Une des plus grandes illustrations de l’émergence des Fintech est indiscutablement les Robo-Advisors dont l’usage permet d’abaisser le coût de la gestion du patrimoine et d’offrir des modèles de gestion efficients des finances personnelles. Les actifs gérés par les robo-Advisors devraient augmenter de plus de 150%, passant de 1 milliard de dollars en 2020 à 2,5 milliards de dollars d’ici 2024.

Pareillement, les utilisateurs accompagnés par les robot-conseillers devraient presque doubler, passant de 250 millions en 2020 à 500 millions de personnes en 2024. C’est cette activité pleine de promesses axée sur les besoins et usages des clients plutôt que sur les produits d’investissement et facilitant aux épargnants l’accès, technologie aidant, à des prestations peu coûteuses, que Faouzi Moussa a choisi de développer à travers sa start-up dénommée “Deepera“.

Grâce à Deepera, les épargnants peuvent gagner plus et mieux.

Entretien. 

WMC : Qu’est-ce que cela fait de sortir de la zone de confort du professeur universitaire pour aller vers celle assez hasardeuse de la start up ? Comment s’est fait le cheminement ? Et estce que vous avez pu lancer votre projet sans trop “souffrir” ?

Faouzi Moussa : Quand j’ai terminé mes études de doctorat à l’Université Polytechnique Hauts-de-​France, j’ai commencé immédiatement à faire de l’enseignement à l’ENSI et à la FST. Mais j’ai toujours été très attiré par le coding depuis mes premières années d’études supérieures. Je n’ai donc jamais arrêté de développer de solutions informatiques. Le hasard a fait que je développe des solutions en finance et en trading.

J’ai fondé en 2009 une première société « CYBEX Solutions » spécialisée dans le développement de solutions pour la finance et le trading boursier ; puis en 2019 « Deepera.ai » une Fintech qui a obtenu son label de “startup“ du ministère des Technologies de la communication en juin 2019.

Le lancement de Deepera s’est fait sans difficultés puisque j’avais déjà auto-incubé Deepera chez Cybex pendant plus d’une année. Cette période d’auto-incubation m’a permis de tester plusieurs modèles et algorithmes d’Intelligence Artificielle sur les données que j’ai collectées.

Un MVP a vu le jour consistant en un Robo-Trader et c’est ainsi que tout a démarré.

Vous avez choisi l’intelligence artificielle dans le secteur de la finance, est-ce parce que c’est plus gratifiant ou serait-ce la complexité de l’activité et ses ramifications qui vous ont intéressé ?

En poursuivant mes études en France, j’ai développé beaucoup de solutions en Intelligence Artificielle dans le cadre des recherches pour ma thèse de doctorat. J’ai également enseigné de l’IA en Tunisie. J’ai donc toujours beigné dans l’IA bien avant que la nouvelle vague d’IA n’arrive.

Le fait d’avoir lancé Deepera en 2019 s’explique par plusieurs choses : une lassitude des développements « classiques » que je trouvais de plus en plus ennuyeux, des données financières numérisées disponibles en grande quantité et une demande internationale pour ce genre de solutions qui offrent des paradigmes différents et des résultats impressionnants.

Quels produits avez-vous conçus et pour quel marché ?

Depuis quelques années, le nombre de conseillers dans les banques est en baisse drastique. La banque numérique et la Covid-19 ont accéléré cette tendance. Les banques veulent répondre aux besoins grandissants des clients à moindre coût, mais les conseillers humains sont surchargés et ne peuvent plus assurer les tâches à valeur ajoutée.

La majorité écrasante des clients de banques manque drastiquement de conseils et d’accompagnement personnalisés, et ce faute de ressources humaines qualifiées en nombre suffisant.

Pour résoudre ces problèmes, les robot-conseillers sont la nouvelle tendance mondiale. Ils sont disponibles 24h/24 et 7j/7, moins chers qu’un conseiller humain, pas de parti pris dans la prise de décision, pas d’erreurs et pas de sautes d’humeur.

De plus, le Robo-advisor peut aider le conseiller humain et lui donner du temps pour des tâches plus stratégiques.

