Il a fallu porter des chaussures spéciales avant de se lancer dans les ronces inextricables de l’une des pistes sinueuses arpentant le chemin menant à la fabrique ouvrière de Habiba à Sejnane, et de toute une ruche d’artisanes-artistes ayant pris ses quartiers.

Après un premier début au mois de février 2011 avec le projet l’Aroussa du collectif artistique Dream City, les potières de Sejnane, au nombre de près de 700, avancent dans leur métier-apprentissage à grands pas.

En 2020, leurs divers produits et œuvres d’art seront exposés pour la première fois au Musée de la paix et de la Méditerranée, a promis le professeur Michele Capasso, fondateur du Musée des émotions, en l’occurrence le Musée de la paix et de la Méditerrané (Mamt) à Naples, et ce lors de sa dernière visite au début du mois de novembre en Tunisie.

En arrivant sur les lieux dégageant les senteurs fortes de la plante de menthe qui pousse un peu partout au beau milieu d’une prairie où paissent paisiblement quelques moutons, un ardent sentiment de vouloir découvrir à quel point la main peut être habile et ajouter à l’expertise d’antan une dose de créativité artistique, force l’invité de cette région du centre ouest de la Tunisie, le Professeur Michel Capasso fondateur de la Fondazione Mediterraneo (réseau pour le dialogue entre les sociétés et les cultures à Naples) à presser le pas vers le sas de ces femmes dépositaires d’un savoir-faire ancestral et dont l’art est inscrit depuis 2018 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’Humanité de l’Unesco .

Main dans la main pour redonner vie à un savoir-faire ancestral

Après la doyenne de toutes, Om Jomaa, c’est Habiba, l’une des grandes dépositaires de ce savoir-faire, qui a accueilli le visiteur tant assoiffé pour un court voyage au coeur de la dextérité manuelle.

De cet accueil chaleureux réservé au convive émane un message essentiel: main dans la main pour redonner vie à un savoir-faire ancestral. Le savoir faire de la poterie féminine de Sejnane est liée à la pratique d’utiliser une technique particulière pour produire des objets en terre cuite pour la maison y compris des ustensiles de cuisine, des poupées, des figurines d’animaux inspirées de l’environnement, etc.

Faites à partir de petits carreaux en argile sous forme de losanges ou chevrons, avec des motifs divers, plusieurs pièces dont des plats de cuisine, abat-jour, accessoires sont exposées. Autant d’objets d’argile cuite grand format révèlent déjà le potentiel artisanal de ces femmes, gardant dans leur travail cette chaleur au coeur en les voyant pétrir, malaxer et travailler la terre, à cœur-joie.

Attirant les regards, la poupée de Sejnane remise au gout du jour est une vraie merveille auréolée davantage par les rayons de soleil qui la rendent encore plus lisse, luisante et éblouissante.

Composée par un assemblage de petits carreaux en terre cuite modelés et décorés, exprimant à la fois l’unicité et la pluralité, cette “poupée idole” de Sejnane, raconte l’histoire d’une communauté, d’un héritage culturel profond et sensible.

Un peu plus loin, dans un espace construit en bambous et branchages, Habiba évoque les secrets de son métier, comme dans des séances de démonstration- initiation dont chacun n’a pas manqué juste après de partager la passion pour l’argile en s’initiant à un métier qui fait la réputation de cette région. Un métier dont le professeur Michele Capasso a voulu mettre en valeur en le décrivant comme de la poésie gestuelle pour décliner concrètement les mouvements des mains et les souffles des potières donnant ainsi matière à sentir, penser et rêver.

L’argile est extraite dans les lits des wadis puis elle est coupée en touffes écrasées purifiées et humides avant d’être moulée et façonnée. Une fois cuite, la poterie est décorée de motifs géométriques bicolores qui rappellent les tatouages traditionnels et les textures berbères.

Toutes les étapes de production sont réalisées par des femmes qui vendent également leur poterie dans le village et en bordure des rues voisines.

Donner matière à penser, dans une note d’espoir muséale

Dans ce petit village rural qui cache dans ses replis l’épopée d’une vie, le professeur a relevé à l’agence TAP qu’il est venu apporter à ces gens une note d’espoir muséale, en essayant de faire entrer en contact chaque femme, chaque oeuvre, chaque passion, chaque fait dans un immense puzzle de la diversité et de la richesse patrimoniale de Sejnane.

L’ambition n’est-elle pas d’apporter à ces femmes déjà à l’oeuvre et qui souhaitent aller plus loin, des opportunités concrètes pour améliorer leur approche de vie rurale? Livrant à chaud ses impressions, le professeur Capasso a tenu à préciser que “cette première visite à Sejnane ne sera certainement pas la dernière” promet-il.

Décontracté et impressionné par le haut degré de raffinement accompli dans les œuvres de ces femmes artisanes, il a affirmé que “le Musée des émotions de Naples va apporter toute son aide pour donner un coup de pouce à ce travail admirable”.

En effet, le Mamt va entreprendre les démarches nécessaires pour accueillir en 2020 un espace permanent à la poterie de Sejnane avec des vidéos émotionnelles qui montreront de visu les principales étapes de la transformation et l’histoire de cet artisanat ancien.

Ce nouvel espace, a-t-il mentionné viendra enrichir le coin réservé à la Tunisie qui occupe une place extraordinaire dans le rez de chaussée qui se trouve sur la cour de Naples dans la Piazza Municipio à coté du port, de la mairie et du Palais Royal.

Considéré comme étant un outil pédagogique extraordinaire pour les jeunes provenant de tout le monde et gardien de la mémoire des peuples de la Méditerranée, le Musée a été déclaré “patrimoine mondial de l’Humanité” .

Avec ses dix mille visiteurs en deux ans et avec la particularité des vidéos et des collections, le Musée de la Paix – MAMT pour lequel a été lancé depuis Tunis un appel urgent pour sa préservation, a été classé parmi les 10 musées de la ville de Naples à visiter.

La visite complète dudit Musée, patrimoine émotif de l’Humanité et unique en son genre (28.000 contributions audio, plus de 5.000 vidéos, 8.000 livres, artefacts et objets rares) nécessite environ 5.000 heures dans la configuration actuelle.

Les visiteurs qui passent quelques heures doivent être guidés par l’émotion, pensant pouvoir retourner dans cette “Maison” qui accueille tout le monde avec amour: beaucoup l’ont fait jusqu’à ce jour en exprimant leur appréciation et leur gratitude pour cette expérience émotionnelle.