Les visites officielles des ministres entre la Tunisie et la Libye se sont intensifiées ces derniers temps alors que la Libye amorce la phase de reconstruction économique et que la Tunisie essaye tant bien que mal d’assurer la relance d’une économie en berne. Reste que tous les efforts que l’on peut faire ne serviront à rien si on ne réussit pas à aplanir les entraves à la libre circulation des personnes et concomitamment des biens et services entre les deux pays, en premier les difficultés d’ordre procédural et certaines mauvaises pratiques.

Le point avec Ali Kooli, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Appui à l’investissement.

WMC : La Libye est l’étendue économique naturelle de la Tunisie. Comment développer et renforcer les échanges commerciaux avec ce pays face à la vétusté des passages transfrontaliers terrestres et le manque de moyens ?

Ali Kooli : Le principal point de passage entre la Tunisie et la Libye est Ras Jedir. A ce propos, nous avons décidé de repenser le système de circulation entre les deux pays en commençant par consacrer des voies spécifiques aux passagers et d’autres aux marchandises, tout en en accroissant le nombre. Pour les marchandises comme pour les passagers, il a été décidé de créer des points de douanes uniques. Un accord a été récemment signé à Djerba entre le directeur des douanes tunisiennes et celui des douanes libyennes. Les corps de contrôle des polices frontalières des deux pays sont en train de faire de même.

Pour les marchandises, des équipes conjointes, tunisienne et libyenne, procèderont aux opérations de contrôle à la sortie de Tunisie. Du coup, il n’y aura pas de contrôle en Libye ; et même chose pour les marchandises en provenance de Libye.

Donc, il y aura un seul contrôle qui se fera sur l’une des frontières. C’est un gain en temps, en confort et en efficacité. Cela permettra de déterminer les responsabilités si défaillance il y a, et il y aura un document unique utilisé par les deux douanes conjointement avec les mêmes informations sur les documents.

Et ceci mettra fin, d’après vous, au droit de la route dont sont victimes les conducteurs venant de Libye ?

Quand le contrôle sur les points de passages devient plus efficace, les contrôles sur les voies routières deviendront moins nombreux. On aura en amont identifié avec plus de précision les véhicules, leurs catégories, leurs usages et ce qu’ils transportent. Le but est de rendre le mouvement plus fluide et plus contrôlable.

Nous ambitionnons aussi de rendre la vie des gens plus facile. C’est-à-dire que si vous êtes bien contrôlé au point de passage, vous êtes moins contrôlé au point de la route.

La dimension sécuritaire étant assez importante, surtout dans le contexte actuel où le terrorisme représente une menace sérieuse pour tous les pays, quelles mesures ont été prises pour éviter tout risque, à ce niveau, lorsque nous savons que plusieurs corps se trouvent sur les points frontaliers (douaniers, gardes nationaux, police frontière et armée). Y a-t-il une coordination entre eux ?

Du côté tunisien, il a été décidé de se concerter davantage pour une plus grande coordination et une distribution des rôles plus pragmatique et plus efficace. Nous voulons que la concertation soit encore plus importante entre la police des frontières et la douane, au niveau de l’identification des gens, du contrôle des voitures et des personnes dans le cadre de la lutte contre toute forme de trafic, qu’il s’agisse de drogue, d’armes, ou de produits et de matières illicites.

Le jour où toutes les procédures seront électroniques sera le jour qui marquera la fin de la corruption.

Les accords conclus avec nos partenaires libyens visent en prime à assouplir les déplacements. Il s’agit de permettre au Tunisien de rentrer en Libye pour travailler sans rencontrer de difficultés, et au Libyen qui vient en vacances, pour se faire soigner ou faire du commerce, d’avoir des facilités.

Nous planchons sur la facilitation des passages par une plus grande simplification des procédures. Nous ne voulons plus voir des queues de voiture ou de camions de marchandises qui durent des heures. En accroissant le nombre des scanners, nous pourrions accélérer le process. Le contrôle se fera le plus souvent de manière aléatoire aussi bien sur les camions de marchandises que sur les voitures de particuliers, ce qui nous permettra de gagner du temps et rendra le trafic plus fluide.

Nombreux sont ceux qui pensent que la plus grande partie des produits illicites passe par le port de Radès et plus de corruption aussi. N’y a-t-il aucun moyen d’y remédier ?

Vous savez, plus les déclarations seront anonymes, plus il y aura la digitalisation dans les opérations et plus ce qu’on appelle dans le sens commun “corruption“ sera amené à disparaître. Il faut éviter le contact humain au maximum et rendre les opérations aussi anonymes que possibles. Nous y travaillons avec des succès plus ou moins importants. Nous travaillons sur la digitalisation à outrance et sur des opérations 0 contact.

Nous favoriserons les voies vertes dans les postes transfrontaliers pour permettre à tout le monde de passer, personnes et marchandises y compris à Ras Jedir. Les contrevenants subiront des sanctions importantes mais nous investirons ce qu’il faut pour que les voies soient dégagées, pour que les contrôles se fassent avec 0 papier et pour réduire le contact au maximum. Plus il y a du contact et des formulaires, plus il y a des risques de corruption.

Comment pensez-vous y réussir, avec la résistance qui existe, des corps qui défient l’Etat et dont les intérêts sont en jeu ?

Nous nous assurerons tout d’abord que nous disposons des moyens et des systèmes efficaces pour tout digitaliser, et si besoin est, nous légifèrerons pour imposer le 0 papier. Le jour où toutes les procédures seront électroniques sera le jour qui marquera la fin de la corruption. Si jamais il y a de la résistance, nous déciderons du mode d’application des nouvelles mesures mais cela ne freinera en rien la volonté du gouvernement à aller de l’avant pour améliorer la situation dans les passages transfrontaliers. Les budgets sont là et la volonté politique est claire à ce niveau-là.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali