A peine le calme, tout relatif, revenu en Libye que grandes puissances économiques, pays voisins et alliés du nouveau gouvernement ont commencé à penser leur participation et négocier leurs parts dans la reconstruction d’un pays miné par des années de guerre civile après la chute de Kadhafi.

La Tunisie, historiquement très proche de la Libye, ne figure pas parmi les prétendants aux projets de reconstruction de ce partenaire économique qui occupait le haut du pavé en matière d’échanges commerciaux : le volume des échanges de la Tunisie avec la Libye dépasse l’ensemble des échanges avec tous les autres pays arabes.

L’absence d’une diplomatie économique ou plutôt d’une diplomatie tout court n’a pas aidé à relancer les liens privilégiés avec notre voisin du sud.

Kaïs Saïed, président de la République, a été le premier à se rendre en Libye pour féliciter le chef du gouvernement libyen suite à sa désignation. Mais avec quoi est-il rentré en Tunisie ? Abdel Hamid Dbeiba, Premier ministre libyen nouvellement plébiscité, s’est rendu en Égypte, en Turquie et a fait le tour des pays du Golfe.

La Tunisie ne figure pas parmi ses priorités. En Turquie, il était accompagné de 19 ministres et vice-Premiers ministres et du chef d’Etat-major. C’est dire l’importance accordée à cette visite où il a été question de coopération économique et du rôle important arraché par la Turquie dans la reconstruction du pays.

La Tunisie est pourtant le pays le plus proche et qui partage avec la Libye une histoire commencée bien avant la fondation de Carthage. Salem Bessaoud du Cabinet Valoris et membre du think tank « Conseil des relations internationales » a cité, dans une intervention à propos des relations tuniso-libyennes et des perspectives de partenariat entre les deux pays, un destin commun.

« La Tunisie et la Libye ont toujours bénéficié d’avantages concurrentiels importants pour des échanges et des partenariats profitables aux deux pays et ont partagé une “culture d’échange“ bien établie entre leurs différents opérateurs. Les Libyens ont de tous temps adhéré aux “consommer tunisien“ ».

Le conférencier explique que la relative liberté de mouvement des biens, des personnes et des capitaux existant entre les deux pays a instauré des traditions solides d’échanges commerciaux malgré les freins réglementaires plus prononcés du côté tunisien, dont la réglementation de change, droit de douanes, les barrières à l’import, barrière à l’emploi de non-Tunisiens.

Des investissements solides du côté libyen

« Les Libyens ont toujours investi en Tunisie et nous pouvons citer le secteur bancaire : la BTL (50% Etat tunisien, 50% Libyan Foreign Bank), la North Africa International Bank (NAIB – 50% Etat tunisien, 50% Libyan Foreign Bank) et Al Ubaf International (100% Libyan Foreign Bank). Ils sont également présents dans l’hôtellerie et le tourisme à travers la chaîne Lafico qui possède l’Hôtel du Lac et de nombreux hôtels à travers la Tunisie, des unités industrielles, pharmaceutiques et la Laico (une enseigne internationale présente à Tunis, Hammamet) et dans le secteur énergétique à travers OLA Energy, jadis Oil Libya. Les investissements privés libyens en Tunisie sont nombreux, mais discrets dans l’industrie, les services, l’agriculture et l’agroalimentaire. Du côté tunisien, plusieurs groupes ont investi en Libye dont Poulina Group et la Socomenin », souligne Salem Bessaoud.

Les produits tunisiens sont appréciés en Libye. Avant 2010, de nombreuses unités industrielles tunisiennes fonctionnaient presque exclusivement pour le marché libyen. Aujourd’hui que la Tunisie a perdu son positionnement pour des raisons strictement politiques, la Libye s’est tournée vers d’autres pays, entre autres la Turquie et l’Égypte.

Que faire pour récupérer les relations privilégiées avec la Libye ?

En changeant de posture, appelle M. Bessaoud, et en rompant avec une attitude tunisienne dominante qui a souvent heurté les Libyens et qui consiste en cette litanie devenue presqu’un psaume : “nous avons toujours secouru nos frères libyens, et par conséquent, la Libye se doit d’être reconnaissante et de privilégier la Tunisie dans les contrats de construction et de reconstruction du pays“. « Faire valoir une logique de « Win-Win Deal, proposer une approche multidimensionnelle (Matrice) qui n’est pas centrée sur le commerce uniquement, mais également l’investissement et pas dans un seul sens, mais dans les deux sens », c’est la meilleure attitude à prendre si l’on veut rétablir de meilleures relations avec la Libye.

Mais plus que la logique du bon voisinage, la coopération entre les deux pays obéit réellement à une « rationalité économique », assure l’expert qui a dirigé auparavant la Banque tuniso-libyenne et a résidé en Libye. « Pour chacun des deux pays, il est plus rentable économiquement d’échanger avec son voisin qu’avec tout autre partenaire étranger. Une condition fondamentale est néanmoins requise: l’accord sur une vision commune de l’avenir et l’élaboration d’une stratégie concertée, pensée et planifiée pour y parvenir ».

Ce qui urge aujourd’hui pour développer les échanges commerciaux, c’est de rétablir les dessertes entre les deux pays, ce qui sera fait à partir du 27 avril 2021 et de reprendre le rythme des échanges terrestres et maritimes.

Ce qui urge également, c’est une diplomatie plus présente, plus active et plus soucieuse des intérêts économiques stratégiques du pays, ce qui constitue, à ce jour, un grand handicap pour la Tunisie qui se débat dans des querelles intestines négligeant son rôle dans la région.

Amel Belhadj Ali