Le message d’Audrey Azoulay aux éditeurs et libraires francophones de Tunisie était on ne peut plus clair. En les rencontrant, jeudi 9 février 2017, pendant près d’une heure et demie, au tout début de sa courte visite en Tunisie, la ministre de la Culture et de la Communication française a démontré l’importance qu’elle accordait à ces corporations. En qui elle voit «nos alliés» et «quasiment des militants». Et elle n’a pas tort. Les témoignages de la dizaine de ces chevaliers du livre venus à sa rencontre vont la confirmer dans son jugement.

On le savait mais on en a eu la confirmation jeudi, lors de cette rencontre organisée au siège de l’Institut Français de Tunis (IFT): les métiers d’éditeur et de libraire, notamment francophones, constituent de véritables casse-tête pour ceux qui les exercent en Tunisie. Pour une libraire opérant à la fois à Tunis et à La Marsa, «le plus grand souci c’est le respect de la chaîne du livre. Il faudrait que chacun, de l’auteur au libraire, se limite à faire son travail et n’empiète pas sur le terrain des autres». La libraire espère «une collaboration avec le Centre National du Livre (CNL) français pour organiser le secteur».

Confrontée comme ses confrères au problème des prix de vente, imputable selon elle notamment aux divergences à ce sujet entre les ministères de la Culture et de la Communication, et des Affaires étrangères français, elle souhaite aussi que «les établissements français respectent les prix pratiqués en France».

Le propriétaire de la Libraire El Moez se plaint, lui, du transport, qui «coûte énormément cher».

Les éditeurs et libraires francophones de Tunisie sont également confrontés à un problème …existentialiste. Alors qu’elle est «acceptée» en Afrique francophone subsaharienne, la francophonie «est vilipendée en Algérie, en Tunisie et, un peu moins, au Maroc», regrette Moncef Guellaty. «Quand on dit qu’on est éditeur francophone, on ne jouit pas d’un préjugé favorable», se plaint l’éditeur. Qui souligne que «cette réalité n’est pas prise en compte par l’institution de la francophonie parce qu’on croit que la francophonie c’est naturel».

Ces tracas ne constituaient visiblement pas une nouveauté pour Olivier Poivre d’Arvor et Audrey Azoulay. Bien qu’il reconnaisse «quelques soucis» par ces deux corporations, l’ambassadeur de France estime qu’éditeurs et libraires sont «en relative bonne santé». Ce qui, rappelle le diplomate, n’a pas empêché la France de les aider. Et de vouloir continuer à le faire.

«On va essayer d’accentuer les choses et de soutenir le livre en général et francophone en particulier. Car le livre est le lieu de la pluralité de la pensée», promet Audrey Azoulay.

La ministre rappelle qu’elle avait, récemment à Beyrouth, à l’occasion du Salon du livre francophone, annoncé «le renforcement du soutien aux libraires francophones, qui se met en place progressivement ». Mais apparemment cette mise en place ne se fait pas facilement. «Ces aides se heurtent à des problèmes structurels et administratifs qui sont facilement dépassables», analyse Karim Ben Smaïl, directeur des Editions Céres. En attendant un déblocage, le monde du livre francophone pourra, observe l’ambassadeur Poivre d’Arvor, tirer profit comme point de vente des dix centres de l’Alliance française qui vont être ouverts en Tunisie.

Toutefois, les éditeurs et libraires francophones tunisiens ne sont pas venus à la rencontre de Mme Audrey Azoulay pour étaler leurs problèmes et demander de l’aide. Ils ont également mis sur la table quelques idées susceptibles d’améliorer les conditions de l’exercice de leurs métiers et, partant, la diffusion du livre francophone. Comme l’organisation d’un salon du livre francophone en Tunisie ou ailleurs au Maghreb, proposée par M. Ben Smaïl. «Le créneau n’est pas pris », concède Audrey Azoulay. Qui suggère que cette manifestation soit dédiée aux livres pour la jeunesse. Un pari que le directeur des Editions Cérès trouve un tant soit peu risqué. «L’édition francophone est déjà restreinte. Pour la jeunesse elle l’est encore plus», souligne-t-il.