Hannibal Jegham, ex-trader natif de Sousse, estime qu'”en Tunisie, nous avons une fausse surproduction de ciment”. C’est ce qu’il a déclaré dans cette interview accordée à WMC. 

En effet, ayant obtenu un agrément pour une deuxième cimenterie à Zaghouan, Hannibal Jegham souligne qu’il suffit de mettre en œuvre un des mégaprojets présentés lors de la Conférence internationale pour l’investissement (Tunisie 2020), pour que le surplus soit absorbé et qu’on ait besoin d’augmenter la production. Entretien.

WMC : Vous venez d’obtenir un agrément pour créer une cimenterie. Vous n’êtes pas un peu fou de vouloir entreprendre dans ce secteur, en Tunisie et aujourd’hui ? 

Hannibal Jegham : Tout à fait. Le 25 février 2019, nous avons eu une autorisation du ministère de l’Industrie et des Petites et moyennes entreprises pour la réalisation d’une cimenterie dans le gouvernorat de Zaghouan, sous le régime de l’exportation totale, avec une capacité de production d’environ 1 million de tonnes de clinker par an (1,2 million de tonnes de ciment).

Mais ce qui a été réellement un peu fou, c’était le fait d’avoir poussé à la publication d’un nouveau décret ministériel autorisant une deuxième cimenterie par gouvernorat.

Avant le 5 avril 2018, date de sortie de ce nouveau décret du ministre de l’Industrie et des Petites et moyennes entreprises, fixant les conditions et les modalités d’attribution des autorisations pour la réalisation des usines de ciment, c’était presque «utopique» de penser rajouter une deuxième cimenterie à Zaghouan, en plus de celle des brésiliens Ciment Jbel Oust – Votorantim (CJO), qui opère depuis 1978.

En tant qu’ex-trader dans un fonds d’investissement en France, spécialiste des marchés financiers internationaux et promoteur de ce projet « Cement Ain Saf Saf », je suis conscient que le secteur du ciment est en pleine évolution. La consommation croît, tirée par la demande des pays émergents, presque partout, la concentration des acteurs s’accentue.

Le ciment est un matériau essentiel pour la construction, un des premiers secteurs d’activité au monde et un des employeurs les plus importants.

D’importance vitale pour le logement et les infrastructures de base, la filière ciment joue un rôle clé dans le développement économique et la réduction de la pauvreté des pays en développement.

Nous, Tunisiens, on a souvent eu une fausse-bonne argumentation pour ne pas investir dans ce secteur industriel, en avançant le fait que nous avons une « surproduction nationale » de ciment.

Oui, la production actuelle du ciment dépasse nos besoins du moment, et c’est compréhensible vu le contexte économique du pays affecté par une longue période de transition sociopolitique.

Toutefois, et conformément à la « théorie des cycles », tout ça ne pourrait pas durer. Il suffit juste d’entamer la mise en œuvre d’un des mégaprojets présentés lors de la Conférence internationale pour l’investissement (Tunisie 2020), pour que le surplus soit absorbé et qu’on ait besoin d’augmenter la production.

Mais en attendant, c’est-à-dire dans l’immédiat, il suffit qu’on suive un peu la tendance actuelle des pays nordiques, Canada, E.U … et commencer à bâtir nos routes en béton plutôt qu’en bitume, produit à partir de déchets de produits pétroliers, importés, occasionnant une hémorragie de devises rendue plus coûteuse par le glissement continu de notre monnaie nationale. En optant pour des routes en béton, nous ferons, sans doute, des économies -ainsi que des progrès techniques. D’autant que le sous-sol tunisien est riche en calcaire, calcaire marneux et gypse.

D’ailleurs, la meilleure route en Tunisie n’est-elle pas celle de l’avenue Mohamed V, la robuste, puisque construite en béton ?

WMC : Etes-vous sûrs d’être compétitifs ?

H.J. : Pour être compétitifs, nous installerons nos unités de production à proximité d’importantes réserves de calcaire et d’argile dans la région Ain Saf Saf, délégation de Bir M’Chergua. Selon nos études géologiques, nous disposons dans cette région de la meilleure qualité des réserves récupérables pour en fabriquer du ciment liant-hydraulique, la «Rolls Royce» du ciment !

Nous sommes conscients du faible ratio valeur/poids du ciment entraînant des coûts de transport élevés. Ayant un agrément pour une cimenterie « Cement Ain Saf Saf » totalement exportatrice, nous avons prévu l’entrée dans notre capital d’un armateur, une société monégasque, dont les navires marchands et les paquebots nous permettront d’acheminer nos produits à n’importe quel point de la planète, en particulier vers le marché africain,  grand demandeur.

Propos recueillis par Moncef Mahroug