Intervenant à la 28ème session de l’université d’été de l’Association Mohamed Ali de la culture ouvrière (Acmaco), organisée cette année sur le thème «Quel nouveau contrat social pour refonder la transition démocratique après le 25 juillet 2021 ? Pour un contrat social citoyen», l’universitaire et sociologue Riadh Zghal a fait une communication sur le thème de « la décentralisation, la gouvernance et la démocratie, un triangle vertueux pour le développement et la paix sociale. 

Abou SARRA

L’universitaire a entamé son intervention par se poser plusieurs questions et par y répondre brièvement avant de développer de manière exhaustive sa pensée. Y a-t-il un rapport entre décentralisation, gouvernance et démocratie ? Oui, répond-elle. La société tunisienne est-elle attachée à la démocratie ? Pas évident, estime-t-elle. L’Etat tunisien est-il démocratique ? Tendance à dire non, au sommet comme à la base, du moins pour le moment.

Pourquoi ? Parce que la démocratie, dit-elle, est souvent confondue avec anarchie dont les manifestations ne manquent pas dans les organisations et l’environnement : pas d’autorité, dégagement des responsables, déficit de la productivité au travail, occupations des espaces du pouvoir par des sit-in qui durent des mois, grèves sauvages, mauvais entretien sinon insalubrité d’espaces publics… In fine, dilution des valeurs, voire perte d’un liant structurant la vie sociale.

Et la sociologue de s’interroger s’il y a quelque part une peur de la démocratie en Tunisie. Pour étayer son point de vue, elle évoque les lenteurs dans la création d’institutions qui encadrent la démocratie : conseils régionaux, tribunal constitutionnel, décrets d’application des lois de l’ESS, du PPP, du crowdfunding … La contestation de la négociation menée par le gouvernement avec la société civile d’El Kamour… Pourtant, c’est une approche de délibération démocratique que le gouvernement semblait en phase d’étendre à tous les gouvernorats, nuance-t-elle.

Ces questionnements l’ont amenée à se demander sur le type de démocratie qui sied le mieux au contexte tunisien. Et à la limiter la comparaison à deux modèles de démocratie : la démocratie représentative et la démocratie délibérative.

« La démocratie représentative dite libérale : un individu égal un électeur égal un choix “personnel“ pour un centre du pouvoir a montré des limites contreproductives ». Ainsi, l’expérience a montré que le vote sur des listes pour des inconnus équivaut à ce qu’elle a appelé une “industrie de la manipulation de la démocratie“.

Pour elle, la démocratie délibérative, dite aussi démocratie participative, serait la mieux indiquée pour la Tunisie dans la mesure où elle implique un sens partagé du « commun », tandis que son exercice commence au niveau des structures de base locales. Ces dernières feront le lit d’un système démocratique à l’échelle nationale.

« C’est lorsque le citoyen aura expérimenté concrètement la confrontation avec les opinions différentes qu’il aura compris que l’acceptation de la différence est la condition sine qua non du vivre ensemble, qu’il aura pratiqué la liberté d’expression sans être exclu pour autant, qu’il aura pris part à la réalisation d’objectifs partagés dans le respect des lois. C’est alors qu’il sera plus à même de saisir le sens de la démocratie à l’échelle nationale. La démocratie n’étant plus une abstraction, le citoyen se souciera des diversions par rapport à ses principes fondamentaux d’égalité, de liberté et d’équité », a-t-elle relevé.

Et de préciser que «ce sera un apprentissage de longue haleine qui exigera beaucoup de pédagogie et de patience. D’où le besoin de partis qui encadrent ce processus et offrent chacun une vision du commun national ».

Riadh Zghal estime que la démocratie délibérative suppose l’existence de plusieurs centres de pouvoir, l’interactivité, le réseautage, l’émergence ininterrompue de nouvelles normes partagées du fait des interactions sociales et pas nécessairement du fait de l’autorité institutionnelle.

D’où l’enjeu, selon elle, d’accompagner tout projet de démocratie délibérative, par le tandem décentralisation-bonne gouvernance, lequel tandem repose sur trois piliers : transparence, redevabilité et participation (objectifs partagés, dynamique ininterrompue d’interactions sociales…).

Concrètement, il s’agit de favoriser, au plan local, l’interaction libre entre les acteurs sociaux vivant sur un même territoire, l’exercice de leurs capacités pour faire des choix, prendre des décisions et passer à l’action.

La sociologue cite, à ce propos, des projets pilotes lancés à Tataouine, à Siliana et à Mahdia. Ces projets ont permis l’autonomisation des populations locales ciblées, l’ouverture du champ des possibles, la disposition par ces communautés d’une capacité accrue d’exploiter les ressources disponibles matérielles et immatérielles, la perception de soi (en tant qu’individu et/ou collectivité) comme acteur du changement et non comme victime ou bénéficiaire passif et soumis à un big brother.

Pour toutes ces raisons, Riadh Zghal pense que décentralisation, gouvernance et démocratie procèdent de la même finalité et seraient le triangle vertueux pour promouvoir la démocratie délibérative et améliorer, sur la base de valeurs communes, le quotidien des Tunisiens, partout où ils se trouvent.

« Miser sur la décentralisation et la participation public-privé pour entretenir le processus de démocratisation et mobiliser le plus de ressources et d’énergies pour la création de richesse. C’est le moyen à mobiliser par l’Etat s’il se prétend démocratique face aux exigences de la société », a-t-elle conclu.

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