Les PME tunisiennes ne sont pas gâtées ! Le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont sacrifiées sur l’autel de la rareté de l’accès aux liquidités* et d’un cadre réglementaire complexe et bloquant. Accès limité au financement, les empêchant ainsi de se développer, et, en face, exigences de garanties dont elles ne disposent pas et un dédain manifeste des institutions financières, les empêchent de se développer et de prospérer.

Ceci conjugué à un déficit de compétences spécialisées PME dans les banques, un environnement institutionnel hostile marqué par un système judiciaire inefficace, et côté PME, de l’opacité, faibles structures de gouvernance et des capacités managériales et incapacité à résister aux pressions fiscales et autres charges sociales.

Selon la Banque mondiale, les petites et moyennes entreprises (PME), source essentielle d’emploi et de croissance en Tunisie dans un contexte de régression économique aggravée depuis deux ans par la pandémie de COVID-19, «… se heurtent à un obstacle de taille : l’accès à des financements ».

En effet, « … l’écosystème financier national est sous-développé et peu enclin au risque : les fonds en capital‑investissement et en capital‑risque sont limités, tandis que les banques imposent des exigences de garanties et des coûts d’emprunt élevés… Les femmes connaissent, plus que les hommes, des difficultés pour emprunter et créer une entreprise », explique l’institution de Bretton Woods.

Quel avenir pour les toutes petites entreprises (TPE) dans un pays où elles sont harcelées de toutes parts ? Des PME qui ne sont ni accompagnées, ni aidées pour surmonter leurs difficultés et qui subissent un diktat réglementaire pire que celui que subissent les grandes entreprises ? Un avenir très incertain, notamment pour les femmes.

La complexité des procédures, la cherté des crédits et les pratiques « usurières » de certaines institutions financières constituent un blogage de taille.

Un taux d’intérêt entre 14,5 et 16,5%

Un exemple parlant est celui d’une entrepreneure qui opère dans le secteur de l’agroalimentaire. Elle a mis sur le marché une ligne de produits chocolatés dont des dattes enrobées de chocolat et de la confiserie. Cette entrepreneure a été presqu’à l’arrêt à cause de la phase Covid-19 (environ 2 années). En plus de la difficulté de reprendre ses parts de marché, elle a subi et subit toujours des contrats en sa défaveur en tant que fournisseur de grandes surfaces qui exigent d’elle de participer à tous les frais promotionnels au même titre que les grands opérateurs de l’agroalimentaire et procèdent au règlement de ses factures 120 jours après livraison du produit.

Un produit de qualité boudé à cause de la conjoncture socioéconomique difficile, de l’inflation et de la baisse du pouvoir d’achat.

Cette entrepreneure, qui a acquis une machine pour monter en gamme, a contracté, entre temps, un prêt à la BTS (Banque tunisienne de solidarité) qui n’a pas été solidaire (sic) avec elle.

Ignorant royalement les conditions de travail extrêmement difficiles de la cheffe de projet, en pleine relance, et incapable d’honorer ses traites pendant 5 mois, le chef de l’agence aurait décidé la saisie de la machine. Auparavant, il se serait acharné sur elle, procédant à l’opération de prélèvement entre 14 fois et 18 fois par jour de son compte bancaire vide, selon la journée et son humeur, augmentant ainsi pénalités et taxes. Un acharnement qui ne devrait pas être pratiqué par banque, censée aider les entrepreneurs fragiles à s’en sortir, en l’occurrence une banque dite « de solidarité ».

Et puis… Récupérer une machine, pourquoi faire ? Pour qu’elle tombe en miettes sans que la banque récupère sa mise ou que l’entrepreneure sauve son affaire ?

« Ces entreprises qui ont souffert de la phase COVID, qui aujourd’hui n’arrivent pas à se relever en raison de l’impact de la guerre en Ukraine et de la hausse de l’inflation, continuent à vivre un calvaire indescriptible puisque menacées et torturées par des institutions financières censées les aider à surmonter leurs difficultés. Elles mettent ainsi en échec toute tentative de redressement pour ses entreprises », a commenté Fayçal Derbel, expert-comptable.

C’est cette Tunisie, celle de zéro deuxième ou troisième chance qui empêche les jeunes de rêver et les entrepreneurs d’oser.

La même entrepreneure a dû traiter avec une institution de leasing parce que ne disposant pas de garanties, comme l’exigent les banques. Une institution avec laquelle elle a contracté un financement « Ijara », pour acquérir des équipements, un véhicule et un lot de terrain, et qui décide, sans l’informer, de recourir directement à la justice pour la déposséder de tout ce pourquoi elle a travaillé dur sans même négocier un sursis ou un rééchelonnement acceptable.

Cette institution, qui exige un taux d’intérêt, se situe entre 14,5 et 16,5 %. Pour un terrain qui coûte près de 80 000 dinars, le remboursement est à hauteur de 166 000 dinars.

C’est à croire qu’il n’y a aucune place pour les petites entreprises en Tunisie. Aucun soutien, aucun recours.

Commentaire, à propos des opérations de leasing, de Samir Trigui, financier et banquier : « C’est le prix de l’argent en cas d’insuffisance de liquidités. Le taux dans les banques américaines dépasse actuellement les 20%. Aucun lien avec le TMM ou le taux bancaire. C’est le résultat d’un calcul de risques et de la casse et en prime les impayés ».

En Tunisie, l’ignorance des lois en vigueur, des techniques de négociation, du benchmark lors de la contraction de prêts pour financer un projet ou faire une acquisition fait perdre beaucoup d’avantages et d’argent aux entrepreneurs.

Les négociations menées entre le prêteur et l’acquéreur mal informé sur les risques et les coûts du prêt, acceptant dans l’urgence toutes les conditions de l’institution financière, placent l’entrepreneur dès le départ en situation de faiblesse. Les agents en charge des dossiers avec les porteurs de projets agissent, par manque de culture et de sensibilité entrepreneuriale, comme des prêteurs sur gage et non comme les financeurs de l’économie.

Long est le chemin d’une véritable culture entrepreneuriale en Tunisie.

—————

*Etude IACE 2013