Chris Geiregat, chef de mission pour la Tunisie au FMI, recommande la limitation des subventions, et « des réformes profondes des entreprises publiques qui, globalement, sont inefficaces et surendettées, ont des arriérés et bénéficient de garanties et de transferts récurrents et importants de l’Etat ».

Il ajoute que « cette réforme devrait réévaluer le rôle de ce secteur [public] dans l’économie tunisienne, centraliser sa tutelle, renforcer la gouvernance, et améliorer la transparence financière. Celle-ci est essentielle à la fois pour maîtriser le déficit des finances publiques et pour développer le secteur privé » tout en « recommandant » à la BCT de donner la priorité à une inflation faible et stable.

En effet, dans son rapport consultation au titre de l’article IV avec la Tunisie, le FMI pointe la STIR, la STEG et l’Office des céréales comme étant les entreprises publiques nécessitant une action immédiate.

Ainsi, pour convaincre le FMI du lancement de cette réforme, le gouvernement a commencé avec l’UGTT par mettre en place un comité mixte dont l’objectif est d’entreprendre les réformes nécessaires dans les entreprises publiques au cas par cas et entamera ses travaux par sept entreprises, à savoir Tunisair, la société El Fouledh, la STAM, l’Office des terres domaniales, la Pharmacie centrale, la SIPHAT et la STEG.

Or, ce qu’omet de dire le chef de mission pour la Tunisie du FMI c’est que si les entreprises publiques sont devenues « surendettées et inefficaces » c’est principalement à cause des politiques d’austérités imposées par le FMI et ses recommandations, notamment concernant la dévaluation du dinar.

  1. Pharmacie centrale de Tunisie

La Pharmacie centrale de Tunisie (PCT) joue un rôle déterminant quant à l’importation et la commercialisation de produits pharmaceutiques. La PCT est également responsable de la fixation des prix à l’importation et des appels d’offres pharmaceutiques pour les pharmacies, les hôpitaux et les médicaments vétérinaires.

La PCT agit comme une centrale d’achat et de stockage des médicaments importés et comme intermédiaire avec les hôpitaux publics et la fabrication locale des médicaments.

Ainsi, la PCT est l’unique importateur de médicaments en Tunisie et, plus largement, le principal régulateur du système d’approvisionnement pharmaceutique du pays.

Cette institution a acquis une connaissance du marché mondial du médicament et de la négociation des contrats constituant ainsi un atout précieux pour l’ensemble du système pharmaceutique tunisien offrant un réel pouvoir de négociation.

Or, les problèmes liés à l’approvisionnement en médicaments se font de plus en plus sentir depuis quelques années. La PCT a été tenue comme responsable de ces problèmes à cause de son rôle d’importateur exclusif, d’approvisionneur central des structures de santé publiques et parapubliques et sa responsabilité dans la gestion des stocks de sécurité du pays.

Plus particulièrement, c’est le système de compensation des prix de médicaments qu’assure la PCT qui est largement critiqué représentant une perte pour la PCT de 210 millions de dinars sur l’exercice de 2018 et en l’absence de soutien financier pour l’appuyer.

En effet, l’accroissement du poids de la compensation est fortement corrélé à la dépréciation du dinar face à l’euro. Sachant que 80% des achats de la PCT sont libellés en euro, la rentabilité opérationnelle de la PCT se dégrade d’année en année avec la dégradation du dinar.

L’essentiel du compte fournisseur est aussi libellé en euro, et son volume a dépassé les 1,1 milliard de dinars en 2017 soit +75% par rapport à 2015. Ceci est dû principalement aux rallongements imposés aux fournisseurs, ce qui cause une hausse de ces créances dans un contexte de dévaluation du dinar.

Par ailleurs, selon la loi de finance de 2021, la dévaluation du dinar a causé une perte de 62% sur le résultat net de l’année 2018 par rapport à l’année 2017, passant de 144,8 millions de dinars en 2017 à -234,6 millions de dinars.