L’objectif de Deepera est de faire de l’« INVESTMENT ADVISORY FOR EVERYONE » en embarquant un conseiller financier dans le smartphone de chaque client. Il s’agit d’un Robo-Advisor qui, à travers une interface « humanisée » sous la forme d’un Assistant Virtuel Intelligent (Chatbot type WhatsApp, FB Messenger, Voice bot, etc.), offrira des conseils de gestion et de placement sûrs et personnalisés et exécutera ces conseils à la demande du client.

Le marché tunisien nous intéresse beaucoup. Il faut d’abord faire ses preuves chez soi. Deepera compte déjà parmi ses clients 2 banques de premier rang, à savoir Attijari bank et Amen Bank.

Nous visons également le marché international à travers des pays comme la France, le Luxembourg et l’Allemagne.

L’intelligence artificielle dans le secteur financier pourrait-elle pallier au dévoiement de ce secteur qui perd de plus en plus sa dimension humaine, comme nous l’avons vécu dans les différentes crises financières ?

L’IA est admirée par certains et décriée par d’autres. En Fintech, et plus particulièrement dans le domaine des Robo-Advisors, nous mettons notre savoir faire en IA pour aider les clients des banques à bénéficier de conseils personnalisés en investissement.

De plus, le Robo-advisor peut aider le conseiller humain et lui laisser du temps pour des tâches plus stratégiques.

Quelle est l’importance de la data pour vous en tant que Fintech ?

Les données sont indispensables pour que l’IA numérique puisse s’épanouir. Le domaine des Fintech nécessite des quantités très importantes de données sans quoi les solutions actuelles ne pourraient pas voir le jour. Notre Robo-Advisor utilise entre autres 11 années de données boursières et 6 années de données d’instruments financiers tels que les obligations, les fonds communs de placement, les SICAVs, etc.

Combien employez-vous de personnes et quel est votre taux d’encadrement ?

Deepera enregistre une croissance importante ces derniers mois. Outre le co-fondateur, Mustapha Boughzou, grand spécialiste en finance et en comptabilité et diplômé de l’IHEC de Carthage, notre équipe est composée d’ingénieurs très talentueux diplômés des meilleures écoles d’ingénieurs de Tunisie et spécialisés en IA, en Data Science, en développement full stack, et des ingénieurs disposant d’une très grande maîtrise en produits financiers.

Le top management est en nombre suffisant pour donner un taux d’encadrement confortable aux ingénieurs.

A combien de levées de fonds avez-vous procédé ?

Nous avons effectué à ce jour une levée de fonds de type SEED, et ce à la fin de l’année 2019. Nous clôturons actuellement un nouveau tour de table en attendant une levée de fonds de « série A » en 2022.

L’écosystème tunisien se prête-t-il au développement d’une start up telle que la vôtre ?

Nous disposons depuis avril 2018 (lire ici) en Tunisie d’un cadre juridique assez intéressant le « Startup Act ». Néanmoins, j’ai comme l’impression qu’il y a eu, depuis, un relâchement en matière d’innovation, de créativité et de travail pour renforcer le climat et l’écosystème des startups tunisiennes.

Les start up sont confrontées à des difficultés financières par manque d’opportunités d’investissement, un cadre juridique d’affaire non adapté à leur nature et une lourdeur et des difficultés administratives.

Néanmoins, ce qui est positif, c’est la résilience et la persévérance de pas mal de startups.

Comment avez-vous été accueilli sur le marché national et comptez-vous vous internationaliser ?

Deepera a bénéficié d’un accueil plutôt positif. Les deux banques avec lesquelles nous travaillons font d’importants efforts pour s’adapter à notre rythme et à nos méthodes de travail. Néanmoins, beaucoup de freins existent encore en Tunisie dans le milieu de la finance et du bancaire.

Comme mentionné plus haut, nous préparons notre ouverture à l’international sur des marchés plus matures. Une levée de fonds de série A s’impose pour pouvoir ouvrir une filiale en Europe et augmenter notre capacité de vente.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali