Tunisie-Enactus-Universités : Développer une culture entrepreneuriale inscrite aux abonnés absents

Une entrée en matière qui sort de l’ordinaire que celle faite par Khaoula Boussemma, directrice exécutive du programme Enactus (formation à l’entrepreneuriat à l’université) lors de son allocution d’ouverture à l’occasion du colloque «Université, entrepreneuriat et employabilité» organisé samedi 12 décembre.

Elle résume en quelques mots tout ce dont a besoin la Tunisie : patriotisme, sens de l’appartenance et amour du travail. «L’entrepreneuriat, c’est tout d’abord des valeurs. Sans ces valeurs il n’a aucun sens, sans ces valeurs, il n’aura aucune valeur. Ce sont des valeurs telles que la responsabilité, l’engagement, l’intégrité, la solidarité, la gratitude, le respect et le partage. Fille d’un officier supérieur de l’armée tunisienne comme je le suis, j’ajouterais : le patriotisme. Mon père me dit toujours: le patriotisme c’est notre drapeau que nous devons d’aimer, pour lequel nous devons vivre et mourir s’il le faut. Ce drapeau, c’est notre nation, notre Etat, notre peuple, notre terre, notre olivier, notre palmier, notre économie, nos richesses, notre armée, nos martyrs, notre dignité, notre identité, notre histoire, notre présent, notre avenir et l’avenir de nos enfants et des enfants de nos enfants».

Et la DG exécutive d’Enactus d’exprimer toute la peine qu’elle ressent à la vue de jeunes étudiants désabusés parfois au bord du désespoir surtout dans les régions. «Parce qu’il est difficile de réaliser leurs projets par manque de moyens, de financement, de formation, de temps ou d’opportunités, et parce qu’ils peinent à créer leur club Enactus dans leur propre université ou dans leur propre école pour des raisons liées principalement à l’administration».

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Ce qui a été confirmé dans la présentation de Hassen Zargouni, DG de Sigma Conseil, dont l’enquête réalisée auprès des étudiants Enactus à propos de la corrélation entre université et emploi a révélé que près de 90% d’entre eux considèrent qu’il leur faut une formation complémentaire à l’entrepreneuriat à l’issue de leurs études universitaires, pour maximiser leurs chances de dénicher un emploi, ce qui dénote du manque de moyens humains et matériels au sein de l’Université.

Il a en outre relevé que l’acte entrepreneurial attire plus les jeunes femmes que les jeunes hommes quand elles sont à l’université, un état d’esprit qui change dès qu’elles sont diplômées. Le signe que la société tunisienne vire de bord. Le chômage touche les jeunes femmes beaucoup plus que les jeunes hommes et le développement de l’esprit entrepreneurial pour lequel ont lutté les générations des quarantenaires et cinquantenaires ne suscite plus autant d’enthousiasme chez la gente féminine.

Pourtant, et dans l’absolu, la magie de l’entreprise et de la libre initiative opère.

Les conclusions tirées de l’enquête Sigma le prouvent rien que par l’engouement exprimé par les étudiants (34,3%) qui ont eu la chance d’avoir reçu des cours de la part  d’un chef d’entreprise. 88,8%, parmi eux, trouvent l’enseignement intéressant et 62,5% très intéressant.

13,7% des étudiants trouvent que leurs études sont très pratiques alors que 42,5% les trouvent très théoriques. 95,7% des étudiants pensent que l’intégration des aspects de la vie entrepreneuriale durant le parcours universitaire est importante, 78,5% la perçoivent comme très importante.  

Une relation Université/Entreprise très approximative

Quant à la relation université-employabilité, les étudiants considèrent que l’effort consenti par l’université pour les mettre en contact avec les entreprises et faciliter leur intégration est négligeable. D’où l’importance d’un programme tel Enactus, lequel non seulement leur inculque les valeurs entrepreneuriales mais les mets en contact avec les opérateurs privés.

«C’est dans l’entreprise privée qu’on développe nos talents et j’ai remarqué que lors des dernières années en tant que professeur à l’Enit l’engouement de mes étudiants pour le travail dans le secteur privé», a assuré Chiheb Bouden, ministre de l’Enseignement supérieur, qui a indiqué que son ministère a procédé à la création de directions de stages au sein de toutes les universités pour faciliter le contact entre les entreprises et les facultés.

