Tunisie – Politique – Religion : Faut-il se fier aux nahdhaouis?

ennahdha-2014-680.jpgUn constat : depuis les élections législatives de novembre 2014, les leaders du parti d’obédience islamique, Ennahdha, deuxième parti au Parlement (en termes de nombre de sièges), sont entrés dans une hibernation. Au cours de cette période, les ténors de cette secte se sont contentés de se donner en spectacle l’évolution du pays avec ses crises sociales (grèves de plusieurs corps professionnels), politiques (dislocation de Nidaa Tounès, leur parti allié) et économiques (croissance zéro ou presque, recrudescence de l’endettement du pays…).

Ils ne se manifestent que lorsqu’un de leurs bastions est menacé. C’est dans cette optique que s’inscrit l’opposition d’Ennahdha au limogeage des imams prédicateurs takfiristes (Jaouadi à Sfax, Khadmi à Tunis, Belhassen à M’saken …).

Ils n’ont accepté de cesser leur fronde et de mettre fin à leur pression sur le gouvernement que lorsque les deux conditions qu’ils ont posées ont été satisfaites par le gouvernement, en l’occurrence le limogeage du “limogeur“ des imams, l’ancien ministre des Affaires religieuses, Othman Battikh, et la désignation à la mosquée Lakhmi d’un imam acquis à leurs thèses.

Les nahdhaouis à l’affût de toute décision contraire à leurs intérêts

Ces jours-ci, ils sont sortis de leurs terriers pour s’attaquer aux ministres de la Femme, Samira Meraii, et de l’Education, Néji Jalloul.

Dans une missive, qu’il a appelée «Lettre urgente», le député nahdhaoui Noureddine B’hiri a apostrophé la ministre conservatrice de la Femme pour la sermonner à propos de sa décision de fermer les écoles coraniques.

Cette lettre a généré, sur les réseaux sociaux, une campagne de dénigrement arbitraire à l’encontre de Samira Meraii alors qu’elle n’était pour rien. Et ce pour deux simples raisons: les écoles coraniques au sens des Kouttebs sont du ressort du ministère des Affaires religieuses tandis que les écoles coraniques en tant qu’établissements d’enseignement religieux privés sont du ressort du ministère de l’Education.

Les leaders nahdhaouis ne se sont pas arrêtés là. Ils ont exploité la mise à la disposition de jeunes écoliers d’un conte sur le mal et le bien, de Mabrouk Hajjej -un conte inspiré d’une légende hindoue où il est question, dans un paragraphe, d’alcool, de sexe, de meurtre, de kidnapping, d’avortement- pour crier au scandale et accuser le ministère de l’Education de pousser les jeunes écoliers à la débauche.

Cela pour dire que les nahdhaouis sont à l’affût de chaque décision gouvernementale allant dans le sens contraire de leurs intérêts et n’hésitent pas à mobiliser leurs troupes pour l’annuler par tous les moyens.

Pourtant, le parti Ennahdha fait partie de la coalition gouvernementale. Il devait en principe être solidaire avec le gouvernement de Habib Essid et y compte plusieurs ministres.

Ennahdha se désolidarise du gouvernement…

Trois enseignements peuvent être tirés de ce comportement de «la secte» Ennahdha.

Premièrement, ce parti ne croit pas à la continuité de l’Etat et au travail d’équipe gouvernementale. Les ministres nahdhaouis n’ont jamais été solidaires avec leurs collègues dits laïcs ou technocrates. Ils ne sont là que pour se servir et attendre, apparemment, le bon moment pour retourner au pouvoir, ce même pouvoir qu’ils ont eu à exercer au temps de la Troïka  pour déstructurer le pays au triple plan politique, diplomatique et socioéconomique et pour le confronter aux pires des fléaux: terrorisme, crime organisé et contrebande.

Deuxièmement, le parti Ennahdha, en tant qu’allié du parti Nidaa Tounès, deux partis majoritaires au Parlement, ne joue qu’un rôle statique. Ses députés disciplinés et aux ordres de Rached Ghannouchi votent, dans un geste moutonnier, les projets de loi proposés par Nidaa Tounès, même si ces projets sont par essence non-constitutionnels: cas des articles de la loi de finances 2016 jugés non constitutionnels.

Troisièmement, les nahdhaouis, en apostrophant les ministres, reprennent leur fonds de commerce. Celui-là même qui consiste à commercer avec la religion et à se prendre pour les tuteurs et les défenseurs de l’islam, deux missions pourtant du ressort exclusif de l’Etat selon la nouvelle Constitution. Les nahdhaouis ne veulent pas croire que les Tunisiens sont musulmans depuis 14 siècles déjà. C’est leur affaire.

Le PJD marocain fait mieux qu’Ennahdha

Moralité: Ennahdha, en tant que parti amoral et extranational, fait peu de cas de l’intérêt national, et ses députés ne se démènent pas beaucoup pour aider le pays à sortir de la crise. Ils ne proposent aucune alternative. Ils font semblant d’être Tunisiens. Leur regard est rivé au-delà de la Tunisie, vers leurs alliés géostratégiques régionaux: les fréristes de Fajr Libya au flanc sud-est du pays, la Turquie enlisée dans le bourbier syrien et son sponsor Qatar.

C’est pour dire que le rendement politique de ce parti a été nul et demeure quasi nul pour le pays. Il suffit de s’amuser à le comparer avec celui du parti islamiste au pouvoir au Maroc, le Parti de la Justice et du Développement (PJD).

Contrairement à Ennahdha qui a entretenu et protégé le terrorisme, le PJD, qui définit sa mission comme étant «de développer une culture de la modération», se considère comme un barrage contre les interprétations excessives de l’islam. Il a joué un rôle important lors du débat sur la réforme du statut de la femme. Il reconnaît, contrairement à Ennahdha, le rôle historique joué par la femme marocaine et rappelle dans ses discours que la première université islamique a été construite au IXème siècle à Fès par une femme, Fatima Fihria.

Contrairement à Ennahdha, le PJD est un farouche défenseur du tourisme. Dans son programme économique, il souhaite attirer au Maroc un million d’Européens retraités résidents, car le principal créneau porteur actuellement est pour lui l’économie résidentielle.

Le PJD est un parti ouvert à la modernité. Son secrétaire général, Abdel-Ilah Benkiran, estime que «dans un contexte international d’ouverture, nos pays doivent être compétitifs, or à l’inverse ils régressent! Il faut investir dans le capital humain, former les gens et aussi lutter contre la corruption. Ce sont là deux valeurs fondamentales, et les principaux chantiers du PJD. Seule l’école favorisera l’émancipation des jeunes filles».

Et Benkiran d’ajouter: «Je rêve que le Maroc devienne une société de la science, qu’il cesse d’exporter uniquement des matières agricoles et qu’il exporte des marchandises à forte valeur ajoutée».

Je laisse le soin aux lecteurs de WMC de faire un parallèle entre deux cultures de référentiel islamique. Une culture putschiste tournée vers la destruction et la mort et une autre tournée vers la vie, la coexistence et la création.