L’Association Mohamed Ali de la culture ouvrière (Acmaco) a organisé, les 27, 28 et 29 août 2021, sa 28e université d’été à Hammamet sur le thème : «Quel nouveau contrat social pour refonder la transition démocratique après le 25 juillet 2021 ? Pour un contrat social citoyen».

Objectifs : réfléchir sur un nouveau contrat social et sur les conditions à réunir pour vivre ensemble, éviter les erreurs infantiles et catastrophiques commises depuis 2011, évaluer la transition démocratique en Tunisie et l’impact du 25 juillet 2021 sur sa refondation, esquisser un nouveau modèle économique partenarial et tripolaire (coexistence des secteurs privé, public et tiers secteur). 

Abou SARRA

Globalement, cette université d’été a discuté des tenants et aboutissants de l’acte de rupture du changement opéré le 25 juillet 2021, de l’enjeu d’exploiter cette opportunité pour mettre au point un nouveau contrat social et un nouveau modèle économique plus inclusif et plus équitable.

Les travaux de cette université ont été animés par des experts pluridisciplinaires en économie, droit, sociologie, philosophie…, et avec la participation des représentants actifs du mouvement syndical et associatif.

Pour ne citer que les conférenciers, il s’agit de :

– Habib Guiza (président de l’Acmaco et secrétaire général de la CGTT), Fethi Triki (philosophe),

– Darem El Bassam (expert international irakien),

– Mansour Helal (universitaire),

– Seghaier Salhi (auteur d’un ouvrage en arabe publié en 2017, intitulé « Le colonialisme interne et le développement inégal : le système de marginalisation en Tunisie comme modèle »),

– Mohamed Fadhel Moussa (homme politique, juriste universitaire et avocat),

– Abdessattar Messaoudi (juriste et ancien avocat du défunt Béji Caïd Essebsi),

– Amin Halouani (président d’honneur « Mourakiboun »,

– et Riadh Zeghal, Faouzi Ben Abderrahmane, Mohamed Hédi Zaiem et Jacques Ould Aoudia (économiste, Maroc).

Etat de la citoyenneté 

Premiers à intervenir, Fethi Triki, Darem El Bassam, ont eu à définir le concept de contrat social. Il s’agit, grosso modo, d’un accord par lequel des hommes différents constituent, sur la base de valeurs partagées, un pouvoir commun de manière libre, consentante et volontaire qui leur permet de coexister pacifiquement.

En effet, pour Darem El Bassam, le contrat social a pour objectif d’édifier « l’Etat de la citoyenneté ».

Rejet des anciens contrats sociaux parce que faux

De son côté, Fethi Triki estime que le contrat social est un acte constitutionnel pour la vie en commun. C’est ce qu’il appelle une “production du peuple par lui-même“ ou encore la “consécration d’une volonté générale en acte“.

Pour lui, les contrats sociaux conclus jusqu’ici sont de faux contrats en ce sens où ils ont été réduits à organiser les rapports entre employeurs et employés, alors que le contrat social dans sa conception globale signifie l’acceptation des membres d’une communauté de vivre ensemble sur la base d’un stock de valeurs partagées. A la limite, le contrat social est à assimiler à la Constitution ou à un contrat du peuple avec lui-même. Ce même contrat fondateur du peuple et de l’Etat prône des rapports pacifiques, de tolérance, de convivialité, de raison …

Un nouveau modèle sociétal…

Traitant de ce qu’il appelle « le nouveau contrat social citoyen », Habib Guiza relève que le nouveau contrat souhaité doit consacrer une coupure avec les anciens contrats et leurs anciens acteurs, voire ce qu’il appelle la « coupure de l’alliance de la bureaucratie administrative avec la bureaucratie syndicale ».

Concrètement, il propose un nouveau modèle sociétal fondé sur la citoyenneté multiple (juridique, socioéconomique, écologique, territoriale, numérique…). Ce nouveau contrat signifie, dans sa version moderne et globale, un engagement pour un développement concerté entre les partenaires sociaux : Etat, syndicat, patronat, société civile. Le but étant de garantir paix sociale, développement et croissance.

Le nouveau contrat social citoyen doit s’articuler, selon Guiza, autour des valeurs de solidarité, de pluralité et d’égalité, ayant comme objectifs la répartition équitable des richesses, de la connaissance et des pouvoirs entre les classes sociales, les régions, les générations, les races et une dimension genre, ainsi que la définition des droits et des devoirs.

