Intervenant lors de la 28ème université d’été de l’Association Mohamed Ali de la culture ouvrière (Acmaco), tenue les 27, 28 et 29 août 2021 à Hammamet, sur le thème : « Quel nouveau contrat social pour refonder la transition démocratique après le 25 juillet 2021 ? Pour un contrat social citoyen », Mansour Hellal, professeur à l’Institut supérieur de gestion (ISG), a dressé «le bilan de l’expérience tunisienne en matière de contrat social». Il en a retenu quatre phases historiques.

Abou SARRA 

La première phase s’étale sur la période de l’indépendance et les perspectives décennales de développement. Il s’agit de l’ère du collectivisme d’Ahmed Ben Salah où l’ère de l’Etat providence. Cette forme d’Etat s’affranchit de la conception libérale d’un Etat limité à des fonctions d’ordre public et de sécurité. Ce système politique était consacré par les mécanismes de politique sociale : Code du statut personnel (CSP), gratuité de l’enseignement à travers l’école publique, accès aux soins (santé publique), sécurité sociale, code du travail…

La deuxième phase, ou l’ère Nouira, Premier ministre de l’époque, est assimilée à l’avènement de la politique contractuelle, voire à la coexistence des 3 secteurs : public, privé, coopératives de service. Cette phase a consacré le passage du droit légal au droit conventionnel.

Elle était visible à travers la Convention collective cadre de 1973 qui lève l’interdiction de négocier les salaires, lesquels sont discutés, depuis, dans le cadre de conventions sectorielles.

A signaler également, dans le cadre de cette 2ème phase, le pacte social de janvier 1977. Dénommé “contrat de progrès” de la Tunisie, ce pacte a été établi entre ce qu’on appelait à l’époque « l’État, expression du pouvoir organisé ; le parti (destourien) de l’époque inspirateur des orientations de la politique et organisateur des masses ; enfin, les organisations socioprofessionnelles, qui groupent et engagent les partenaires à la production », allusion ici à l’UGTT et à l’UTICA.

Le contrat du progrès visait à réajuster le rôle de l’Etat providence responsable exclusif de la croissance, depuis 1956, dans tous les domaines, et à contenir, son corollaire, le développement d’une bureaucratie stérilisante.

Trois objectifs étaient recherchés à travers cette régulation : recherche du plein-emploi ; une politique de revenus adéquate ; recherche du meilleur équilibre régional.

Très vite la politique contractuelle a montré ses limites et s’est avérée source de blocage de la négociation salariale via 2 critères : augmentation des prix de 5 % et maintien de l’augmentation des prix au moins 6 mois.

Ce blocage a généré une crise syndicale, avec comme corollaire la dissolution de la centrale syndicale UGTT suite aux événements du 26 janvier 1978, recours au tribunal d’exception – la Cour de sureté de l’Etat, crise politique et changement du Premier ministre.

Toujours au rayon de cette 2ème phase, le conférencier signale l’arrivée de Mohamed Mzali comme Premier ministre, le changement du discours politique mais échec sur le plan économique. En témoigne la révolte du pain en janvier 1984, le limogeage du Premier ministre suite aux annulations des augmentations des prix des denrées alimentaires comme le pain, la farine et la semoule (Caisse générale de compensation) et l’adoption, en 1986, du Programme d’ajustement structurel (PAS) dans un contexte de crise politique.

La 3ème phase, le conférencier l’a appelée “l’ère Ben Ali“ ou “le renouveau de la politique contractuelle“ avec comme composantes : « déclaration des droits de l’Homme et démocratisation de la vie politique et sociale ».

Point d’orgue de cette phase, l’accord-cadre du 17 avril 1990 qui vient consacrer le passage d’une augmentation de rattrapage à l’augmentation anticipée sur la base d’un cycle de paix sociale de 3 ans. A relever à cette époque : 8 rounds de négociation salariale dans les secteurs public et privé, révision du code du travail en 1994 et 1996 (pour modifier plus de 100 articles sur un total de 447), institution du préavis de grève et blocage de la Convention collective cadre. La règle étant : « travailles et tais-toi ».

La 4ème phase, qui intervient après l’éclatement du système politique, économique et social du 14 janvier 2011, a été marquée par la conclusion, le 14 janvier 2013, d’un nouveau contrat social. Ce contrat social est articulé autour de 5 axes : croissance économique et développement régional, politique de l’emploi et de formation professionnelle, relations professionnelles et travail décent, protection sociale, mise en place d’un Conseil national de dialogue social.

Ce contrat social est visible à travers la déliquescence de l’Etat et l’émergence du travail non productif ou fictif rémunéré (à ne pas confondre avec le sous-emploi).

Le Conseil national du dialogue social n’a vu le jour qu’en juillet 2017 avec une composition tripartite (Etat, UGTT, UTICA). Cette composition a été fortement contestée au nom du pluralisme syndical institué dans la Constitution. Résultat : fonctionnement inefficace. Seul le régime des pensions de retraite dans le secteur public est validé.

Lire aussi : Les prérogatives du Conseil national du dialogue social, selon Chahed

Dans sa communication fortement saluée, Mansour Hellal a appelé au besoin de lever certaines confusions utilisées à des fins politiques par les gouvernements tunisiens et à distinguer entre le contrat social et le droit social, d’une part, et entre l’aide sociale et la sécurité sociale, d’autre part.

Il espère, après les événements du 25 juillet 2021 et avec l’avènement d’une 3ème République, qu’il y aura une modification de la Constitution via un changement du régime politique, une refonte du Code du travail et de la sécurité sociale et un nouveau contrat social citoyen.

Suivra : Le contrat social au service de l’après 25 juillet 2021 : Craintes, menaces, opportunités (Partie 3)

 

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