de retournement, réduire les coûts non essentiels, trouver des investisseurs potentiels, et renégocier les modalités de paiement avec les fournisseurs. Mais pour réussir la restructuration, il faut bousculer les habitudes des employés et parties prenantes, les rassurer et les sécuriser et rétablir la confiance entre l’équipe dirigeante et les employés et entre l’entreprise et ses partenaires externe.

Ce processus ne peut avoir du succès sans une communication ouverte et transparente, l’implication des employés dans le processus de prise de décision, l’identification des principaux acteurs du changement, et la mise en place de mesures d’accompagnement telles que des formations ou des programmes de développement professionnel peuvent aider à surmonter la résistance au changement.

Mais tout ceci ne saura se faire sans un soutien externe. La mission de retournement est complexe d’où l’importance de sa conduite par des experts spécialisés et expérimentés pour identifier rapidement les dysfonctionnements et déterminer les axes correctifs.

En Tunisie, un grand nombre d’entreprises auraient pu être sauvées si elles avaient été conscientes de l’importance des fonds de retournement et avaient eu la modestie de faire appel à des managers externes pour les accompagner dans le processus de retournement et de restructuration.