La segmentation sélective de la clientèle par les banques peut avoir des effets discriminants. Elle peut exclure des clients au profil de rentabilité modeste. Ne faut-il pas renoncer au réflexe de sélection pour l’ouverture d’un compte bancaire, via le seul critère du seuil de profitabilité, si l’on veut aller vers l’inclusion financière ?

Ahmed Belhaj est un citoyen tunisien comme vous et moi. Et comme la majorité des Tunisiens. Nous nous reporterons au portrait-robot dressé par Jean-Paul Sartre dans son livre “Les mots“ pour nous décrire nous, les Ahmed Belhaj d’ici et d’ailleurs : «Tout un homme fait de tous les hommes, qui les vaut tous et que vaut tout un chacun». Notre personnage est salarié d’une maison d’hôte à la Médina de Tunis. Il ne se doutait pas que Noomane Fehri, ancien ministre de l’Economie numérique, ferait de lui, un jour de 20 décembre 2019, une figure nationale pour symboliser l’engagement en faveur de l’inclusion financière.

Le seuil de rentabilité ou le mur du refus

Ahmed Belhaj est titulaire dans sa fonction. Payé au SMIG, il règle sa cotisation CNSS. A priori, sa situation est en règle. Et même que pour améliorer ses rentrées, confie-t-il à Noomane Fehri, venu dîner dans son établissement la veille du Forum de l’Union des banques maghrébines, il était intermittent dans une troupe musicale. Le voilà, dit-il, qui se présente à un guichet d’une banque de la place et il se voit refuser l’ouverture d’un compte, toujours selon ses dires rapportés par M. Fehri.

Il faut dire que ce genre de désagrément est courant et les gens s’en désolent mais s’en accommodent car peu instruits de leurs recours légaux. Une plainte à la BCT, et l’affaire aurait été tranchée en sa faveur, illico presto. Il aurait un compte ouvert, et bénéficierait de facto d’une carte de retrait. Mais peut-être pas de chéquier, dans un premier temps. Voilà comment on fabrique l’exclusion financière.

Les banques sont des établissements commerciaux et ont légitimement le droit de se soucier de leur rentabilité. Sont-elles en droit de fixer des minima de profitabilité par client, c’est-à-dire un plafond de verre ? Cette situation est contrariante, car elle laisse les Ahmed Belhaj au ban du système bancaire. Elle prive ces derniers d’un appoint de business. Tout le monde y perd, hélas.

Cependant, il faut rappeler l’exception BH Bank, laquelle gère le fonds de Promotion du Logement Social (FOPROLOS). Ce fonds permet aux salariés (des secteurs public et privé), s’ils sont affiliés à la CNSS à partir d’un revenu égal au SMIG, d’accéder à la propriété du logement via un crédit à des conditions préférentielles.

Une deuxième exception est à citer mais à nuancer, aussi, le crédit pour l'”ordinateur familial”.

Comment on fabrique un marché pour les sociétés de paiement

Noomane Fehri, en exposant ce cas d’école, ne souhaitait pas engager une bataille juridique. Son intention était d’avoir une démarche didactique pour montrer qu’en se fixant des seuils élevés de rentabilité par client, les établissements de crédits ouvraient des boulevards aux sociétés de paiement. Ahmed Belhaj, avec son statut social en règle, est tout à fait bancable et son profil est recherché par les sociétés de paiement, les fameuses FinTech. Ces dernières offrent à des clients, comme Ahmed Belhaj, des solutions leur permettant de disposer d’une facilité extrême pour leurs paiements divers.

Le téléphone mobile de Ahmed Belhaj deviendra son passe-partout. Et le tour est joué. A coup sûr, les FinTech sauront éclipser les chaînes de vente à crédit. Ces derniers étaient les seuls interlocuteurs “financiers“ des gens modestes en acceptant leurs chèques ante datés pour des crédits de consommation.

La supériorité des FinTech réside dans la dimension globale de leur offre et de la faiblesse de leurs coûts de transactions. Ainsi que dans leur forte réactivité, car l’accès aux FinTech se fait en un clic.

La digitalisation des banques au service de l’inclusion financière : Les critères de choix

Naturellement, Ahmed Belhaj restera captif de cet écosystème car les sociétés de paiement lui offriront des services via leur plateforme technologique, pour divers besoins tel l’assurance ou le crédit. Ainsi donc, les sociétés de paiements développeront leur business sur un gisement de clientèle que leur aura préparé l’aveuglement du système bancaire… “normal“.

Partant de là, Noomane Fehri appellera les guest speakers de l’UBM à étalonner leurs propositions de digitalisation des banques à l’efficacité de récupération des clients à l’instar d’Ahmed Belhaj. Et par-delà à tous les autres exclus du système, soit les travailleurs indépendants, les jeunes promoteurs de start up, les femmes rurales et artisanes. Enfin tous ceux qui sont confinés dans des périmètres de business de taille individuelle.

Ils manquent de surface mais sont, comme on l’a vu, bancables. Ajouter à cela qu’ils font nombre. En effet, près de 40% de la population maghrébine ne sont pas bancarisés. Cela fait du monde. Et la loi des grands nombres voudrait que leur récupération par le système bancaire finisse par générer un supplément de business et de profit, non négligeable.

Quand bien même ils sont des clients modestes, ils n’en sont pas moins des consommateurs de produits bancaires. Ils ont besoin d’instruments de paiement. De même qu’ils sont générateurs d’épargne et ils consomment du crédit. Et Noomane Fehri de plaider pour que les banques reconfigurent leur business model pour intégrer cette population nouvelle. Et pour cela, les IT offrent des possibilités infinies et commodes.

A l’ère de la Big Data et du cloud computing, les banques n’ont aucun prétexte pour ne pas redéployer leur activité.

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