Les Tunisiens avertis qui connaissent bien les tenants et aboutissants du modèle de développement de leur pays sont tentés de s’arracher les cheveux quand ils entendent, à maintes reprises, Hamma Hammami, porte-parole du Front populaire, faire assumer, à gorge déployée et sans aucune réserve, la crise délétère et multiforme dans laquelle se débat, actuellement, le pays au modèle ultralibéral suivi par le gouvernement, c’est-à-dire un système prônant le libéralisme absolu et encourageant l’économie de marché, l’entreprise privée, le désengagement de l’État…

Ces mêmes Tunisiens sont surtout éberlués et stupéfaits de relever qu’un parti comme le Parti populaire -qui compte 17 députés à l’Assemblée des représentants du peuple et d’experts économiques- ignore que le modèle de développement tunisien est loin d’être libéral et encore moins ultralibéral. C’est simplement un modèle clientéliste.

En voici l’argumentaire.

La Tunisie classée 117ème sur un total de 159 pays

L’Indice de liberté économique dans le monde, publié annuellement par l’Institut Fraser du Canada, classe la Tunisie au 117ème rang sur un total de 159 pays listés. En 2000, la Tunisie était classée par le même indice 33ème.

Au temps de Ben Ali, l’Institut Fraser justifiait en ces termes ce classement : “on pourrait bien croire que l’ancien régime en Tunisie a entrepris des réformes “néolibérales” dans les années 2000, traduites par l’ouverture des marchés et l’accroissement de la liberté économique, des réformes qui ont valu à la Tunisie, à l’époque, les satisfécits des institutions internationales. En réalité, il ne s’agissait que de fausses réformes qui, contrairement aux vraies réformes d’un marché libre, ont concentré la puissance et la richesse entre les mains d’une certaine élite, et en ont dépossédé ainsi la majorité de la population”.

Et l’Institut de poursuivre son commentaire: “Malheureusement, après le Printemps arabe, la situation politique s’est améliorée alors que la situation économique, tant sur le plan des politiques que des résultats, s’est détériorée. La Tunisie est tombée bien au-dessous du 100ème rang en termes de liberté économique, 117ème en 2016”.

Moralité de l’histoire : pour l’Institut Fraser, la liberté économique en Tunisie est assimilée jusqu’ici “au capitalisme de copinage”. En vertu de ce choix, “la croissance, note-t-il dans son rapport, est très lente ou n’existe tout simplement pas. Les individus et les groupes s’y affrontent pour la richesse et les privilèges. Les gens gagnent de l’argent en établissant des relations, en supprimant des opportunités dédiées à d’autres et en leur causant des torts. Trop souvent, l’individu ne gagne pas en tant qu’individu mais en tant que membre d’un groupe à la quête d’une rente. Les liens peuvent être de nature économique, tribale ou régionale, politique ou religieuse. Les groupes se dressent les uns contre les autres, créant un terrain propice à la haine et au désespoir. En l’absence d’une liberté économique, les plus grands gains reviennent à ceux qui coupent une plus grande grosse part d’une tarte limitée pour eux-mêmes, laissant aux autres des miettes. Cela exacerbe les tensions”.

Les avantages de la liberté économique

Selon l’Institut Fraser, la liberté économique, pour peu qu’elle soit disponible dans un pays, engrange beaucoup de vertus et beaucoup d’avantages.

Ainsi, une fois cette liberté instituée, “les gens font leurs propres choix économiques. Ils ne gagnent que quand ils produisent des produits et services réclamés par le marché. En d’autres termes, ils ne produisent que pour satisfaire les besoins des gens et pour augmenter la prospérité à la faveur de produits innovants et à une meilleure productivité. Les autres deviennent clients ou fournisseurs. De surcroît, cela construit la tolérance et un sens commun de la citoyenneté“.

L’impact de la liberté économique sur la corruption économique est également à souligner en ce sens où l’accroissement de la liberté économique réduit considérablement la corruption. Le manque de liberté économique accroît considérablement la corruption. Le manque de liberté économique est la matière première de la corruption.

L’Indice de liberté économique repose sur cinq critères

Pour revenir sur l’Indice de liberté économique, qui définit la liberté économique comme étant la capacité des individus et des familles à prendre, en toute indépendance, leurs propres décisions économiques, il est calculé sur la base de dix critères dont cinq méritent qu’on s’y attarde parce qu’ils concernent particulièrement le cas Tunisie.

Le premier concerne la taille de l’Etat avec ses composantes, dépenses publiques, fiscalité et entreprises publiques. Selon ce critère, lorsque la taille de l’Etat devient trop importante, ce dernier évince l’activité économique du secteur privé et taxe trop lourdement la propriété longuement acquise, réduisant ainsi les libertés. La loi de finances 2018, de par le harcèlement fiscal qu’elle institue, est un déni de cette liberté économique.

Le deuxième porte sur le système légal et sur la protection du droit de propriété. D’après ce critère, la protection des individus et de leurs biens est le but ultime de la liberté économique et de la société civile. C’est la fonction la plus importante que devrait assurer un gouvernement.

Le troisième critère a trait à la disponibilité d’une monnaie nationale saine. L’Etat peut aussi réduire la liberté économique en amenuisant, par l’inflation, la valeur des biens et revenus légalement acquis. C’est le cas actuellement en Tunisie. Effectivement, lorsque l’inflation est non seulement forte mais aussi instable, il devient difficile pour les individus de planifier leur avenir et donc d’utiliser efficacement la liberté économique. C’est également le cas de la Tunisie. Avec une inflation avoisinant les 7%, la Tunisie est loin d’être une économie ultralibérale.

Le quatrième critère consiste en l’accès libre au commerce international. La liberté d’échanger -dans le sens le plus large (achat, vente, conclusion de contrats…)- est essentielle à la liberté économique. Celle-ci est réduite lorsque la liberté à l’échange n’inclut pas les entreprises et les particuliers dans d’autres pays.

Le cinquième porte sur la réglementation du travail, du crédit et des affaires. Les gouvernements utilisent non seulement un certain nombre d’outils pour limiter le droit d’échanger au niveau international, mais ils peuvent également élaborer, de surcroît, des règlements à même de limiter le droit à l’échange à l’intérieur même des frontières nationales (situations de monopoles), le droit d’obtenir des crédits, le droit de location ou le droit de travailler pour le compte de la personne ou de l’entité que vous souhaitez, ou à gérer librement votre entreprise. En plus clair, ce critère mesure les limites de la liberté économique suite à une réglementation excessive.

Au final, force est de constater que la liberté économique est un idéal qui favorise le bien-être et la stabilité dans leur acception globale.

Pour le cas de la Tunisie, le modèle suivi comme le prouve son classement à l’international, est loin d’être ultralibéral.