Le gouvernement réclamé à gorge déployée, depuis des semaines, à l’intérieur et à l’extérieur de la Tunisie par les opposants au « coup de force constitutionnel » opéré le 25 juillet 2021 par le président de la République, Kaïs Saïed, est enfin formé. Objectifs assignés à ce nouveau gouvernement : «restaurer la confiance en l’État » et « améliorer les conditions de vie des Tunisiens».

Gros plan sur les enjeux.

Nommée le 29 septembre, la cheffe du gouvernement, Najla Bouden – dont on ne connaît pas la qualité officielle « premier ministre » ou « chef du gouvernement » – en a annoncé la composition, le 11 octobre. Ce gouvernement est composé de 25 technocrates dont neuf femmes, outre sa cheffe. A l’exception de deux ou de trois ministres rescapés du gouvernement précédent, il s’agit pour la plupart de profils nouveaux, inconnus du grand public et très éloignés de la politique.

La politique sera dorénavant “la chasse gardée du chef de l’Etat“, et ce au regard des mesures d’exception par le biais desquelles il s’est arrogé tous les pouvoirs.

Les islamistes exclus pour ça !

Point d’orgue de ce gouvernement : l’absence, pour la première fois depuis le soulèvement du 14 janvier 2011, de représentants du parti islamiste, Ennahdha, et dérivés. Même si certains analystes généralement bien avertis, comme la sociologue Neila Sellini, ont perçu dans le nouveau ministre des Affaires religieuses, Ibrahim Chaibi, une potentielle taupe de la secte.

Pour mémoire, en pleine crise socioéconomique et sanitaire (plus de 25 000 morts des suites de la pandémie de Covid-19) et après des mois de blocage politique, Kaïs Saïed avait actionné l’article 80 de la Constitution de janvier pour justifier son action par un « péril imminent ».

Cette décision a été interprétée par les islamistes et leurs acolytes, les contrebandiers et les rentiers du pays (makhzéniens) comme un « coup d’État ».

Comble de la traîtrise et du suicide politique, l’ensemble de ces opposants ont même demandé aux « démocraties occidentales », particulièrement les Etats-Unis et la France d’intervenir par tous les moyens, « pour rétablir l’ordre constitutionnel en Tunisie ».

D’ailleurs, l’annonce du nouveau gouvernement est survenue au lendemain d’une manifestation (de 6 000 personnes) contre les mesures d’exception décidées par Kaïs Saïed. Cette manifestation a été particulièrement violente, marquée par l’agression de journalistes par des milices qui seraient proches d’Ennahdha et par des slogans appelant à la destitution du président de la République.

Le gouvernement Bouden bien accueilli à l’intérieur et à l’extérieur

Par-delà le contexte dans lequel il a été formé, ce gouvernement a été bien accueilli par la population et bénéficié du soutien d’importantes puissances dont les Etats-Unis.

A l’intérieur, les syndicats, le patronat et les milieux d’affaires ont eux aussi bien réagi à la formation de ce gouvernement et n’ont pas manqué d’apporter un soutien – nuancé certes – à la cheffe du gouvernement, Najla Bouden.

En effet, les syndicats s’attendent à ce que le nouveau gouvernement se démarque de ses prédécesseurs, tienne les engagements pris envers eux et n’en prenne dorénavant que lorsqu’il est sûr de pouvoir honorer.

Quant au patronat, il a rappelé au nouveau gouvernement que plus de 60 000 PME – sinistrées par l’effet de la pandémie de Covid-19 et non ou peu soutenues par les banques de la place – attendent d’être prises en charge pour pouvoir redémarrer.

S’attaquer aux déficits jumeaux

Dans tous les cas, le nouveau gouvernement, confronté déjà à l’épineux problème des déficits jumeaux (déficit budgétaire et déficit courant) qui ont atteint des seuils intolérables, est appelé à mobiliser de l’argent frais pour pouvoir satisfaire ces revendications. Quelque 7 à 9 milliards de dinars sont nécessaires pour boucler le budget de 2021.

Dans cette perspective et face aux difficultés de s’endetter davantage sur le marché financier international, le gouvernement peut compter sur deux créneaux : l’intensification des efforts pour recouvrer une partie d’environ 10 milliards de dinars d’impayés auprès des personnes morales et physiques qui n’ont pas payé la douane, le fisc, les cotisations à la sécurité sociale…

Il a également la possibilité de lancer des emprunts nationaux, de diminuer les subventions, de réaliser d’importantes économies en réduisant le gaspillage dans le secteur public.

Il s’agit, également, de supprimer les exonérations fiscales et autres avantages fiscaux non justifiés, de réduire les importations de produits de luxe…

Cela pour dire que la marge de manœuvre au plan intérieur demeure possible. Et même à l’extérieur, elle demeure encore possible pour peu que le gouvernement actionne le levier de la diplomatie économique. Et c’est là tout l’enjeu de cette deuxième alternative.

C’est dans cet esprit que la recommandation faite par le dernier Conseil d’administration de la Banque centrale de Tunisie (BCT) trouve sa pleine signification. Ce dernier a suggéré « de dynamiser la coopération bilatérale pour mobiliser de nouveaux fonds auprès de pays frères et amis ».

L’environnement international et régional favorable au gouvernement

Cette alternative est très possible après le ferme soutien que viennent d’apporter des puissances militaires et financières régionales comme l’Algérie, l’Egypte, l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis au gouvernement de Najla Bouden.

Dans le langage diplomatique, ce soutien doit être traduit, incessamment, par une aide financière substantielle multiforme : prêts, dépôts en devises à la BCT, fourniture à la Tunisie de quantités de pétrole et de gaz à crédit ou à des prix préférentiels…

Mention spéciale pour le soutien géostratégique que vient d’apporter l’Algérie à la Tunisie. La visite que le chef de l’Etat algérien, Abdelmadjid Tebboune, va effectuer dans les prochains jours en Tunisie, en compagnie de « la moitié de son gouvernement » laquelle visite pourrait ouvrir de grandes perspectives d’échanges économiques entre les deux pays. Rien que l’’encouragement des touristes algériens à venir nombreux en Tunisie est, à lui seul, une aubaine pour relancer un secteur touristique, sinistré depuis deux ans.

Mention spéciale, également, pour l’appui que viennent d’apporter, le 12 octobre 2021, les Etats-Unis au nouveau gouvernement. « Nous félicitons la Tunisie pour la formation d’un nouveau gouvernement sous la direction de Najla Bouden », a indiqué le porte-parole du département d’Etat américain, Ned Price.

C’est un appui de taille qui va entraîner bientôt celui de l’Union européenne qui a traîné, jusqu’ici, la patte avant de réagir.

Morale de l’histoire : la formation de ce gouvernement et son annonce ont suscité des réactions positives auprès des partenaires “utiles“ à la Tunisie. Ces soutiens sont bons pour motiver le nouveau gouvernement.

C’est de toute évidence une belle victoire à l’actif du chef de l’Etat qui a su garder son sang-froid face à la traîtrise des islamistes et d’anciens mercenaires politiques tunisiens dont le « tartour », l’ex-président provisoire Moncef Marzouki. Ne l’oublions pas, ces derniers ont appelé les Etats-Unis et la France à rétablir l’ordre constitutionnel en Tunisie et sont à l’origine de campagnes malveillantes pour reporter le Sommet de la francophonie qui était prévu les 21 et 22 novembre prochain à Djerba.