La banalisation de la violence à travers des émissions télévisées populistes, les discours haineux de certains activistes islamistes et misogynes a porté ses fruits ! Comme il est facile de propager les mauvaises habitudes, l’impolitesse, la brutalité et la bestialité !

Cela faisait des décennies que les femmes tunisiennes souffraient chaque jour des violences verbales et physiques dont elles sont les premières victimes. Nous avions cru et espéré qu’avec la promulgation d’une loi coercitive pour juguler ce phénomène, nous allions pouvoir le réduire un peu. Que nenni, il sévit encore de plus belle, encouragé par les vagues d’attaques gratuites à l’encontre des femmes émanant de prêcheurs, de rétrogrades et d’obscurantistes et relayés par des médias dont “la descente dans l’enfer de la médiocrité“ est devenue une condamnation à perpétuité mais choisie !

Conséquence de cet état des choses, des femmes agressées gratuitement dans les lieux publics dans l’indifférence totale de l’assistance.

Samira Rab3aoui figure parmi des milliers de cas de jeunes femmes victimes de violences et de harcèlement. Juriste, en pleine préparation de son mémoire en deuxième année Master, elle témoigne dans ce récit, aussi bien choquant qu’émouvant d’un drame qu’elle a vécu en plein centre de Tunis.

Arrivée de Sfax pour un entretien d’embauche, elle s’est retrouvée dans un hôpital où elle a également été maltraitée et harcelée par un employé.

Le comble !

«Je suis arrivée de Sfax pour un entretien dont l’heure a été fixée à 9h du matin. Je m’attable avec une amie au café Al Hamra sis à l’Avenue Jean Jaurès. Un café apparemment mal famé mais je ne le savais pas, et en tout état de cause, rien n’y justifie ce qui m’était arrivé !

Trois jeunes hommes étaient assis tout près de nous et nous cherchaient noise, je les ai ignorés. L’un d’eux a mis son pied sur ma chaise, je l’ai avancée pour l’éviter. A 9h30, un autre a glissé sa main dans mon pull et a tiré la bretelle de mon soutien-gorge faisant semblant de rien. Je n’ai pas pu me retenir et j’ai réagi en l’insultant. Ils ont les trois réagi en me traitant de tous les noms :

  • “Ta gueule… Salope, tu n’es qu’une sale menteuse“…
  • Je lui rétorque : non je ne me tairais pas !
  • “Tais-toi, je suis un homme et meilleur que toi, écrases sinon je te bats’’.

Il a avancé d’un pas pour me taper dessus, mon amie s’est interposée, mais rien ne pouvait plus le retenir, il a commencé à me battre et à m’asséner des coups sur mon visage, ensuite il a commencé à me donner des coups de pieds malgré mes tentatives de me défendre. Il m’a tiré les cheveux et a cogné ma tête contre le mur. Les coups étaient tellement violents que j’ai perdu connaissance pendant un bref laps de temps. J’ai repris conscience dans un brouhaha, les chaises étaient par terre, et le serveur avait plus peur pour le café que pour ce qui pouvait m’arriver. J’ai pris mon sac et je suis sortie pour déposer une plainte.

Au secteur de Bab Bhar après qu’on m’a renvoyé du 7ème (poste de police parce) parce que mon cas ne relève pas de ses attributions, j’ai été très mal reçue. Beaucoup de mépris et aucune expertise dans la prise en charge des femmes victimes de violences. J’étais un chiffre parmi d’autres, peut-être la énième victime… Je me suis sentie mourir…

Le PV fait, j’ai tenu à y mettre tous les détails, initialement «oubliés» (sic) et j’ai pris un taxi pour aller à l’hôpital Charles Nicolle où je devais subir les examens d’usage !

Harcèlement sexuel dans le taxi et à l’hôpital !

Dans le taxi, je n’ai pas non plus été épargnée, je me pleurais et pleurais la Tunisie que nous avons perdue. Le chauffeur m’a dit : “apparemment tu n’es pas de Tunis, si tu veux je peux t’emmener chez moi pour te reposer“ et à chaque fois qu’il parlait, je sentais une part de moi, de ma fierté de femme tunisienne qui partait, qui disparaissant dans cette atmosphère nauséabonde de décadence des valeurs et d’irrespect pour les femmes.

A l’hôpital, aucune compassion de la part des fonctionnaires. L’un d’eux m’a dit : “Pourquoi toi, pourquoi pas les autres ? Ecoutes, tu ne pourras pas avoir ton certificat immédiatement, il va falloir patienter. Si tu veux tu peux t’installer chez moi, le temps qu’on te le prépare. Fais-moi plaisir, reste à Tunis et ne rentre pas tout de suite à Sfax, qu’en dis-tu ?“. Ce fonctionnaire n’a pas arrêté de laisser ses mains balader sur mon corps meurtri !

Ce qui m’a sauvé d’une autre crise de panique est le comportement des médecins qui m’ont bien traitée et ont été très attentionnés ; il y avait également deux agents de sécurité qui m’ont orientée et ont été très respectueux envers moi».

Choquée, blessée au plus profond d’elle-même, déroutée et heurtée par le climat social malsain qui règne aujourd’hui en Tunisie, Samira Rab3aoui est aujourd’hui au bord de la dépression mais elle tient bon et compte mener sa plainte et son combat jusqu’au bout.

«Je ne lâcherai pas, je me défendrai contre vents et marées en tant que femme méritant tout le respect qu’on nous doit à nous autres tunisiennes qui nous investissons corps et âmes pour sauver notre statut et notre patrie. Tout le monde me demande “pourquoi tu as été agressée ?“ Dois-je citer toutes les raisons qui poussent des individus endoctrinés par des discours religieux misogynes et par la nouvelle vague de rejet des acquis des femmes à s’en prendre gratuitement à nous ?».

Rappelons à ce propos que depuis 2011, nous avons entendu nombre de discours émanant de hauts responsables dans l’un des partis tenant aujourd’hui le gouvernail qui ont justifié le chômage des hommes par le travail des femmes, ont appelé au rétablissement de la polygamie et ont limité le rôle des femmes à celles de procréatrices et de nurses pour leurs enfants.

C’est dire à quel point ces discours pervers ont influencé une jeunesse désaxée et en perte de repère identitaires.

Qui est responsable de la montée de la violence tous azimuts et particulièrement envers les femmes ?

La réponse est tout le monde. Les politiciens qui dissimulent mal leurs discours machistes, les médias qui excellent dans l’atteinte à l’image des femmes, les faisant passer pour des débauchées, des matérialistes, des opportunistes, des calculatrices et des envieuses. Nous sommes à court d’adjectifs pour décrire l’image que véhicule des médias médiocres sur les femmes. Les femmes dont les compétences, les réussites et l’engagement pour sauver la Tunisie des griffes de l’extrémisme ne sont jamais mis en avant.

Que c’est triste dans un pays où le CSP a révolutionné non pas le monde arabe mais le monde.

Mais cela datait d’une autre époque, une époque où la Tunisie était dirigée par de véritables hommes d’Etat et non par de pâles imitations de ce qu’ils étaient !

Amel Belhadj Ali