La Grande-Bretagne, pour prix de son départ pourtant volontaire de l’Union européenne, a arraché une rente commerciale via un accord de libre-échange. La Tunisie peut dupliquer cette recette, dans le cadre de la politique de “Bon voisinage“ avec l’UE.

Les Anglais sont passés maîtres dans l’art de la guerre. Toujours dans le business, jamais dans l’affect. Dès le mois de juin 2016, par referendum, ils ont choisi de quitter l’Union douanière et le Marché unique. Sachant qu’ils n’ont jamais été dans l’euro. Mais durant quatre années et demie, ils feront du chantage au “No Deal“ comme si les 27 pays européens les chassaient.

Exaspérés, ces derniers ont fini par leur monnayer leur départ. “Deal is done“ avec un accord de libre-échange qui comporte beaucoup de largesses en faveur des Anglais. C’est quand même fort d’amener le conjoint bafoué à payer un bonus pour un adieu virtuel. Mick Jagger, la voix des Rolling Stones, chantait en 1975 “With no Money in our coats, we can’t say we are satisfied“.

Voilà, c’est chose faite, à présent. Les Anglais seront rémunérés pour se séparer de l’Europe, sans jamais la quitter. Dès le 1er janvier 2021, ils seront récompensés pour revenir, sous leur propre identité. En effet, les produits anglais, du fait de l’accord de libre-échange, entreront sur le marché européen sans taxe, ni quota. Business is business.

La Tunisie, qui à ce jour n’a pas encore formalisé une offre à l’UE dans le cadre de l’ALECA, serait bien inspirée d’user de cette recette de “Dealing futé“ dans ses rapports avec l’UE.

Le tour de force anglais : être “In“ tout en étant “Out“

Désormais la GB retrouve sa souveraineté sur ses frontières, ses lois et ses eaux territoriales. “Take back control“. Les Anglais n’auront plus à s’aligner sur les directives de Bruxelles, étant légalement “Out“. Mais tout en étant délestés des contraintes de leur ancien partenaire, ils conservent leurs privilèges antérieurs comme s’ils étaient “In“.

En effet, ils pourront exporter en UE sans taxes et sans quota et à leurs propres normes. Au final, et au plan commercial, qui est le point focal du point de vue des Anglais, il n’y aura presque pas de changement. Les échanges continueront comme avant. Les formalités douanières viendront s’ajouter. De part et d’autre, on va rétablir les documents d’import et d’export. Et que ça.

Les Européens redoutent que les Anglais se convertissent en un Singapour sur Tamise, hypothèse plausible. Alors, ils leur ont demandé de se conformer aux normes européennes et de ne  pas recourir au dumping fiscal, social et environnemental. Et de ne pas verser de subventions aux entreprises afin de ne pas biaiser la concurrence.

Dans la foulée, les Anglais ont négocié et fini par obtenir la liberté d’en diverger. Alors dans un accès d’orgueil, les Européens ont mis en place des mesures de rétorsion unilatérales. Avec un mécanisme de gestion des conflits. Mais on sait comment cela fonctionne, dans la vraie vie. Sous Georges Bush fils, les USA ont surtaxé l’acier européen. Et le temps que les mécanismes de rétorsion de l’OMC se mettent en place, la sidérurgie américaine a eu tout le loisir de se mettre à niveau.

Do it Yourself

La Tunisie est à la peine dans ses négociations avec l’UE. Elle est à la recherche des meilleurs termes commerciaux pour finaliser le palier supérieur de son accord de libre-échange, l’ALECA. Et dans cet acronyme muet, les lettres nous révèlent qu’il s’agit d’un accord de libre-échange complet et approfondi. Ce passage n’est pas une fatalité. On peut, à la manière des Anglais, y renoncer et néanmoins continuer à échanger librement avec l’UE. Nous bénéficions jusque-là de l’exonération des taxes sur nos exportations. On peut solliciter l’abandon des quotas. Les Anglais ont créé le précédent. Nous avons pour nous le bénéfice d’échelle. Nos exportations vers l’Europe représentent seulement 9 milliards d’euros. Le volume des échanges, dans les deux sens, entre la GB et l’UE sont de l’ordre de 700 milliards d’euros.

Par ailleurs, rappelons que les Anglais ont renoncé au passeport financier, c’est-à-dire que leur secteur bancaire et financier, qui représente 7% de leur PIB et qui est leur arme maîtresse, est resté hors accord. Ils ont créé le précédent. On peut, à notre tour, invoquer la jurisprudence ou le parallélisme des formes. Notre secteur des services peut par conséquent rester OFF. Et en matière de circulation des personnes, on peut solliciter à la manière des Anglais l’abandon du visa. Les autorités européennes garderont, pour leur part, la haute main sur l’octroi des titres de séjour.

Avec ces quelques éléments, on peut rectifier le tir et faire en sorte que l’asymétrie, à notre détriment, de l’accord avec l’UE soit ajustée. Et cette relation serait pérenne étant ainsi devenue juste et équilibrée. Qui ne risque rien n’a rien. Du temps où il présidait la Commission européenne, Romano Prodi nous faisait une offre messianique pour la politique de “Bon voisinage“, à savoir “More for More“. Nous y voilà.