De compensation et de justice, ce sont les thèmes abordés avec Hatem Ben Salem dans la deuxième partie de son entretien pour une nouvelle Tunisie.

WMC : Vous avez parlé, dans la première partie de l’entretien, d’une classe moyenne paupérisée, mais que dire alors de celle pauvre aujourd’hui alors qu’on étudie sérieusement la levée de la compensation dans un contexte international en crise avec la flambée des prix des céréales et du pétrole ?

Hatem Ben Salem : Il faut revoir le système de la compensation, le revoir et le réorganiser de manière à ne pas nuire aux classes défavorisées. Nous pouvons nous inspirer des expériences faites à l’international.

En ce qui me concerne, je plaide pour la fameuse carte magnétique qui permettrait aux classes défavorisées de bénéficier directement de leurs subventions. La compensation doit être orientée vers ceux qui la méritent. Aujourd’hui l’Etat subventionne à l’aveugle les riches comme les pauvres y compris les étrangers qui vivent sur le sol national, sans oublier toutes sortes de trafics qui gravitent autour des produits de première nécessité et qui profitent même à des pays voisins.

Le système de la carte magnétique existe dans de nombreux pays et pourrait être adopté en Tunisie. Il est facile d’identifier les familles nécessiteuses, celles qui doivent bénéficier de l’aide de l’Etat et qui en seront dotées.

Le thème de la compensation met également aux devants de la scène nationale l’absence de stratégies de moyen et long termes pour assurer la sécurité alimentaire de notre pays. Ceci conjugué à l’absence d’une industrie agroalimentaire conséquente. C’est l’une des plus grandes faiblesses de la Tunisie, il n’y a pas d’écosystème dans le secteur agricole. L’Espagne avait en 1960 le même PIB que la Tunisie, la différence entre les deux pays est qu’eux ont su construire une industrie agroalimentaire très performante dans les zones de production agricole, ce qui les a projetés aux premiers rangs à l’international.

La dictature, ne l’oublions pas, est passée par-là et a imposé une grande discipline dans la gestion des affaires de l’Etat.

Nous avons le même potentiel en Tunisie et nous n’avons pas besoin d’une dictature pour assurer les performances économiques du pays. En revanche, nous avons besoin d’harmoniser, simplifier et assouplir les réglementations. Il est quand même aberrant que la Direction générale des industries agroalimentaires soit logée au ministère de l’Industrie et non de celui de l’Agriculture.

Dès lors, il devient nécessaire de restructurer nos ministères pour plus de cohérence de nos politiques économiques. Il y a des structures à mettre en place et il y a des encouragements à dispenser.

Comme je l’ai dit précédemment, mettre fin aux autorisations administratives est impératif pour le pays. Il est vrai que dans un premier temps, nous vivrons une période de flottement ou d’incertitudes, mais cela créera de nouveaux entrepreneurs et encouragera l’investissement.

Casser les monopoles est important, cela permettra aux jeunes d’investir tous les secteurs économiques et d’innover. Tout contrôle doit se faire de manière concomitante et a posteriori. C’est cela la force d’une administration, c’est dire oui et par la suite de contrôler. C’est la raison pour laquelle, je reviens toujours à la question de bonne foi. Ainsi, nous pourrions redonner confiance aux Tunisiens qui reprendront aussi confiance en l’Etat.

Et la justice dans tout cela ? Vous savez qu’une institution judiciaire forte et équitable est de nature à rassurer les investisseurs…

Le cas du système judiciaire tunisien a été vécu par d’autres pays. Les dysfonctionnements que nous voyons aujourd’hui n’est pas propre à la Tunisie. La grande différence toutefois est qu’une partie de ce système judiciaire a été mis totalement à la disposition de partis politiques. Je précise « une partie » mais pas tout le système.

Ceci est dû à quoi ? C’est parce que comme pour les autres institutions, le système judiciaire est personnalisé, c’est-à-dire que c’est un système qui ne connaît pas l’anonymat. On connaît les noms des présidents des tribunaux, ceux des juges qui instruisent les dossiers et ainsi de suite.

La digitalisation pourrait être très efficace et peut être mise en place en deux ans.

Le système judiciaire ne pourrait être sauvé que par la digitalisation. Les dépôts et l’instruction des dossiers doivent être codifiés. Personne ne doit savoir qui est en charge d’une affaire ou chez qui elle a atterri. Tout ce qui tourne autour de la justice doit être traité par des codes de manière anonyme. C’est la seule possibilité de casser cette trop grande personnalisation des affaires judiciaires et ça nous évitera des Akremi et compagnie.

La digitalisation pourrait être très efficace et peut être mise en place en deux ans.

Deuxième élément important : bien rémunérer les juges pour leur éviter toute possibilité de céder aux tentations de l’argent. A comparer avec les salaires de la fonction publique, les juges sont bien rémunérés, mais lorsque nous prenons en compte l’importance des affaires qu’ils traitent associés aux masses d’argent en jeu, la première chose à laquelle nous devons réfléchir est celle se rapportant à l’amélioration de leurs émoluments pour les mettre à l’abri de la corruption.

Troisième axe : casser le formalisme du système en partant du ministère. Il faut revoir le système des tribunaux, des chambres et ainsi de suite. Nous avons hérité d’un système français datant des années 50 que nous n’avons jamais réformé.

Notre force est dans notre union, notre force est dans le respect mutuel.

Cela fait plus de 15 ans qu’un programme de réforme a été engagé par l’UE avec la Tunisie… 

Oui mais ce programme a été freiné à cause des arrière-pensées qu’il comportait. Toutefois, aujourd’hui nous ne pouvons plus parler d’arrière-pensée car nous n’avons jamais vu une justice descendre si bas. Sans une justice forte et indépendante, qui fonctionne comme un levier de développement, nous ne pourrons rien faire dans l’économie et encore moins le social.

L’acharnement de jeunes juges d’instruction inexpérimentés instruisant des affaires de personnes de haute stature dans l’administration tunisienne où l’économie suivant l’article 96 est terrifiant, c’est la parfaite illustration d’une dictature judiciaire dont on ne dit pas le nom.

Il faut abolir l’article 96 car totalement contreproductif et mettre un autre système de contrôle encore une fois basé sur la confiance préalable : on fait confiance d’abord ensuite on contrôle et on sanctionne s’il y a transgression de la loi.

Comment Hatem Ben Salem voit la Tunisie de demain ?

Je vois une Tunisie qui se recentre sur elle-même. J’explique : une Tunisie qui considère ses citoyens comme de vrais citoyens, qui les rassure et qui met en place un système qui permet à toutes les idées de se concrétiser, à toutes les compétences de s’épanouir et à toutes les ambitions de se réaliser. Notre force est dans notre union, notre force est dans le respect mutuel.

Vous avez dû relever que depuis 2011, il y a disparition totale de la notion du respect et des valeurs. On ne se respecte plus, on ne s’estime plus et on exploite les réseaux sociaux pour casser toute tentative du Tunisien de s’affirmer en le dénigrant et en le diffamant. Je vois une Tunisie fière de son histoire, capable de construire son avenir, sur la base de la confiance partagée, du respect mutuel, de la liberté de conception, de réflexion et de réalisation. C’est ça la vraie Tunisie.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali

Article en relation: Hatem Ben Salem appelle à «un gouvernement de guerre pour sauver l’Etat» (1/2)