En effet, cette détérioration est principalement due à l’augmentation de 30,3% des charges financières net résultant de la poursuite de la baisse du taux de change du dinar par rapport aux devises, notamment l’euro et le dollar (78% des paiements aux fournisseurs étrangers) de respectivement 16% et 21% entrainant une perte de change important de 211,7 millions de dinars en 2018 contre 162,5 millions de dinars en 2017.

Ainsi, les informations reprises par les médias en 2018 alertant l’opinion publique sur un manque inquiétant d’approvisionnement en médicaments, accusant «l’inefficacité» de la PCT était entre autre due à la forte dépréciation du dinar, qui est complétement indépendante de son ressort mais qui a fortement impacté sa capacité à sécuriser l’approvisionnement en médicament sur le territoire tunisien.

  1. Société tunisienne de l’électricité et du gaz (STEG)

La société tunisienne de l’électricité et du gaz (STEG) est aussi ciblée par le comité de réformes des entreprises publiques ainsi que par le comité d’évaluation du système de subventionnement, étant concernée par la subvention sur les produits énergétiques.

Cette compensation a été introduite en 2004 et touche trois entreprises publiques, à savoir la STEG, l’ETAP et la STIR, avec le double objectif de faire face à l’augmentation des prix internationaux du pétrole, suite au changement en 2000 du statut de la Tunisie de pays producteur de pétrole et de gaz naturel au statut d’importateur et de soutenir les entreprises tunisiennes exposées à la concurrence internationale.

La subvention sur l’électricité, représentant plus de 50% de la subvention des produits énergétiques, provient indirectement par l’approvisionnement de la STEG à un prix fixe administré inférieur au prix international afin de minimiser l’effet du taux de change et volatilité des prix internationaux sur les prix nationaux, répondant ainsi à sa mission de production et distribution de l’électricité et du gaz naturel sur le territoire tunisien. En une quarantaine d’années, la STEG a réussi à faire passer le taux d’électrification urbaine et rurale de 20 % et de 6% à près de 100 % et à 99 % respectivement.

Or, selon la loi de finance de 2020, la STEG, la première plus grande entreprise tunisienne par son chiffre d’affaire, a enregistré des pertes de change et des intérêts bancaires estimés à 1 500 millions de dinars, en raison de l’évolution du taux de change du dollar et de l’euro par rapport au dinar.

En effet, les états financiers de l’année 2017 ont produit un résultat négatif estimé à 1 193,7 millions de dinars, contre un résultat négatif estimé à 354,4 millions de dinars de l’année 2016. Cette détérioration est due à la hausse du taux de change par rapport à l’euro et au dollar à la même période, qui s’est traduite par des charges financières nettes estimées à 1 039,9 millions de dinars en 2017 par rapport à 635,4 millions de dinars en 2016.

Ce rapport confirme que pour la STEG les pertes comptables de 2017 proviennent principalement des charges financières (intérêts et pertes de change) des emprunts bancaires en devises conclus et assumés par la STEG au titre du financement de ses achats et investissements.

On peut aussi lire dans ce même rapport que l’année 2018 a enregistré un résultat négatif de 2 093,5 millions de dinars dû à l’augmentation du prix du baril de pétrole par rapport à 2017, mais aussi à cause de la dépréciation du dinar face au dollar durant l’année 2018 ce qui a entrainé des charges financières nettes 1 543,1 millions de dinars en 2018 par rapport à 1 039,9 millions de dinars en 2017, entrainant ainsi l’augmentation du prix d’achat et de production de la STEG.

Ainsi, encore une fois, la dépréciation du dinar face à l’euro et au dollar depuis avril 2016 est le facteur principal expliquant « le surendettement » de cette entreprise publique.

  1. Office des céréales

Epargné par le comité des réformes des entreprises publiques mais ciblé par le comité d’évaluation du système de subventionnement, l’office des céréales joue un rôle central dans l’approvisionnement permanent et continu du pays en blé dur, blé tendre et orge pour couvrir tous les besoins de la consommation humaine et animale, tout en garantissant l’existence d’un stock de réserve dans le pays couvrant une période d’au moins deux mois de chaque céréale.