Cela suppose, relève Guiza, la contribution à son élaboration par les diverses acteurs du pays dans leur pluralité. « Car dans un contexte de démocratie et de gouvernance décentralisée, dit-il, un contrat social citoyen renferme une approche et des mécanismes permettant des déclinaisons au niveau local et régional ».

L’ultime objectif étant, selon lui, « la mise en place d’un Etat stratège démocratique et social, une société civile efficiente, un modèle de développement partenarial, équitable, numérique et durable avec trois acteurs d’activités (public, privé et tiers secteur dit secteur de l’économie sociale et solidaire qui est appelé à jouer un rôle majeur) ».

Et d’ajouter : « Au cœur de ce projet de contrat social citoyen, la citoyenneté, les services publics, la protection sociale, le développement durable, l’économie sociale et solidaire et les nouveaux acteurs émergents dont le mouvement social citoyen – MOSC, pour la réalisation d’une meilleure justice sociale ».

Constitution de 2014 = contrat social citoyen, mais…

Pour Fadhel Moussa, la Constitution de 2014 peut être perçue et considérée comme un contrat social citoyen et participatif en ce sens où elle transcende le rapport réducteur entre organisations professionnelles pour un projet de société plus global où modernistes, islamistes conservateurs et autres peuvent coexister.

Pour cette raison, il estime que le débat national a intérêt à ne pas se limiter à la légitimité qui se fonde sur des bases juridiques ou sur des bases éthiques ou morales. Il doit la dépasser pour ce qu’il appelle « la gouvernementalité ». Cette pratique étant généralement associée à la participation volontaire et effective de celui qui est gouverné. Elle apparaît avec la naissance de l’État moderne et avec le développement. C’est ce qu’on appelle communément la “démocratie délibérative“.

Pour tous ces côtés positifs, il considère que la Constitution de 2014 n’est pas la création du seul parti Ennahdha mais un compromis entre les différentes forces vives du pays : partis, syndicats, société civile… Un compromis qui peut être érigé en contrat social citoyen.

Pour étayer sa pensée, il évoque les articles identitaires 1 et 2 de cette même Constitution, l’article 6 sur la liberté de conscience, l’article 35 sur la société civile, l’article 109 sur l’économie sociale et solidaire…

… à l’origine de la crise actuelle

Lui succédant, Abdessattar Messaoudi tire à boulets rouges sur la Constitution de 2014 qualifiée à tort selon lui d’« une des meilleures Constitutions du monde ».

Il indiquera que cette Constitution, qui fut certes difficile à réaliser à l’époque, est à l’origine de la crise dans laquelle se débat actuellement le pays, et ce pour trois raisons.

La première réside dans la légistique, c’est-à-dire l’art d’écrire la loi. Le parti Ennahdha – qui a rédigé ou corédigé cette Constitution – a tout fait pour qu’elle engrange d’ambiguïtés et d’ambivalences favorisant une multitude d’interprétation, rendant par conséquent impossible l’applicabilité des articles de la Constitution.

La deuxième a trait au choix du régime parlementaire qui a généré des pratiques de blocage dont la particratie, la peuplecratie, la corruptocratie, le nomadisme parlementaire.

Il rappellera que Bourguiba avait anticipé en rejetant très tôt le régime parlementaire, tirant ainsi les enseignements des blocages générés par ce système politique en France lors de la 3ème République.

Dans le même contexte, il a relevé que le parti Ennahdha n’a opté pour ce régime que pour défendre des intérêts purement matériels dans la mesure où l’accès au pouvoir signifie l’accès à un butin.

La troisième a trait à l’instabilité politique créée par cette même Constitution alors que, par essence, tout projet de contrat social s’accommode mal de cette instabilité.

Le débat instauré à cette occasion a fait ressortir la conclusion suivante : en dépit de la forte polémique suscitée par la Constitution de 2014 et la mauvaise rédaction (légistique) des législations tunisiennes en général, les Tunisiens ne sauraient se passer des lois. A preuve, le slogan le plus partagé par les Tunisiens stipule que « si on appliquait la loi à tout le monde, le pays serait meilleur ».

Dont acte.

A suivre : Historique du contrat social en Tunisie (Partie 2)

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