Généralement réservé, le Fonds monétaire international (FMI), par la voix de son chef de mission pour la Tunisie, Björn Rother, vient de renvoyer, dans des déclarations tonitruantes, dos-à-dos le gouvernement -qui lui fait assumer des décisions qu’il n’a nullement recommandées- et l’opposition -qui le diabolise et l’accuse, “à tort”, de paupériser davantage les démunis.

Dans de longs entretiens accordés ces jours-ci à un magazine tunisien et au site web Bloomberg, Björn Rother a été “sans équivoque sur plusieurs sujets qui génèrent une quantité de controverse en Tunisie”.

Le premier concerne la compensation. A ce sujet, il a déclaré que “le FMI n’a jamais recommandé de réduire les subventions alimentaires, car il voit peu d’autres moyens pour protéger les plus vulnérables dans l’environnement actuel”.

Le second a trait aux entreprises publiques à propos desquelles il a révélé que “le FMI n’a pas discuté avec le gouvernement tunisien de la privatisation des entreprises du secteur public”.

Le FMI serait plus inclusif que l’opposition Tunisienne

A travers ces précisions, le FMI semble adresser deux messages. Le premier est destiné à l’opposition, particulièrement aux syndicats et au Front populaire dont le porte-parole, Hamma Hammami, ne rate aucune occasion pour tirer à boulets rouges sur le Fonds, l’accusant, parfois par idéologie,  d’être à l’origine de tous les maux que connaît la Tunisie et d’appauvrir davantage les démunis.

Le responsable du FMI s’en défend et rappelle les règles qu’il suit en concevant ses recommandations pour la Tunisie.

D’abord, il assure que le FMI porte une attention particulière à leurs effets distributifs. Pour le Fonds, dit-il, “réduire l’inflation et réduire les dépenses courantes pour stimuler l’investissement public contribuent à la réduction des vulnérabilités macro-économiques et, en même temps, améliorent l’équité de l’économie tunisienne”.

Concernant la seconde, elle porte sur la protection des personnes vulnérables. “Nous saluons, a-t-il indiqué, l’intention du gouvernement d’augmenter les dépenses consacrées aux programmes sociaux, notamment les transferts aux familles nécessiteuses, et d’accélérer les efforts déployés dans la constitution d’une base des données des familles vulnérables afin d’améliorer le ciblage des programmes sociaux”.

Moralité de l’histoire: à travers ces messages, le FMI, apparemment exaspéré par les critiques de l’opposition, semble lui dire que dans ses recommandations, il est plus inclusif qu’elle ne l’est et qu’il se préoccupe en priorité des pauvres et que s’il recommande, avec insistance, à titre indicatif,  la suppression des subventions dédiées au carburant, ce ne sont pas les démunis qui en pâtiront mais bien les gens aisés.

Quid des entreprises publiques ?

Au sujet des entreprises publiques, le chef du gouvernement, Youssef Chahed, et surtout ses ministres (Taoufik Rajhi, Mehdi Ben Gharbia, Fayçal Derbal…) se sont prononcés sans ambages pour la privatisation d’au moins 10% des entreprises existantes.

A ce propos, Björn Rother estime que “les entreprises d’Etat représentent, certes, des risques budgétaires importants, mais nous nous sommes convenus avec le gouvernement qu’une meilleure gouvernance et une meilleure surveillance peuvent être un moyen alternatif de gérer ces risques”.

Le message est des plus clairs. Le FMI n’a pas demandé au gouvernement tunisien de privatiser les entreprises publiques. Tout ce qu’il a suggéré c’est l’introduction des best practices de la gouvernance privée dans leur gestion.

Conséquence : la privatisation des entreprises publiques est une trouvaille d’un gouvernement courtermiste qui a tendance à gagner du temps et à privilégier les solutions faciles.

Mis à nu par les déclarations du responsable du FMI, les membres du gouvernement ont du se rétracter, ces derniers jours. Ils évitent de parler de la privatisation des entreprises publiques mais de leur restructuration et de leur introduction en Bourse.

Il n’est pas étonnant que le FMI ait informé la centrale syndicale (UGTT), un de ses interlocuteurs en Tunisie, de sa position sur les entreprises publiques. C’est ce qui explique la farouche détermination des syndicalistes à refuser tout projet de discussion sur la cession de ces entreprises d’Etat.

C’est ce qui explique aussi l’optimisme du responsable du FMI quand il dit: “Nous restons optimistes sur la Tunisie malgré des difficultés évidentes. La Tunisie a de solides antécédents en matière de consensus autour de questions politiques difficiles, et nous pensons que cette approche peut également réussir sur le front économique. Nous constatons lors de nos discussions que la grande majorité du spectre politique, la société civile et les partenaires sociaux soutiennent les réformes économiques, à condition que chacun y apporte sa juste part”.

Bizarrement, cette dernière condition, la centrale syndicale en a fait sa devise et ne cesse de la répéter en public. Sans commentaires.