En laissant entendre que l’éradication totale du terrorisme est prochaine, le ministre de la Défense nationale prend le risque d’être démenti par les événements. Car l’expérience d’autres pays le démontre, gagner une guerre contre le terrorisme n’est pas l’affaire de deux, trois ou même quatre ans. Cela prend beaucoup plus de temps.

Farhat Horchani a fait récemment une déclaration passée –relativement- inaperçue, en dépit de son importance. Vendredi 23 juin 2017, le ministre de la Défense nationale a affirmé, au cours de l’inauguration d’une exposition organisée à l’occasion du 61ème anniversaire de l’armée nationale, que «le pays est actuellement dans les dernières étapes de l’éradication du terrorisme». Bien sûr, une telle proclamation ne peut qu’apporter du baume aux cœurs de ceux des Tunisiens –et ils constituent, heureusement, la majorité- qui abhorrent le terrorisme et en ont souffert de diverses manières au cours des dernières années. Mais ne les empêche pas de se poser des questions cruciales: en est-on vraiment là, c’est-à-dire à la veille d’une victoire définitive sur cet hydre qu’est le terrorisme? Autrement dit, le ministre de la Défense nationale n’a-t-il pas chanté victoire trop tôt?

Pour le savoir, rappelons-nous d’où nous venons et essayons de mesurer le chemin parcouru.

Même si ses premières manifestations datent de bien avant le 14 janvier 2011 –de l’attaque de Soliman, en décembre 2007-, le terrorisme n’a émergé à grande échelle qu’après la chute du régime Ben Ali, en profitant à fond des trois années de règne de la Troïka qui s’est caractérisé par une attitude –délibérément ou pas- passive à l’égard de ce phénomène. Ce don la «sphère» terroriste profite bien pour s’organiser, s’armer et commettre ses premiers crimes en 2013: assassinats de Chokri Belaïd, le 6 février, et de Mohamed Brahmi, le 25 juillet, en octobre, un kamikaze se fait exploser alors que deux autres attentats sont déjoués en octobre à Sousse.

Puis avec l’attentat du Bardo, le 15 mars 2015, le terrorisme amorce une escalade qui culmine avec l’attaque de Ben Guerdane, le 7 mars 2016. Mais cette attaque qui, en cas de réussite, aurait pu ouvrir de nouvelles perspectives de «développement» au terrorisme -surtout s’il s’était avéré que le groupe qui l’avait mené avait l’intention de créer un «émirat» de Daech dans cette localité du Sud, va finalement confirmer le changement du rapport de force entre, d’un côté, les groupuscules terroristes, et, de l’autre, l’armée et les forces de sécurité.

Au début et pendant –trop- longtemps en position de force –ils planifiaient leurs opérations, apparaissaient là et quand elles le voulaient, pour les mener et disparaître aussitôt-, les terroristes ont petit à petit perdu le contrôle de la situation, à mesure que les militaires, les gendarmes et les policiers amélioraient leur connaissance et leur compréhension du terrorisme, leur maîtrise des règles de la lutte anti-terroriste -totalement nouvelles pour eux, leur organisation et leur équipement. Tout cela leur permet aujourd’hui de beaucoup maîtriser leur sujet.

Mais cela autorise-t-il le ministre de la Défense à faire la déclaration qu’il a faite? Indubitablement non. D’autant, ainsi que l’expérience d’autres pays le démontre, gagner une guerre contre le terrorisme n’est pas l’affaire de deux, trois ou même quatre ans. Cela prend beaucoup plus de temps. Il a fallu une trentaine d’années à l’Italie et l’Allemagne pour se débarrasser respectivement des Brigades rouges et de Fraction Armée Rouge. L’Espagne a mis près de cinquante ans avant d’obtenir en avril dernier le désarmement, donc la fin, d’ETA.

Donc, Farhat Horchani a fort probablement commis une très, très, très grosse imprudence en annonçant pour bientôt l’éradication du terrorisme.