Alors que le processus de négociations de l’Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) est dans l’impasse, trois ans après son lancement, la société civile pense que le gouvernement l’a très mal engagé, notamment en ne se donnant pas les outils nécessaires lui permettant d’en maximiser le profit et d’en minimiser le coût.

Un groupe d’experts, d’universitaires et de représentants de la société civile a dressé ce bilan négatif, appelé le gouvernement tunisien –avec la Commission européenne sur certains aspects- à rectifier le tir, et formulé des recommandations en ce sens lors d’un workshop –«Tunisie et ALECA, entre trébuchement et avancement», organisé le 20 avril 2018, à quelques semaines d’un nouveau round de négociations.

Un appel auquel le gouvernement a répondu, par le truchement de Hichem Ben Ahmed, secrétaire d’Etat au Commerce et négociateur en chef de l’ALECA, en réitérant son engagement à écouter la société civile et à tenir compte de ses recommandations.

Pour le prouver, Ben Ahmed a d’ailleurs annoncé –c’est une des recommandations- le lancement d’une «étude d’impact» de l’accord en cours de négociation et la poursuite des consultations avec la société civile sur ce dossier.

Une approche saluée par Hakim Ben Hammouda, ancien ministre de l’Economie et des Finances, dans le gouvernement Jomaa, qui y voit dans ce genre d’études «un moyen de renforcer la capacité de négociation des négociateurs». Car, souligne-t-il, «après les discours des chefs, les négociations entre techniciens se déroulent sur la base de chiffres». Et l’implication de la société civile dans ces négociations constitue «un autre moyen d’atteindre le même objectif», comme «cela a été observé lors des négociations de l’Accord CETA, entre le Canada et l’Union européenne».

Toutefois, si tout cela est nécessaire, il demeure largement insuffisant aux yeux de Abdeljelil Bedoui. L’économiste, représentant de l’UGTT au sein de cet aéropage, égrène quelques-unes des mesures (voir : Les recommandations de la société civile pour produire un «bon» ALECA) élaborées par le Groupe de travail «Droits économiques et sociaux, composé d’universitaires, experts et associations, -qui a travaillé sur ce dossier sous la houlette du réseau Euromed- et, surtout, pointe du doigt les risques et menaces que l’ALECA fait peser sur la Tunisie. Risques et menaces que, selon lui, les observateurs taisent tout en mettant en exergue les opportunités que le nouvel accord avec l’Union européenne offrirait.

Devant une telle situation, M. Bedoui croit nécessaire de réfléchir pour comprendre de quoi il s’agit dans ce dossier. Premier constat de l’économiste : «L’offre de l’Union européenne n’est pas une offre commerciale mais une vision sociétale globale. Cette offre nous amène non pas seulement à faire des choix techniques, mais également stratégiques qui risquent d’être irréversibles. Donc, nous devons l’étudier de manière rationnelle et posée».

Deuxième constat –et préoccupation: «Nous sommes en présence de négociations entre partenaires ayant des relations structurellement asymétriques, que le soutien apporté à la Tunisie dans l’accord de 1995 n’a pas permis de corriger».

Troisième observation : l’ouverture promise par l’ALECA est «déséquilibrée» puisqu’elle offre «l’approfondissement des échanges de biens et de capitaux mais pas des personnes qui sont mises en résidence surveillée. Dans ces conditions, on est loin de la réciprocité».

M. Bedoui relève également qu’on est en présence d’une «logique de marchandage à travers le phénomène des blacklists, auquel se sont ajoutées récemment des «rumeurs sur la présence de résidus cancérigènes dans l’huile d’olives tunisienne» qui en ont provoqué la baisse des prix.

L’économiste regrette aussi ce qu’il estime être de la part de la Tunisie de «l’empressement à négocier rapidement. Cet empressement contraste avec la pratique dans le monde, telle qu’illustrée par les négociations Union européenne-Etats-Unis qui ont traîné en longueur». Et de surcroît «on fonce dans la nouvelle négociation sans bilan de l’expérience passée (l’Accord de 1995, ndlr), ni vision stratégique».

MM