Structurer le ‘’Mouvement National’’ autour d’un mono récit est, pour le moins, déloyal. Tous les éléments sont disponibles pour restituer l’histoire dans son déroulement réel, c’est-à-dire son authenticité.

Le 20 Mars 1956, la Tunisie recouvrait sa souveraineté nationale et ébranlait l’empire colonial de la France. C’est Tahar Ben Ammar, Chef du Gouvernement sous Lamine Bey, qui en a été le principal acteur. Habib Bourguiba, en étant en marge des faits, n’en était pas moins l’artisan majeur. Ce jeu de rôles a été à l’origine d’une brouille entre le ‘’Combattant Suprême’’ et ‘’l’autre père de l’indépendance’’, comme aimait à les désigner Bechir Ben Yahmed. Il est possible d’apurer ce différend lequel affecte l’aura de Habib Bourguiba sans parvenir à éclipser la gloire de Tahar Ben Ammar.

Aux origines de la Brouille

Commençons d’abord par rappeler les faits. Deux ans durant, à la tête d’une délégation nationale, Tahar Ben Ammar,  a courageusement conduit les négociations avec les autorités coloniales. Il parvient à  arracher, se conformant à un consensus national, d’abord l’autonomie interne qu’il a signée le 3 juin 1955. Puis le 20 mars 1956, il signait enfin le protocole de l’indépendance totale. Fair play, Tahar Ben s’est joint à Habib Bourguiba accueilli en triomphateur le 1er juin 1955, sans chercher à lui voler la vedette.

Il jouait l’unité, credo autour duquel s’est construit le mouvement national et fortement recommandé par Bourguiba, lui-même. On les voit côte à côte sur la passerelle du paquebot ‘’Ville d’Alger’’ sur lequel est rentré Habib Bourguiba de son dernier exil.

Par ailleurs, TBA s’était rangé du côté de Bourguiba lors du congrès du Néo destour de Sfax, en octobre 1955, quand Bourguiba avait raflé la présidence du parti à Salah Ben Youssef. Faut il ajouter que Bourguiba avec les autres chefs des organisations nationale  a quasiment forcé la main au Bey pour valider l’accès de TBA à la primature. A priori leurs relations furent sans ombrage. Une fois l’indépendance recouvrée, Tahar Ben Ammar obtient l’accord de Lamine Bey et convoque l’assemblée constituante.

Suite à cela il se résout à quitter la scène. Faut-il rappeler que cela intervient au terme d’un parcours de lutte qui a commencé en décembre 1920. A cette date Tahar Ben Ammar avait conduit au bout déjà d’un premier parcours de lutte, la première commission nationale à être reçue à Paris par les autorités coloniales. La ‘’Cause Nationale’’ prenait, enfin forme et le mouvement national s’intallait dans une logique de lutte pour l’indépendance. Cela s’est terminé le 17 avril 1956 quand il a remis sa démission au Bey désignant son successeur  et le parrainant personnellement.

Les faits d’histoire sont ceux-là. Tahar Ben Ammar est la figure emblématique de l’indépendance et Habib Bourguiba, artisan et inspirateur de la lutte avec une  suprêmatie tacticienne reconnue, le fondateur de l’Etat national. Les parcours des deux hommes s’entremêlent car tous deux ont entretenu, à des hauteurs différentes, la force de résistance populaire.

L’approche de Tahar Ben Ammar et la Doctrine bourguibienne se surajoutaient. La foi dans l’unité nationale, l’indépendance comme unique but de la lutte et cela sans le moindre compromis était leur synthèse commune. Tahar Ben Ammar a initié des fondements élevés par Habib Bourguiba  au niveau d’une Doctrine. On cite des faits saillants tel la politique des étapes ou le deal avec l’adversaire qui  alternait  ‘’ la résistance ou le Dialogue’’ c’est-à-dire ‘’Etterghib We Ettarhib’’.

Les deux sensibilités s’emboitaient et s’enrichissaient mutuellement. Tahar Ben Ammar se rivait sur la perspective de l’indépendance. Habib Bourguiba tout en entretenant la flamme combattive de la résistance, y ajoutait une vision perspicace de l’Etat national. Force est de reconnaitre que l’édifice se distingue par une solidité prodigieuse aux coups de bélier de l’Histoire. Habib Bourguiba voulait se réserver l’exclusivité du génie de la lutte pour l’indépendance a cherché à exfiltrer Tahar Ben Ammar du déroulement historique des faits de l’indépendance.

Son entreprise a pris la forme d’une manipulation regrettable du pouvoir judiciaire. Il y a eu un procès inique contre Tahar Ben Ammar. Ce dernier en est sorti indemne et la justice en a été éclaboussée. Cet écart éthique de Bourguiba a été lourd de conséquence sur l’itinéraire démocratique du nouvel Etat tunisien.

Réhabiliter Tahar Ben Ammar

La mauvaise querelle faite par Habib Bourguiba à Tahar Ben Ammar est indigne de leurs parcours. Autant qu’elle embrume notre mémoire nationale. Onze ans après le 14 janvier 2011 le pays est en mal d’apurement de ce litige surfait qui a détricoté l’esprit et l’héritage de la lutte pour l’indépendance. L’Histoire de la Tunisie peut très bien accueillir ces deux illustres figures sans avoir à prendre à l’un et à donner à l’autre.

Tous deux ont une pleine place dans notre mémoire collective et chacun selon son génie et son indice individuel. L’heure a sonné pour réhabiliter Tahar Ben Ammar dans l’Histoire officielle et cela doit commencer par la rectification des manuels scolaires. N’y voyons pas une entreprise revencharde. Il ne s’agit pas d’écarter Habib Bourguiba et de rééditer le même manège de glorification abusive à Tahar Ben Ammar.

Rappelons Tahar Ben Ammar dans notre mémoire  et réhabilitons le dans son combat et il finira par rejoindre la place qui lui revient sans avoir à évincer Habib Bourguiba. Il s’agit bien d’apaiser les esprits et de pacifier notre histoire unique. Nous citerons à cet égard le livre écrit par Chedly Ben Ammar  fils de Feu Tahar Ben Ammar* dédié à son père et lequel reprend un déroulé historique sincère et conforme à la chronologie des faits.

Rappelons que l’auteur a convié les figures du premier cercle bourguibiste lors de la présentation publique de son livre. Aucune contestation n’a été enregistrée à cette occasion. Nous considérons que c’est un premier pas de fait. A priori rien ne s’oppose à prolonger cette initiative et aller vers une rectification historique définitive.

Ali Driss

*Le livre s’intitule : ’’Tahar Ben Ammer : Homme d’Etat, la force de la persévérance’’.