Entre 2012 et 2014, le nombre des appels d’offres gagnés par les internationaux est passé, selon l’ALECA, de 3% à 30%. Entre 2014 et aujourd’hui, nous ne savons pas encore ce qu’il en est parce que les maîtres de notre destin refusent de nous livrer l’information.

Quel seuil a atteint la mainmise étrangère sur nos marchés ? Grâce à qui ? De quel droit et par quelles lois ?

Certains vous diront que les bailleurs de fonds interviennent de plus en plus dans le choix des soumissionnaires aux appels d’offres internationaux parce qu’ils ont perdu leur confiance en nos décideurs publics. Ce qui est en soi-même une insulte à l’Etat tunisien et un coup de poignard dans le cœur de la République, coupable de laisser des corrompus gérer ses affaires.

D’autres vous rétorqueront que c’est dû à l’incompétence des hauts cadres administratifs chargés d’élaborer les cahiers de charges et qui se soumettent aux diktats de bailleurs de fonds de plus en plus méprisants envers nos desiderata et les intérêts du pays, ce qui devrait inciter le gouvernement (actuel) à remettre de l’ordre au sein de ses troupes, lui qui prétend être truffé de compétences.

Mais pas seulement ! Le nouveau CDG devrait, peut-être, rectifier le tir s’agissant d’une circulaire édictée par un de ses prédécesseurs, Youssef Chahed (Circulaire n°15 du 4 mai 2018), et où il autorise les bailleurs de fonds à exprimer leur avis après négociation des conditions des prêts et du cahier de charges. Le prétexte saisi serait celui d’éviter «les difficultés inhérentes à la différence des points de vue entre bailleurs de fonds et les instances nationales ayant la charge des marchés publics». Ce qui revient à dire que si la Commission supérieure des marchés publics (CSM)  émettait des réserves quant à l’octroi d’un marché, le soumissionnaire pourrait dépasser son autorité et celle de l’Etat tunisien et aller demander son avis aux bailleur de fonds usant de tous les lobbys politiques et administratifs à disposition.

Tout a été fait pour favoriser ORASCOM !

La station de dessalement de Sfax est un exemple édifiant pour ce qui est de la manipulation «légale» des marchés publics.

Tout d’abord, on a fait en sorte que le process de l’appel d’offres soit excessivement lent et long pour ne pas laisser aux instances nationales -responsables et patriotes- le temps de refaire l’appel d’offres si elles relèvent une insuffisance ou une erreur.

Pire, les intéressés pourraient même inciter leurs concitoyens à protester en leur faisant croire que l’Etat les prive d’eau potable.

Pire, un coup dur pour la souveraineté économique du pays, puisque de par la loi et la circulaire émise par l’ancien CDG (YC), la SONEDE soutenant son élu (comble de la traîtrise nationale), en l’occurrence Orascom, dont le siège social de l’un de ses associés serait dans un paradis fiscal, et le troisième un japonais remplacé par un espagnol en cours de route (ou en cours de présélection), a saisi la JICA pour lui soutirer son approbation pour son favori.

Dans la Tunisie post-révolutionnaire des gouvernements « révolutionniste » (sic) l’avis de la Commission supérieure des marchés n’est pas considéré dès lors que le bailleur de fonds approuve. La CSM est mise devant le fait accompli et son avis ne fait plus foi. Donc un opérateur égyptien se porte candidat, gagne par des acrobaties et grâce aux appuis locaux, le marché. La SONEDE nargue les autorités publiques nationales en les dépassant et s’adressant directement au bailleur et personne ne réagit, personne n’est jaloux de notre souveraineté économique ! Où est l’Etat ?

Abdelfattah Al Sissi autoriserait-il pareilles pratiques sur son sol ?

