Qui aurait pu, il y a tout juste 48 heures, imaginer que le top de l’aristocratie saoudienne serait écroué et claquemuré au Ritz Carlton du prince Al Walid ibn Talal lui-même séquestré dans son propre hôtel ? Le prince héritier Mohamed Ben Salmane n’y est pas allé de mains mortes. Le chef du gouvernement libanais, Saad Hariri, qui porte la nationalité saoudienne, n’y a pas échappé, et des informations persistantes estiment qu’il est en résidence surveillée. Le président égyptien Abdelfattah Al Sissi a, lui-même, fait une déclaration où cette éventualité a été évoquée. Mais les raisons de la «mise en demeure» de Saad Hariri sont différentes des raisons des autres arrestations. Nous y reviendrons. 

Aramco à l’origine de la campagne de l’apocalypse des princes ?

En toile de fond de ce séisme politique, il y aurait des enjeux économiques de taille dont la vente de 5% des actions d’Aramco, et parmi les détenus, figure Ibrahim Assef, membre du Conseil d’administration de ladite firme.

L’analyse de Montacer Ben Cheikh, maître de conférences des universités: « Aramco détient un quart des réserves mondiales de brut, soit bien plus que Shell, Exxon Mobil et Chevron réunies. Les Saoudiens prétendent qu’Aramco vaut 2.000 milliards de dollars. Les analystes financiers, eux, prétendent que l’entreprise vaut plutôt 1.000 milliards de dollars US. Mohamed Bin Salman (MBS) est le vrai dirigeant en Arabie Saoudite et il ne cesse de retarder la date de l’introduction d’Aramco sur les marchés. En fait, ce n’est qu’une preuve de la détérioration des relations entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite. La raison est simple : l’Arabie Saoudite a trois choix devant elle pour cette introduction en Bourse :

– Wall Street est le marché qui attire le plus d’argent au monde. Mais c’est un marché soumis à une réglementation rigide. MBS a peur dû geler ses avoirs.

– Londres est un marché qui attire moins de liquidités que Wall Street, mais qui est plus souple sur le plan juridique. Mais le Royaume-Uni est un allié traditionnel des États-Unis. Donc, le risque de voir ses avoirs gelés est pratiquement aussi élevé qu’aux États-Unis, seules les pénalités y sont moins lourdes.

– Hong-Kong est un marché qui attire moins d’argent que Londres, mais la réglementation y est très souple. Il fut un temps où l’arbitrage des placements saoudiens se faisait entre Wall Street et Londres, mais visiblement les temps ont changé même si MBS finissait par opter pour Wall Street».

Peu de personnes avaient une idée sur la grande purge de Mohamed Ben Salmane. Selon «Al Ahd Al Jadid d’Arabie, 4 personnes étaient seulement au courant de l’opération dont un Emirati. Le nombre d’arrestations dépasse de loin celui annoncé et 200 princes ont été interdits de voyage.

Aux arrestations consécutives a très vite succédé le gel du patrimoine de tous les prévenus. Est-ce pour renflouer un tant soit peu les caisses du Royaume qui a essuyé une défaite inattendue sur les champs de bataille syriens où il a financé à coups de milliards de dollars une guerre fratricide qui a fait de lui, pour la première fois, depuis l’apparition de la manne des hydrocarbures, un pays endetté ? Une guerre dont la conséquence immédiate a été la nécessité de la cession de 5% des parts d’Aramco sur le marché financier international ?

L’économiste russe Valentin Katassonov n’est pas loin de l’analyse de Montacer Ben Cheikh. Il a récemment publié un article intitulé «Intrigue mortelle dans le triangle Pékin – Riyad – Washington» et dans lequel il rappelle qu’Aramco est la plus importante entreprise en Arabie Saoudite, la base même de l’ensemble de son économie ainsi que de son système financier, et la plus importante compagnie pétrolière du monde. «N’étant pas une entreprise publique, ses actions ne sont pas négociées sur le marché, et son évaluation est donc difficile. De par ses possessions (gisements de pétrole et de gaz) et ses réserves, elle représente le quart des réserves mondiales. La production annuelle d’Aramco est, selon les experts, deux fois plus importante que la plus grande entreprise américaine Exxon Mobil».

Les 5% du capital d’Aramco prévus à la vente sont évalués à un minimum de 100 milliards de dollars et les plus grandes places boursières du monde se les disputent. La Chine a, d’après l’auteur, proposé d’acheter ces 5% d’actions et a annoncé la formation d’un Consortium énergétique et financier pour investir dans Aramco et neutraliser toute menace américaine.

Et alors que les places financières et les puissances économiques mondiales se disputent l’acquisition des actions d’Aramco, les relations russo-saoudiennes semblent s’être considérablement raffermies ces dernières semaines. Le principal instigateur de ce rapprochement serait, selon nombre de sources, Mohammed Ben Salmane, «qui avait déjà connu une expérience d’intermédiaire entre ces deux États».

La 1ère visite officielle d’un roi d’Arabie saoudite à Moscou au mois d’octobre 2017 a succédé à celle de Donald Trump effectuée au mois de mai dernier à Riyad et destinée, selon le journal «L’Orient-Le Jour» à renforcer l’alliance entre les États-Unis et l’Arabie saoudite.

Les USA ne sont donc plus les seuls joueurs sur la scène politico-économique saoudienne même si Trump a arraché des accords d’une valeur de plus de 380 milliards de dollars outre les 110 milliards de dollars d’achats d’armements américains par l’Arabie Saoudite. La Chine et la Russie pèsent de tout leur poids sur un Royaume affaibli par une guerre gagnée haut la main par la Syrie et ses alliés, menacé de perdre ses clients privilégiés en hydrocarbures tel la Chine après la levée des sanctions sur l’Iran et qui plus est, est racketté par son allié de toujours : les Etats-Unis.

Les politiques bellicistes de l’Arabie Saoudite avec ses voisins arabes lui auront coûté très cher et auraient fait gagner énormément d’argent à ses fournisseurs d’armes et à leur tête les Etats-Unis. Et ce qui est tragicomique c’est que dans la journée du dimanche 5 novembre, alors que l’Arabie Saoudite traversait l’une de ses plus grandes crises, un tweet de Donald Trump «est venu suggérer (ou confirmer) qu’un deal aurait été passé entre Saoudiens et Américains pour balayer toute la famille royale susceptible d’être dissidente contre l’IPO d’Aramco à Wall Street» (Donald J. Trump Would very much appreciate Saudi Arabia doing their IPO of Aramco with the New York Stock Exchange. Important to the United States!)

Plus cynique que cela, tu meurs!

Amel Belhadj Ali