Huit ans après la révolution, le processus de liquidation des biens du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), ancien parti au pouvoir, n’est pas achevé.

Dissous en 2011, le RDC a laissé derrière lui un patrimoine considérable : des comptes bancaires en Tunisie et à l’étranger, des espaces commerciaux, des terrains mais aussi des comptes auprès d’intermédiaires en Bourse, ainsi que des actions et des entreprises commerciales.

La liquidation des biens de l’ancien parti au pouvoir est un processus complexe. “Il s’agit d’un héritage social et partisan qui remonte au Parti socialiste destourien (PSD), lequel a été transformé en 1988 en Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD)”, indique le président de la Commission de liquidation des biens et des valeurs du parti, Sofien Ben Salah dans une interview accordée à l’agence TAP.

Cette commission a été créée en vertu du décret n° 2013-1294 du 26 février 2013, relatif à la création de la commission de liquidation des biens et des valeurs du parti du RCD et fixant sa composition et ses modalités de fonctionnement.

Après le jugement rendu par la cour de cassation (mercredi 9 mars 2011) relatif à la dissolution du parti, la mission de liquider les biens du parti avait été confiée à une commission au sein du ministère des Domaines de l’Etat. Ce n’est qu’en 2013 que cette mission fut déléguée à une commission indépendante supervisée par un magistrat désigné par le Tribunal de première Instance de Tunis.

Cette commission est composée d’une assemblée plénière à qui revient la prise de décision. Elle est présidée par le ministre des domaines de l’Etat, et regroupe des représentants des ministères de la Justice, des Affaires étrangères, de l’Intérieur, des Finances, de la présidence du gouvernement, des Affaires sociales, du Transport, de l’Equipement, de la Cour des comptes et de l’Instance de contrôle général des domaines de l’Etat et des affaires foncières.

L’Assemblée se réunit régulièrement au moins une fois chaque mois, afin d’examiner et de prendre des décisions qui seront par la suite transférées aux tribunaux, pour adoption. La commission se charge de l’application de ces décisions.

Des biens tous types confondus !

Selon Ben Saleh, la vente des biens du RCD n’est pas facile face à ce que représentaient les coordinations locales du parti aux habitants. “Le RCD avait bel et bien construit des locaux, mais qui abritaient des activités sociales, culturelles, sportives et commerciales”. Il avait notamment construit, entre autres, des maisons et des logements sociaux pour les familles nécessiteuses.

L’opération de rassemblement des archives du RCD constitue, selon Ben Salah, la plus grande opération de transfert d’archives effectuée en Tunisie. En collaboration avec les Archives nationales, la commission a pu, rassembler et transférer plus de 100 tonnes de documents. “En 2013, il y avait environ 2.400 dossiers concernant des biens gérés par le RCD sans qu’ils ne relèvent de sa propriété. Aujourd’hui, après que la commission de liquidation s’est saisie de cette mission, on compte 3290 dossiers de biens dans cette situation”, a-t-il indiqué soulignant que cette situation foncière particulière a compliqué le traitement et la liquidation voire la régularisation de ces biens.

Cependant, d’anciennes demeures beylicales sous la propriété du RCD, comme un ancien palais de la Marsa, sont de nos jours menacés d’effondrement, regrette Ben Salah. Des mausolées, comme le mausolée Sidi Hafnaoui à Jendouba, relèvent aussi de la propriété du RCD, a-t-il ajouté.

Des locaux construits sur des domaines de l’Etat

Le RCD avait non seulement géré ce qui ne lui appartenait pas mais il a, aussi, construit sur des terrains appartenant à des entités privées voire publiques. La commission a pu, à cet effet, recenser des biens construits sur des routes ou encore sur des terrains appartenant à l’Etat, à des personnes privées, à des municipalités, sur des domaines publics marins (à Ain Draham à titre d’exemple), sur des terrains forestiers, sur des terrains appartenant à des entreprises publiques comme l’AFH, la SNIT, SPROLS ou encore appartenant à des étrangers. Le RCD avait aussi construit sur des terrains appartenant à des conseils régionaux”.