Et ça n’est pas fini. Sur les 6 offres présélectionnées, le choix a été porté sur deux offres seulement. La différence entre ces deux offres est de 5% environ ! L’offre du pré-élu est de l’ordre de 900 millions de dinars (MDT), et la seconde est plus élevée de 5%. Les estimations de la SONEDE sont de 600 MDT ! Ce qui laisse douter d’une entente afin de montrer à la SONEDE que son estimation est fausse !

Les experts SONEDE et leur bureau international d’appui incapables ?

Les experts de la SONEDE, PDG en tête, ainsi que leur bureau international d’appui seraient-ils incapables de donner une estimation correcte du coût de la station de dessalement ? La SONEDE qui, elle-même, dépasse la CSM et l’Etat et demande l’accord de la JICA pour négocier le prix qu’elle leur communique ensuite.

La SONEDE est au service des soumissionnaires internationaux, en l’occurrence ORASCOM ou la Tunisie ? Elle défend quels intérêts ?

Et à supposer que le but de la SONEDE soit d’obtenir un rabais pour avoir le prix logique ou juste pour cadrer avec le montant du prêt, l’offre reste toujours plus chère d’environ 200 millions de dinars par rapport à l’estimation. Et si le rabais qu’elle a sollicité est de l’ordre de 100 MDT que le soumissionnaire a accepté, pourquoi avoir gonflé à ce point le prix de la station ? Tout en sachant que par m3 et à comparer avec Djerba, Sousse et Zarrat en prenant en compte le rapprochement des paramètres, le coût de Sfax serait le double.

Il faudrait déterminer aussi le coût de l’investissement, sachant que les lots suivants seront par la force des choses exécutés par des Tunisiens. Nous citons les travaux maritimes, les conduites de distribution, la fourniture des conduites, les travaux de génie civil qui ne sont pas très liés aux travaux mécaniques et les travaux électriques, ce qui représente plus de 70% de l’offre. Les offres des opérateurs nationaux sont de presque la moitié de celle du moins disant, ce qui représente une perte sèche pour l’économie nationale de plus de 100% ajoutée à la perte des références et de la valeur ajoutée.

La question se pose sérieusement sur l’appartenance de la SONEDE et sa loyauté envers notre pays, et qu’on ne nous parle pas de lois et de réglementations ! Nous savons qu’à situation exceptionnelles, il existe des mesures exceptionnelles, et lorsque nous voulons favoriser nos propres opérateurs, il y a des moyens légaux pour le faire. Avant le 14 janvier, les ministres le faisaient, ils n’étaient pas pour la plupart des commissionnaires aux dépens des intérêts économiques de la Tunisie.

Le bailleur de fonds peut imposer sa posture même si c’est au détriment de la Tunisie ?

En Algérie, la DMP (Direction des marchés publics) prévoit des articles visant à favoriser les entreprises de droit algérien par rapport aux fournisseurs étrangers, créant des barrières d’accès significatives pour la participation des fournisseurs étrangers aux marchés publics. L’article 83 accorde, dans tous les types d’appel d’offres, une marge de préférence de 25% au stade de l’évaluation des offres financières aux produits d’origine algérienne ou aux entreprises de droit algérien dont le capital est détenu majoritairement par des nationaux résidents.

L’article 84 mentionne que, dans le cadre des appels d’offres internationaux, les cahiers des charges doivent prévoir que les fournisseurs étrangers s’engagent à investir en partenariat avec un opérateur économique algérien.

Et l’article 85 stipule que si l’outil de production national est en mesure de satisfaire les besoins du service contractant, ce dernier doit lancer un appel à la concurrence national dont seront exclus les fournisseurs étrangers.

Au Maroc la marge de préférence est de 15% et les autorités publiques font tout pour que leurs opérateurs nationaux gagnent les marchés publics importants.

En Tunisie, la marge de préférence est de 10% et les nationaux perdent presque systématiquement devant les internationaux et leurs appuis locaux.

Monsieur le président de la République, vous disiez souveraineté économique ?

No comment !

Amel Belhadj Ali