Anis Sahbani est un challenger et un ambitieux. Dirigeant de la seule usine de robotique en Afrique et dans le monde arabe, il peut se targuer d’avoir pu, en tout juste 6 ans, s’imposer dans les sphères des hautes industries sécuritaires et de santé. Face au défi sécuritaire auquel faisait face la Tunisie depuis 2011, il avait décidé, en 2014, de s’établir à Sousse et de lancer Enova Robotics, une entreprise spécialisée dans la conception et la fabrication de robots sécuritaires mais aussi médicaux.

Aujourd’hui il a un portefeuille clients de 136 entreprises à l’international.
Anis Sahbani fait partie de ceux qui croient en une Tunisie qui gagne. Nous l’avons rencontré.

WMC : Pourquoi avez-vous choisi Sousse ?

Anis Sahbani : Pour nombre de raisons et en prime, et c’est personnel, la qualité de vie. Je vivais à Paris, et depuis mon retour, je cherchais un mieux-être que j’ai trouvé ici à la Perle du Sahel. Il faut savoir également que Sousse abrite une école d’ingénieurs où la mécatronique est dominante et la technopole est également spécialisée en mécatronique donc l’écosystème existe.

Beaucoup d’ingénieurs qui travaillent chez nous viennent directement de l’école d’ingénieurs de Sousse. Lorsqu’à mes débuts, je suis arrivé avec mon statut de professeur Zoubeir Turki, le directeur de l’école d’ingénieurs m’a prêté une salle et c’est là que j’ai commencé mes entretiens pour le recrutement des stagiaires. J’ai mis 6 mois à créer mon entreprise. Nous avons démarré au mois de juillet 2014, le premier export de robots a été effectué en novembre 2014.

C’est rapide ! J’ai vu que vous êtes dans l’internet of things, et vous travaillez sur la robotique sécuritaire et médicale, pourquoi ces filières ?

Au fait nous offrons un grand choix. Il y a la robotique de l’intérieur et la robotique de l’extérieur, nous travaillons aussi sur tout ce qui touche à l’industrie 4.0. Les technologies sont différentes. Lorsqu’en 2015, nous avons sorti les premiers robots de sécurité, nous avions innové et fait preuve d’audace, il s’agit du lancement du premier robot de sécurité à usage civil au monde. Les robots de sécurité sont traditionnellement à usage militaire. Il a fallu éduquer le marché pour convaincre les gens de changer d’habitudes et de comportements.

Nous avons bien entendu procédé à des démonstrations argumentées et convaincantes. Nous avons effectué plusieurs déploiements concluant chez des grands comptes tels que Michelin, MBDA, Airbus et dernièrement dans les jardins des Tuileries au Louvre. En parallèle, nous avons développé d’autres pistes pour survivre. Nous avons attaqué les secteurs de la santé et de l’industrie (Voir encadré).

Les opportunités se créent après. La santé est un secteur à la recherche des technologies les plus avancées, l’adoption est rapide mais la mise sur le marché est beaucoup plus longue. Nous avons sorti la première version du robot de santé en 2016. C’est l’année où nous avons signé un contrat avec Covéa, une holding en Europe qui détient la GMF, la MAAF et la MMA pour l’acquisition de robots.

Nous avons commencé 4 ans après, c’est-à-dire en 2020 des tests cliniques intensifs en utilisant des robots auprès de patients dans deux maisons de retraites. Les tests durent une année, nous aurons donc les résultats au cours de cette année. Nous sommes en train de quantifier l’apport de la robotique dans le domaine de la santé et en particulier sur les personnes âgées.

Et pour les robots sécuritaires ?

Il y a beaucoup de demandes et c’est peut-être l’effet de la Covid-19. Reste que les négociations avec les grandes firmes prennent du temps. A titre d’exemple avec Airbus via Securitas, nous sommes aujourd’hui en phase de signature de contrats pour la vente de robots de sécurité, nos premières tractations ont démarré en 2019. Nous devions fin mars 2020 déployer un POC (Proof of concept) de deux mois chez eux et nous avons dû attendre juillet à cause de la Covid-19.

Le robot a été adopté au bout de deux mois d’essai. Nous finalisons maintenant l’aspect contractuel mais il faut du temps et de la patience. A Airbus l’usage du Robot est pour la surveillance périmétrique. Il circule et détecte les intrusions sur site la nuit. Pendant, la journée il nettoie les pistes d’atterrissages des avions.

En effet, le robot peut être vu comme une voiture Tesla complètement autonome avec un plus technologique car il peut sortir des routes balisés et se mouvoir sur les pistes et les chantiers. Il est équipé de caméras jour et nuit, d’une caméra thermique qui donne la température, d’un micro, de hauts parleurs pour émettre les images et les sons sur site. Il est doté d’intelligence artificielle lui permettant de classifier tout ce qu’il voit dans les images, qu’il s’agisse d’un animal ou d’une pancarte. Il envoie l’alerte en fonction de ce qu’on lui demande de détecter.

Nous sommes d’ailleurs partenaires avec la firme Danoise Milestone pour la gestion de la data et des alertes vidéos avec leur vidéo management system (VMS). Ce dernier est utilisé par la plupart des entreprises de sécurité. Il s’agit de l’une des plus grandes firmes au monde. Elle détient à peu près 60% des parts du marché international.

Maintenant, le robot fait partie intégrante de leur système XProtect, celui qui achète le robot, a les applications Milestone et est automatiquement fonctionnel.

Est-ce que vous avez été sollicité par des firmes sises en Tunisie ?

Dans le monde entier, il y a deux catégories de gens. Il y a les fonceurs qui croient en l’innovation et croient dans les technologies industrielles sophistiquées. Ces fonceurs prennent le risque, il y a ceux qui préfèrent attendre et dès qu’ils voient que ça marche foncent, ce sont les suiveurs. En Tunisie, ils sont frileux et perdent beaucoup de temps à cause de leur manque d’audace. Le risque est de les voir dépassés par la rapidité des avancées technologique !

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Il n’empêche, il y en a qui ont cru en vous et vous avez été la start-up qui a réussi la plus grande levée de fonds ?

Relativisons quand même. Les start-up dans notre pays sont 10 fois moins soutenues qu’en Europe et 100 fois moins qu’aux Etats-Unis et je prends l’exemple d’une boite comme la mienne. Les Américains mettent un mois pour investir dans une nouvelle technologie.

Mais il y a une autre problématique qui bloque la Tunisie : les fonds internationaux se disent non intéressés par le pays à cause du climat d’instabilité. Ils préfèrent d’autres pays comme le Luxembourg. En fait, ils ne veulent pas prendre de risques à la fois dans une start-up et dans un pays instable.

Et pourtant, vous avez réussi et vous êtes classés 17ème mondial?

Parce que nous opérons dans le secteur de l’industrie de la robotique et nous maîtrisons cette technologie. Notre industrie englobe l’informatique, la mécanique, l’électronique, l’électricité, et l’Intelligence Artificielle, ce sont beaucoup de compétences que nous possédons pour notre grand bonheur mais que d’autres évitent de suivre et d’assumer.

Je peux vous donner ce que nous avons actuellement dans le pipe, nous avons 160 clients internationaux et je ne parle que par rapport au robot de sécurité parce que c’est notre flagship. Nous avons mené un travail de fond sur la sécurité.

Pour la santé, nous allons terminer avec les tests cliniques parce que les transactions avec COVEA stipulent que si jamais ils valident le produit testé en ce moment nous passerons à l’échelle industrielle et dans ce cas-là, nous travaillerons à usine fermée.

Et puis, il y aura l’industrie 4.0 qui représentera une branche importante de nos activités. C’est le moment de transformer l’industrie nationale. D’ores et déjà, des industriels me sollicitent pour robotiser leur usine et augmenter leur productivité et leur marge. Ces industriels nationaux ont commencé à voir qu’Enova Robotics est monté en termes de visibilité et de performances et ont commencé à s’y intéresser. Quand ils ont besoin de la robotique c’est ici qu’ils viennent. Notre challenge aujourd’hui à l’échelle nationale est d’accompagner les industriels Tunisiens dans leur transformation vers l’industrie 4.0 et la robotisation de leur production.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali

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Anis Sahbani
Après des études supérieures à l’Ecole d’Ingénieurs de Tunis (ENIT) et muni d’une bourse d’Etat, Anis Sahbani est parti à Toulouse en France où il a obtenu un DEA (Diplôme d’études approfondies). Cette bourse d’Etudes tunisienne n’étant pas suffisante pour assurer le financement d’un doctorat, le seul moyen d’y arriver, pour le (futur) fondateur d’Enova Robotics, était d’avoir une bourse française.  Celle-ci lui sera accordée par le CNRS (Centre national des recherches scientifique) dans le cadre d’un projet de robotique.

Heureux concours de circonstances qui fit qu’Anis Sahbani, pris de passion pour cette discipline qui n’existait pas en Tunisie, s’y soit investi totalement et avec toutes ses forces.

Auparavant, il avait gagné le prix de l’excellence scientifique à la Sorbonne et son étude sur la robotique fut sacrée Best-paper World lors d’une conférence à Taiwan.

Depuis 2004, Anis Sahbani partage son temps entre son entreprise à Tunis et ses étudiants à la Sorbonne où il enseigne à mi-temps.