Des personnes avaient fait don de leurs terrains, certes, mais plusieurs ont été forcées de céder leurs biens aussi, a-t-il tenu à souligner, précisant que ces dossiers sont traités, depuis 2013, au cas par cas. Ceci dit, le RCD avait, néanmoins, réussi à enregistrer 789 biens, dit-il.

Quand des ministères s’emparent des locaux du RCD !

Après la Révolution, des personnes privées mais aussi des entreprises publiques se sont emparées des anciens locaux du RCD. Selon Ben Salah, des ministères dont notamment le ministère de la Culture ou encore de l’Intérieur s’y sont installés.

En effet, la commission a découvert 293 contrats de location de petits espaces de commerce sous la propriété du RCD. Ce dernier avait l’habitude de construire des locaux commerciaux à usage de location au profit de petits commerces ou encore d’entités publiques.

Selon lui, la plupart des personnes ayant loué ces espaces ne payent plus leurs mensualités de loyers depuis la dissolution du parti. Outre les personnes physiques, le RCD louait également des espaces à la CNAM (à la Marsa à titre d’exemple), à la STEG… La Maison du poète, à la Médina, est également un bien du RCD.

Le RCD possède aussi des sociétés et des actions en Bourse

En effet, outre les revenus mensuels des biens loués, le RCD était associé dans une série d’entreprises et de sociétés à caractère commercial. Le RCD était, à cet effet, associé à une des premières entreprises immobilières à Sfax qui avait construit plusieurs immeubles dans la région. Il est aussi associé dans une agence de voyages, des maisons d’édition… La plupart de ces entreprises sont en phase de liquidation ou de mise en faillite. Cette politique a été décidée par le tribunal à cause de leurs dettes, précise Ben Salah.

Il a aussi des comptes bancaires en Tunisie mais également à l’étranger (des comptes de gestion). Ces comptes ont été gelés en 2011. L’argent a été transféré vers le compte de liquidation, dans lequel la Commission place tous les fonds provenant de la liquidation des biens et valeurs du RCD. Cet argent est utilisé pour payer les frais de liquidation et régler les dettes.

Le RCD a aussi des comptes auprès des intermédiaires en Bourse et des actions. En ce qui concerne les comptes à l’étranger, la commission a réussi à clôturer des comptes en France et en Italie et transféré l’argent vers le compte de liquidation de la commission. Quelques comptes sont encore ouverts mais les procédures de leur clôture sont en cours.

Des meubles et des voitures disparus

Outre les meubles que la commission a pu récupérer des bureaux régionaux et locaux, le RCD possédait un parc d’environ 130 voitures dont seulement 20 ont été récupérées.

Sans compter les voitures privées, la commission a pu vendre une vingtaine de voitures et mis à la recherche 97 voitures. Elles ont été inscrites dans la liste des véhicules recherchés par le ministère de l’Intérieur sans qu’on ne puisse, jusqu’à ce jour, en trouver une trace, regrette Ben Salah.

120 MDT de créances et un audit

Le RCD a aussi des créanciers dont principalement des municipalités, des entreprises publiques -comme la STEG, la SONEDE, Tunisie Telecom, les sociétés de transport et encore des sociétés privées.

Selon Ben Salah, et afin de garantir à chacun son droit, le juge en charge du dossier auprès du Tribunal de première instance a permis de procéder à un audit par un bureau d’expertise. “Il y a des créances prescrites, certes, mais il y a aussi des créances qui ne sont pas prescrites”, précise Ben Salah.

La Commission procédera au remboursement dès l’achèvement de l’audit. Pour ce faire, elle a appelé, en 2014, les personnes physiques et morales concernées à réclamer, auprès de la commission, leurs créances. Le montant des créances revendiquées s’élève, aujourd’hui, à environ 120 millions de dinars. Ce montant pourrait baisser après l’audit, tient à préciser Ben Salah.

La Commission publiera une première annonce de fin de l’opération de liquidation, au plus tard, en avril 2019. Elle procédera après au remboursement des dettes avant de transférer le reste des biens et argent aux caisses de l’Etat, conformément au décret en vigueur.

Ben Salah a, à cet effet, précisé que les dettes sont réparties entre des dettes du parti envers les entreprises ou prestataires de services et des dettes des entreprises dont le RCD est associé.

L’Assemblée plénière se charge de la liquidation des dettes du RCD en tant que parti. Les dettes des entreprises, dont le RCD est associé, sont gérées au cas par cas par des personnes désignées par le tribunal.

Un premier bilan de liquidation

Après 3 ans de travail, la commission a pu recouvrir une partie des biens mais aussi des sommes importantes. En effet, le recouvrement des loyers est passé de 160.000 dinars en 2015 à environ 2 MDT en 2018. La commission a, à cet égard, contraint les locataires, particulièrement, à payer leurs redevances. Elle a aussi effectué en 2018, 116 ventes aux enchères (biens et valeurs) contre 2 seulement en 2015. Soit une augmentation nette du rythme des ventes à 17 ventes aux enchères par mois.

Les recettes des opérations de vente ont atteint, jusqu’à ce jour, environ 28 millions de dinars.

La commission n’avait pas de bureaux régionaux jusqu’à 2016, regrette Ben Salah. C’est pourquoi le recensement et le recouvrement des biens étaient difficile dans les régions. Ce n’est qu’en 2016 que la Commission a réellement pu accéder aux régions à travers la mise en place de 24 bureaux régionaux dont la mission était :

L’investigation, le recouvrement et l’assistance aux ventes aux enchères. C’est alors que la commission a recensé 494 biens à Tunis, 61 à l’Ariana, 134 à Ben Arous, 90 à la Manouba, 242 à Nabeul et 387 à Sfax…

A propos de la Tour de la patrie

La Tour de la patrie était le siège central du RCD. S’agissant du plus haute gratte-ciel de Tunis située à l’avenue Mohammed V, la commission n’a pu récupérer l’édifice qu’en 2015. Entre 2011 et 2015, cette Tour était utilisée par la présidence du gouvernement. Lorsque la Commission a entamé la gestion de l’édifice, elle l’a trouvée dans un état “lamentable”. Aucun entretien n’a été effectué depuis 2011, précise Ben Salah.

“A notre arrivée, les systèmes de télécommunication, de climatisation, de chauffage, de tuyauterie et d’alarme étaient détruits. Les ascenseurs ne marchaient pas. La Tour de 17 étages était dévastée et délaissée”, indique-t-il.

Vu l’obligation juridique de maintenir dans un bon état les biens du RCD dont elle a en charge, la commission a procédé à la maintenance après consultation du Tribunal et de l’assemblée plénière. Une commission d’experts avait évalué, alors, le bien en 2015 et a estimé que sa valeur baissera vu son état. Il a été donc décidé d’y effectuer l’entretien nécessaire afin de redonner au bien sa valeur exacte qui a, en effet, nettement augmenté après les travaux.

La Tour de la patrie ne serait pas vendue ! La commission compte préserver cet édifice, non seulement pour son emplacement stratégique, mais aussi pour sa valeur. L’assemblée plénière de la commission avait estimé qu’il serait mieux de transférer la propriété de la Tour à l’Etat, selon Ben Salah.

Afin de couvrir une partie des coûts d’entretien, l’assemblée avait décidé de louer la Tour au ministère des Domaines de l’Etat, à l’exception des espaces socio-culturels et les locaux techniques.

La Tour, a-t-il-tenu à préciser, avait été louée à ce ministère après une expertise judiciaire entamée par le juge en charge. Le ministère des Domaines de l’Etat était en effet, la seule partie qui avait déposé une demande auprès de la commission pour louer l’espace.

Selon Ben Salah, la Tour, avec ses 210 bureaux, ne représente qu’un tiers de l’ensemble du bien. “L’ancien siège central du RCD, compte aussi des espaces socio-culturels, dont notamment des amphithéâtres qui seront, dans quelques mois, aménagés et loués pour des projets destinés à la jeunesse, des espaces verts et des locaux d’entreprises”, a révélé Ben Salah.

Auditionné par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), le 11 janvier 2019, le ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières Hédi Mekni, a indiqué que le ministère veillera à liquider, en 2019, les domaines relevant du RCD, d’autant plus que les biens fonciers perdraient leur valeur, notamment huit ans après l’opération de confiscation.