La dévaluation du dinar face à l’euro et au dollar a causé une augmentation des charges financières de l’office des céréales, passant de 68,3 millions de dinars en 2016 à 86 millions de dinars en 2017, pour atteindre 100 MDT en 2018 (47). En effet, la valeur d’achat des céréales importées au cours de la même période a augmenté de 2,8% passant de 1174,6 millions de dinars en 2016 à 1 208,2 millions de dinars en 2017 et estimé à 1 467 millions de dinars en 2018 enregistrant ainsi une augmentation de 21,4% par rapport à 2017.

Ces augmentations sont dues à l’augmentation des prix sur le marché international et les prix d’importation en dinar.

Quant aux résultats d’exploitation, l’office des céréales enregistre une dégradation de 18,6% entre 2018 et 2019, du fait de la hausse du prix d’import en dinar, de la hausse des prix sur le marché mondial, et de la hausse des prix des céréales à la production à partir de juin 2019.

Par ailleurs, la valeur de la compensation des ventes de céréales a augmenté de 8,1% entre 2016 et 2017, pour attendre 978 millions de dinars en 2017 par rapport à 904,7 millions de dinars en 2016 et estimé à 1 326 millions de dinars en 2018 soit de 35,6% par rapport à 2017.

Cette augmentation n’est pas due à une augmentation de la valeur de compensation ou alors à l’élargissement de la cible de la compensation mais à l’effet de change dont résulte l’augmentation du coût des céréales locales et importés.

Pour conclure, la dévaluation du dinar, imposée par le FMI, a eu un impact conséquent, si ce n’est le plus important, sur les échanges extérieurs de la Tunisie. Elle a largement contribué à la situation financière actuelle des principales entreprises publiques sur lesquelles le FMI impose des réformes profondes avec leur éventuelle privatisation et exerce une grande pression sur le gouvernement de l’époque en contrepartie de son appui budgétaire, qui comme le montre le tableau ci-dessous, est loin de couvrir les pertes enregistrées.

En effet, les coûts de la dévaluation du dinar promue par le FMI, dépassent largement les déboursements annuels bruts du FMI sur la même période.

Au total, la somme accordée par le FMI à la Tunisie de 2016 à 2018 ne couvre même pas les coûts d’une seule réforme, en l’occurrence pour notre cas d’étude la dévaluation du dinar. Le coût de la dévaluation du dinar sur les entreprises publiques ciblées par le FMI représente l’équivalent du total des déboursements annuels bruts du FMI.

Quant au coût total de la dévaluation du dinar sur les échanges commerciaux extérieurs de la Tunisie sur la même période, ils représentent plus de 6 fois le total des déboursements annuels bruts du FMI. En fait, ces déboursements annuels ne couvrent même pas l’impact de l’évolution du taux de change sur l’encours de la dette qui est estimé à 18 697,9 MDT entre 2016 et 2018 contre les 3 509,3 MDT accordés par le FMI sur la même période, soit plus de 5 fois cette somme accordée.

En vue de l’ensemble des résultats représentés ci-dessus, il est devenu indispensable d’estimer l’impact des reformes imposées par le FMI sur l’économie tunisienne en contrepartie de son appui budgétaire à la Tunisie, avant même de s’engager de nouveau avec le FMI.

Tableau 2 : Tableau récapitulatif de l’effet de la dévaluation du dinar sur les échanges commerciaux, la dette et les principales entreprises publiques ciblées par les réformes imposées par le FMI entre 2016 et 2018 et les sommes accordées par le FMI en tant qu’appui budgétaire sur la même période.

(Voir tableau 2 – http://economie-tunisie.org/fr/observatoire/fmi-impact-devaluation-dinar-tunisie)

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Source: Observatoire Tunisien de l’Economie

Auteurs :

Imen Louati, PhD, Reseach Officer Community Field Coordinator, et Chafik Ben Rouine, Head of Statistics & Quantitative Research, se proposent, dans ce briefing paper, de présenter une évaluation de l’une de ces réformes entamées depuis 2016, à savoir la dévaluation du dinar tunisien.

Et cette dévaluation a eu un impact significatif sur les réserves en devises, le déficit commercial, le service de la dette, l’inflation et les entreprises publiques.