Mustapha Kamel Nabli explique dans son ouvrage intitulé «J’y crois toujours» les raisons du marasme socioéconomique tunisien et avance des pistes de sortie de manière pragmatique et sans fausses espérances.

L’optimisme perpétuel est un multiplicateur de force, disait Colin Powell, ancien secrétaire d’Etat américain à la Défense. A l’école américaine, il n’y a de place ni pour la défaite ni pour l’échec et encore moins au pessimisme. Partir gagnant est un état d’esprit, et Mustapha Kamel Nabli, produit de l’école républicaine tunisienne francophone et de l’université américaine, croit dur comme fer qu’«au-delà de la débâcle», nous pouvons construire «une Tunisie démocratique et prospère». Entretien

WMC : Une grande partie des Tunisiens est désenchantée et n’y croit plus. Qu’est-ce qui fait que vous, connu pour être très rationnel et réaliste, vous y croyez ?

Mustapha Kamel Nabli : J’y crois toujours, je crois en une Tunisie démocratique et en même temps prospère. Je crois en une Tunisie où la liberté peut se conjuguer avec le respect des lois, le développement économique et la prospérité.

Lorsque nous comprenons les causes des difficultés, nous pouvons identifier les moyens d’y remédier.

J’y crois encore pour deux raisons, parce que lorsque nous faisons le bilan de ce qui s’est passé, et que nous nous interrogeons sur les raisons de la situation de notre pays aujourd’hui, nous savons que c’est parce que nous avons fait des erreurs de gestion. Lorsque nous identifions les erreurs de gestion, nous sommes capables d’y remédier. Donc je sais que c’est possible, et j’arrive à mettre en place les priorités. C’est pour dire que lorsque nous comprenons les causes des difficultés, nous pouvons identifier les moyens d’y remédier. Ceci d’une part.

D’autre part, lorsque nous regardons autour de nous et que nous étudions les expériences pareilles aux nôtre de par le monde, nous réalisons que c’est possible et que si d’autres pays ont réussi alors pourquoi pas nous. Ces pays ont traversé des difficultés comme la Tunisie aujourd’hui, et ils les ont dépassées.

Pour sortir de la crise, il faut plus d’efforts de la part de la collectivité, un changement des mentalités et de comportements des gouvernants

Nous savons comment cela s’était passé, et comment ils ont fait. Donc c’est possible. Il est évident que pour y parvenir, il faut plus d’efforts de la part de la collectivité, un changement des mentalités et de comportements des gouvernants, des partis politiques, des citoyens aussi et des organisations nationales.

Lorsque nous faisons le tour de la question, nous savons que toutes les parties concernées ont un rôle à jouer, ce n’est pas une solution technique ou un miracle quand je dis “oui j’y crois“. Il s’agit d’un engagement de toutes les parties soucieuses de l’intérêt du pays. C’est une solution collective.

Là vous parlez de l’engagement de toutes les parties. En fait, il ne s’agit pas que de problèmes purement techniques auxquels nous pouvons apporter rapidement de solutions, il s’agit de la résistance des parties dont vous parlez et chacune campe sur ses positions et veut préserver ses intérêts quelles que soient les conséquences sur le pays ?

Il revient aux politiques de dépasser la tendance à ce que chacun défende ses propres intérêts. J’en parle d’ailleurs dans mon livre. Toute la question est comment nous pouvons nous organiser pour que cela marche.

Rappelez-vous, en 2013, c’était la crise de plein fouet, nous avons trouvé le moyen de nous en sortir et de trouver une solution et un consensus. Nous avons aujourd’hui besoin de choix similaires pour échapper à ce cercle vicieux d’échecs et de déceptions, des choix qui doivent porter sur les questions économiques et sociales. Nous ne l’avons pas fait, et nous avons raté des opportunités précieuses.

Carthage I était une occasion pour vaincre ces difficultés, ce pacte a malheureusement été une occasion manquée

Carthage I était une occasion pour vaincre ces difficultés, ce pacte a malheureusement été une occasion manquée. Le président de la République avait la possibilité de résoudre ces problèmes, contre toute attente ce n’était pas son but, il voulait changer de chef de gouvernement pour des raisons qui n’ont rien à avoir avec les intérêts du pays, mais pour des raisons purement personnelles, et non des raisons objectives.

Carthage I aurait pu être la base d’un changement pour le mieux. Toutes les personnes concernées étaient assises autour de la table et étaient réceptives

Carthage I aurait pu être la base d’un changement pour le mieux. Toutes les personnes concernées étaient assises autour de la table et étaient réceptives. Elles auraient pu trouver des solutions, mais cela a été un ratage.

Carthage 2 aussi a été ratée de nouveau et pratiquement pour les mêmes raisons. Rien n’est impossible, il faut qu’on soit conscients de cela. Il faut changer la donne sur terrain et aussi trouver les arguments politiques convaincants pour le faire. C’est pour cela que je dis et redis que le changement du système politique est impératif pour réaliser les changements qui s’imposent. C’est la clé, et je continue à y croire.

Que reprochez-vous exactement au système politique ?

Beaucoup de choses, et c’est de notoriété publique. Je n’apporte rien de nouveau sauf sur certains détails. Le système politique est un système qui n’a pas permis de traiter des problèmes réels de la Tunisie.

Plus que le système, il y a une pratique politique, une pratique politicienne, dirai-je, basée sur les intérêts partisans, les intérêts personnels et sur le contrôle de l’Etat plutôt que de comment faire pour que l’Etat serve le citoyen et le pays. Hors, c’est là toute la question, et cela commence, dans notre cas, par le système électoral et se termine par une Constitution qui dilue les responsabilités.

En Tunisie, il y a une pratique politique, une pratique politicienne, basée sur les intérêts partisans mais aussi personnels

Nous ne savons plus aujourd’hui qui est responsable de quoi et comment. Il y a une totale déresponsabilisation des décideurs ! Et cela fait que le système n’est pas fonctionnel. Et je parle là d’un obstacle de taille pour le sauvetage de la Tunisie et auquel nous devons pallier.

«J’y crois toujours», le titre votre ouvrage, dresse un tableau de cette situation et surtout sur le plan économique ?

Je fais une analyse assez détaillée, assez complète de ce que j’appelle en Tunisie un des problèmes centraux dans notre pays, et en premier les secteurs sinistrés. Il y a 3 secteurs qui l’ont été pendant les 8 dernières années. Il s’agit du phosphate, de l’énergie et du tourisme.

Je fais une analyse assez détaillée et complète de ce que j’appelle en Tunisie un des problèmes centraux dans notre pays

Pour des raisons sécuritaires, sociales, ou autres, ces secteurs ont souffert de pertes énormes. J’évalue ces pertes dans mon livre en me basant sur des chiffres précis qui me donnent la portée des déficits catastrophiques pour notre économie.

Bien sûr, le secteur du phosphate est l’un des piliers de l’économie tunisienne, et toute reprise ou sortie de crise de la Tunisie nécessite une reprise de vigueur des trois secteurs que je viens de citer. Il faut qu’ils retrouvent leur santé. J’insiste sur le phosphate et l’énergie -le tourisme commence à peine à bouger, mais il est encore loin de retrouver sa santé d’antan.

Si nous voulons un redémarrage économique de notre pays et une véritable reprise, il va falloir prendre les décisions qui s’imposent pour les protéger et les relancer. Ensuite, nous pourrons parler d’investissements à l’échelle nationale et internationale.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali