Soixante-et-un ans après la proclamation de sa République, la Tunisie, en dépit de quelques avancées demeure un pays sous-développé dans bien des égards. Le Tunisien rencontre toujours de sérieuses difficultés pour subvenir à ses besoins élémentaires : trouver un emploi, se loger, se soigner et se vêtir décemment.

Pis, la situation a tendance à s’aggraver par l’effet d’une double crise, s’agissant du bras de fer meurtrier qui oppose, actuellement, les deux têtes de l’exécutif, le président de la République, Béji Caïd Essebsi (BCE), et le chef du gouvernement, Youssef Chahed, d’une part, et de la persistance d’une récession économique qui risque de mener à la banqueroute, d’autre part.

Signe qui dit long sur la gravité de la crise qui sévit au plus haut niveau de l’Etat, l’ambiance extrêmement tendue dans laquelle s’est déroulée, mercredi 25 juillet 2018, au siège de l’Assemblée des représentants du peuple, la cérémonie de la célébration de la proclamation de la République laquelle a été marquée par l’absence d’une allocution de circonstance.

A l’origine de ce bilan catastrophique, trois forces politiques et socio-économiques. Ces dernières -soit par leur monopolisation du pouvoir, soit par leur opposition idéologique à la laïcité et civilité de l’Etat, soit par leur corporatisme excessif- assument une grande responsabilité dans la dégradation multiforme de la situation du pays.

Ces forces ont pour nom les makhzéniens -voire les thuriféraires des anciens régimes de Bourguiba et de Ben Ali dont se réclame BCE-, les islamistes de Rached Ghannouchi, et les corporatistes des centrales syndicale et patronale (UGTT et UTICA). Chacune d’elles représente le tiers de la population.

Après le séisme qu’a connu le pays, un certain 14 janvier 2011, et qui aurait dû logiquement changer la donne et mettre fin à leurs agissements, ces forces du mal ont régénéré et sont parvenues non seulement à se reconstituer mais surtout à gouverner et à faire la pluie et le beau temps, chacune selon ses méthodes.

Conséquence : par la reproduction du paysage sociopolitique et du même rapport de force au temps de Bourguiba et de Ben Ali, ces forces constituent toujours une menace pour la République et pour sa pérennité.

Retour sur les nuisances et manque à gagner générés par ces forces pour le pays et pour les Tunisiens en général.

Les makhzéniens ont épuisé les ressources naturelles du pays sans créer d’autres alternatives

D’abord, les makhzéniens qui ont régné sur le pays pendant 57 ans. Ils ont ainsi bénéficié d’une très longue période de stabilité et de pouvoir absolu. Et pourtant, apparemment atteint par la pathologie de la procrastination, ils ne sont pas parvenus à entreprendre, dans les temps, les réformes structurelles nécessaires pour engager le pays dans une trajectoire de développement innovant, inclusif, durable et pérenne.

En optant pour un modèle “bâtard“ fondé sur le clientélisme, le népotisme et le régionalisme, ces makhzéniens, par l’orientation aux relents régionalistes des investissements, n’ont fait que diviser le pays en deux. A l’est, un littoral relativement viable, et à l’ouest, un arrière-pays pauvre voire très pauvre.

Les makhzéniens ont fragilisé la Tunisie et hypothéqué l’avenir des futures générations en épuisant les ressources naturelles du pays sans créer d’autres alternatives. Plus grave encore, par l’effet de leur incompétence et leur manque de vision, ils ont fait dépendre l’économie nationale des importations au point que la situation qui prévaut actuellement dans le pays rappelle à un détail près la période de 1864-1869, période beylicale au cours de laquelle l’économie du pays a connu une faillite qui a favorisé le protectorat en 1881 et la colonisation du pays par la France. Le même scénario semble se répéter.

Les islamistes, ennemis jurés de la République ! 

Viennent ensuite les islamistes, ces bédouins d’autres temps, qui ont généré des coûts énormes dont le pays aurait pu faire l’économie soit lors de la période de leur répression, soit lors de leurs accès au pouvoir après le soulèvement du 14 janvier 2011.

Après avoir flirté avec le Parti socialiste destourien au cours des années 70 contre la gauche et les syndicalistes, les islamistes ont été, certes, réprimés par les dictatures de Bourguiba et de Ben Ali, mais ils ont donné un alibi de rêve à ces régimes autoritaires pour élargir leur diktat et répression à toutes les forces progressistes du pays, sans distinction aucune.

Conséquence : les islamistes, même réprimés, ont sans doute compromis l’évolution du pays vers des jours meilleurs.

Au pouvoir dans le cadre de la Troïka, suite aux premières élections, soi-disant libres en 2011, les islamistes ont été tout simplement catastrophiques. Génétiquement, anti-républicains par excellence et attachés à une idéologie rétrograde et moyenâgeuse prônant la restauration du 6ème califat et l’application de la chariâa, ils ont déstructuré la République durant trois ans de pouvoir et favorisé l’émergence du terrorisme, la recrudescence de la contrebande et des attentats politiques.

Cette politique a généré de nouvelles dépenses faramineuses pour la lutte contre le terrorisme et la contrebande. Ces dépenses sont perceptibles à travers l’augmentation des budgets des départements de la Défense nationale et de l’Intérieur et des autres corps porteurs d’armes (douaniers, gardiens de prisons…), outre l’accroissement de leur effectif. Selon de récentes statistiques fournies par la Direction générale des services administratifs et de la fonction publique relevant de la présidence du gouvernement, sur un total de 690.091 fonctionnaires, 235 702 –bien 235 702- sont des fonctionnaires porteurs d’armes. C’est énorme pour un tout petit pays de 11 millions d’habitants qu’est la Tunisie.

Cela pour dire encore une fois que les islamistes, qui n’ont rien donné au pays et ne lui donneront rien au regard de leur projet de société rétrograde, ont coûté et coûtent très cher au contribuable.

Création de la valeur discutable pour les adhérents de l’UGTT et de l’UTICA

Quant aux corporatistes représentés par l’UGTT et l’UTICA, ils sont aussi responsables de la crise délétère et de la précarité extrême qui prévalent dans le pays. En axant, depuis des décennies, les négociations sociales sur les majorations salariales, ces organisations dogmatiques ont compromis le développement d’autres leviers de la productivité tels que l’amélioration des conditions de travail, la gestion par objectifs, la formation, l’innovation, la recherche & développement.

D’où l’enjeu de faire évoluer le dialogue social sur de nouvelles bases. Le moment semble propice pour que ce dialogue ne se limite plus, comme cela a été le cas depuis plus de 61 ans, à des négociations avec les syndicats sur les majorations salariales dont l’effet sur l’amélioration du pouvoir d’achat est généralement gommé par les augmentations des prix qui suivent. Il doit transcender ce stade pour englober d’autres leviers de la productivité qui relèvent de la responsabilité totale des employeurs (Etat et patronat).

L’UGTT, qui règne en maître absolu sur l’administration et les entreprises publiques et privées par l’effet de la filiation et du resquillage, a péché par les revendications excessives sans responsabiliser ses adhérents et sans conditionner les majorations salariales au rendement.

A titre indicatif, un instituteur ne peut pas revendiquer des améliorations salariales au regard du bas niveau de l’enseignement primaire. Idem pour le corps enseignant des cycles secondaire et supérieur. La règle étant, comme le disait le stratège allemand Peter Hart (le père de la paix sociale en Allemagne), ”on ne peut redistribuer que la richesse qu’on crée”.

Pour sa part, le patronat tunisien a pris le pli de mettre la main dans la poche pour augmenter les salaires mais en même temps, il fait répercuter ces mêmes augmentations sur les prix. Selon certains analystes, le patronat tunisien n’a jamais agi sur les coûts de production. Il est en quelque sorte responsable de l’envahissement du marché tunisien par des produits importés compétitifs (souvent à bas prix).

A titre d’exemple, sur cinq pièces textiles écoulées dans le pays, une seule est fabriquée en Tunisie, ce qui dit long sur une filière qui a pourtant bénéficié d’un soutien massif de l’Etat depuis les années 70.

Moralité de l’histoire : le moment est venu pour engager un débat national sur le rendement de ces forces qui se sont servies mais ont rarement servi le pays. L’ultime but étant de sensibiliser l’opinion publique aux abus qu’ils ont commis dans une première étape, et dans une seconde étape de les pousser légalement par le biais des urnes ou autres mécanismes légal à rendre compte.

A bon entendeur.