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Réagissant aux propos des étudiants, Monia Jeguirim Saidi, membre fondateur d’Enactus Tunisie, a déploré le manque de volonté des entreprises d’impliquer les étudiants dans la vie entrepreneuriale et l’absence d’une présence effective de la part des opérateurs privés à l’Université. «Je pense que le CJD à un très grand rôle à jouer à ce niveau, nous avons des entrepreneurs jeunes qui sauraient mieux que quiconque s’adresser et communiquer avec les jeunes».

C’était lire dans la tête d’un étudiant qui s’est plaint de l’absence de communication entre les jeunes universitaires et les responsables entrepreneuriaux d’un certain âge qui «ne comprennent rien aux projets que nous leurs proposons. Nous avons l’impression de ne pas parler le même langage».

Une remarque à laquelle a réagi tout de suite Hassen Zargouni pour parler de l’incapacité des entrepreneurs tunisiens acteurs d’une économie low cost de comprendre des jeunes qui se projettent dans les technologies et l’économie à haute valeur ajoutée.

M. Zargouni a omis de parler des industries aéronautiques, dont le parc Stella qui abrite des unités de recherche, ou encore les firmes Demat et Zodiac, sans oublier les industries des composants automobiles mécaniques et électroniques.

Non, l’économie tunisienne n’est pas seulement composée d’économie bas de gamme, c’est seulement que le climat d’affaires n’est pas idéal pour les industriels et les innovateurs et principalement dans ses dimensions sociale et légale.

Les success story, cela existe en Tunisie, a tenu à préciser Zied Ladhari, ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle: «Il faut les célébrer, même si nous reconnaissons que nous souffrons d’un dysfonctionnement du système de développement et de la prospection économique. Les miracles n’existent pas, il faut tout juste dupliquer les bonnes expériences et les adapter à la réalité du pays».

La compétition, c’est aussi celle du savoir et de la connaissance

En somme, ce qui manque le plus aux uns et aux autres, c’est la culture entrepreneuriale. Chez les étudiants, l’Administration et même les entreprises.

«En tant que présidente du CJD, je me dois de vous dire que le taux d’encadrement en entreprise est très faible. L’entreprise ici a une part de responsabilité: il faudrait qu’elle assure en ouvrant ses portes aux étudiants et aux enseignants, pour qu’ils découvrent et comprennent aussi bien le mode de fonctionnement sur le plan pratique mais aussi les difficultés et les challenges», a révélé Wafa Lamari, présidente fraîchement élue au CJD.

Aujourd’hui, a indiqué Madame Lamari, la Tunisie a besoin d’un système d’enseignement supérieur et de formation professionnelle brillants, parce que l’enjeu est décisif dans un contexte de mondialisation, où la compétition est féroce. La compétition est aussi celle du savoir et de la connaissance.

«Il n’est de secret pour personne que notre seule richesse ce sont nos ressources humaines. Il n’est de secret pour personne aussi que notre jeunesse est victime d’un système éducatif qui exige des réformes profondes à tous les niveaux de l’enseignement y compris au niveau de la formation professionnelle ainsi que plusieurs efforts de la part de l’Etat, du secteur privée et de la société civile. Et pour bien profiter de cette richesse, il faudra lui offrir tous les moyens d’évolution, de développement et de croissance. Aujourd’hui malheureusement, le constat est plus qu’alarmant: le nombre des diplômés du supérieur au chômage a atteint les 212.400 pendant le 2ème trimestre de 2015, selon l’Institut national de la statistique».

212.400 diplômés qui ambitionnent de trouver leurs places sur le marché du travail, mais pour cela, il faut de la ténacité, de l’humilité et des structures de formation qui peuvent leur faciliter à un marché de l’emploi qui évolue rapidement et qui absorbe mal les incompétences.

Il s’agit là de déterminer les responsabilités des uns et des autres et de les assumer dans un pays où la transition, aussi bien économique que politique, reste inachevée.